News - 23.03.2020

Nidhal Ben Cheikh - De l’urgence de solutions non-conventionnelles à la rescousse de l’économie tunisienne

Nidhal Ben Cheikh - De l’urgence de solutions non-conventionnelles à la rescousse de l’économie tunisienne

Beaucoup d’éléments me font penser que la pandémie actuelle accoucherait d’une remise en cause des mécanismes de régulation de l’économie mondiale, des relations internationales et d’une prise en charge sérieuse de la dégradation de l’environnement. Les dogmes économiques actuels sous-tendant le mainstream néolibéral voleraient en éclats. Est-ce que nous sommes en train de mouvoir vers une nouvelle forme d’ « Etat-Providence globalisé », émanation d’un paradigme, new age, de gouvernance mondiale pouvant être, à fortiori, liberticide ? Une hypothèse à ne pas exclure. Loin s’en faut.

On constate aussi que cette crise sanitaire a mis à nu l’impuissance des systèmes de santé de plusieurs pays européens affaiblis et muselés après des décennies de coupes budgétaires imposées par le diktat du dogme économique néolibéral et de la bureaucratie de l’Union Européenne. Déchéance d’un système à opposer à la montée, et depuis des années, du modèle sanitaire des pays du Sud Est de l’Asie (Chine, Corée du Sud, Singapour, etc.), qui a fait ses preuves dans la gestion de la crise actuelle. Par excès de nombrilisme, la communauté scientifique et médicale occidentale s’est faite duper, et a été de ce fait, dans l’incapacité de voir cette avancée et d’en tirer les enseignements qui s’imposent. Surtout à temps. A l’exception, évidemment, d’un nombre de scientifiques occidentaux, dotés d’une pensée complexe, non linéaire, multidisciplinaire, moins endoctrinés par les paradigmes enchaînant de leurs disciplines scientifiques respectives, plus enclins aussi à apprendre de leurs collègues chinois ou autres …On cite l’exemple du Professeur Didier Raoult(1), grand infectiologue de renommée mondiale dans l’IHU de Marseille, qui a commis un crime de lèse-majesté envers l’establishment scientifique parisien, en proposant de traiter les malades atteints du Covid 19 par la chloroquine, une molécule connue et très bon marché et d’opter pour un dépistage à grande échelle au lieu du confinement généralisé de la population(2). En dépit de la robustesse des premiers résultats d’expérimentation qui se sont révélés encourageants aussi bien en France qu’en Chine, et à notre grande consternation, Pr Raoult a été voué aux gémonies par ses homologues parisiens.

A l’image des accords Yalta signés aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, de nouveaux accords seront scellés entre la Chine et l’Occident, portant sur une nouvelle répartition des richesses et des rôles au niveau planétaire. La Chine, détenant à l’évidence des longueurs d’avance en matière d’Intelligence Artificielle et dans la mise en place en place d’une nouvelle forme de gouvernance planétaire basée sur le contrôle des citoyens moyennant le Big data, donnera le-là dans l’instauration de cette nouvelle régulation.

Quid de la Tunisie dans cette tourmente mondiale ?

Il serait inutile de s’aventurer dans les aspects liés à la gestion de l’épidémie au niveau national. On pense que l’équipe du Ministère de la santé se débat héroïquement avec des moyens limités et un système de santé clochardisé depuis des années et mis à genoux par des syndicats mafieux et véreux.

Il faut s’atteler dès maintenant à mettre en place une stratégie basée sur des solutions non-conventionnelles pour une situation qualifiée d’exceptionnelle, voire non-conventionnelle.

De prime abord, les autorités doivent être claires dans leur communication à l’adresse des tunisiens en annonçant, dès maintenant, que plusieurs périodes de confinements intermittents seront annoncées en plus de mesures de distanciation sociale, au gré de l’évolution du nombre de cas confirmés dans le dessein de maîtriser tout risque de rebond. Une toute récente étude de l’Imperial Collège de Londres(3), démontre que la gestion de la pandémie pourrait s’étaler sur plusieurs mois voire 18 mois, jusqu’à contamination d’une grande partie de la population. Le moment qui scellera la fin de l’épidémie, en l’absence de toute vaccination.

Une crise économique sans précédent nous guette et pourrait ébranler notre économie et mettre à rude épreuve la résilience de notre société.

Est-ce que nous sommes prêts pour l’affronter ? Avec quels moyens ? Quelles ressources ? Et enfin quelle stratégie ?

La récession impactera lourdement tous les secteurs de l’activité économique. Les secteurs les plus sinistrés seraient ceux du transport, du tourisme, des services et dans une moindre mesure l’industrie, car tout dépendra de la réaction des chaîne de distribution au niveau de nos partenaires commerciaux. L’effondrement du prix du prix du Baril pourrait donner une bouffée d’oxygène à nos finances publiques.

Cela étant, est-ce que le gouvernement et la BCT seraient prêts à penser à des solutions moins dogmatiques(4) face à cette situation non-conventionnelle ?

Est-ce que la politique actuelle de ciblage de l’inflation aurait encore du sens alors qu’une récession lourde pouvant être accompagnée d’une détente au niveau des pressions inflationnistes, pointe à l’horizon ?

Est-ce qu’on doit maintenir le même dogme au niveau du pilotage de la politique monétaire ? Quid de la litanie de sacro-sainte indépendance de la BCT dans cette conjoncture qui nécessiterait un financement monétaire du déficit budgétaire dans les mois qui viennent ?
Le gouvernement doit apporter des réponses pour le sauvetage des PME tunisiennes qui subiront de plein fouet un coût considérable suite à la mise en arrêt de la machine économique ?

C’est dans ce cadre, qu’on pourrait  mettre à l’épreuve la capacité du gouvernement et de la BCT à mettre au point une stratégie afin de sauver nos entreprises et nos emplois, en apportant de nouvelles solutions, qui plus est, non dogmatiques et peu usuelles. Pourrait-on s’attendre à une BCT qui vient à la rescousse de l’économie, du pouvoir d’achat des citoyens, en ramenant le TMM à 5% ou 4% ? Car, il faut bien desserrer l’étau au niveau du refinancement de la BCT pour canaliser des financements idoines vers les secteurs sinistrés.

A ce niveau, les mesures annoncées par le CDG sont salutaires, certes, mais peu suffisantes pour la préservation de notre tissu productif et la sauvegarde des emplois. D’où l’importance d’une politique monétaire plus accommodante, afin d’alléger le coût des ressources au niveau des banques. En coordination avec le gouvernement, la BCT pourrait réinventer l’ancienne politique d’encadrement du crédit, la mettre au goût du jour, en adoptant, un schéma de « Funding for lending »(5), poussant les banques à consacrer une fraction de leurs ressources aux entreprises appartenant aux secteurs sinistrés, notamment dans les régions les moins avantagées. Cette décision doit permettre d’alléger aussi certaines règles de gestion prudentielle. Il en va de la responsabilité sociale des banques, voire de leur devoir envers la Nation face au péril d’une récession sans précédent. Il serait utile de rappeler que les banques tunisiennes étaient les seules à engranger de superprofits depuis 2011, qui plus est paradoxalement contra-cycliques, réalisés essentiellement grâce à l’achat de bons de trésor assimilables (BTA) pour le financement du budget de l’Etat. Il va sans dire que ces résultats ont été permis aux dépens du financement des investissements productifs, créateurs d’emplois et de l’innovation.

D'autres solutions sont aussi envisageables pour gérer les prochains mois tout en assurant la sécurité des citoyens et surtout sans heurts. Car, plusieurs catégories à faibles revenus, évoluant aussi dans les secteurs non-structurés voire informels, seraient dépourvues de leurs revenus et in fine de munitions alimentaires !

A ce niveau, il est bien dommage qu’on ne soit assez avancé dans la création d’un Identifiant Unique pour chaque citoyen (IUC) qui aurait pu être la panacée pour assurer une identification plus aisée des populations les plus nécessiteuses et orienter des transferts monétaires aux ménages selon leurs conditions de ressources par rapport à un minimum social à définir pour le temps de cette crise. Cette pandémie se présenterait aussi comme une réelle opportunité pour progresser rapidement dans ce dossier. Au regard de la sensibilité de ce projet hautement stratégique pour le démarrage de plusieurs réformes gelées depuis des décennies (Réforme fiscale, lutte contre le secteur informel, dépenses de compensation, etc.), le CDG gagnerait à accorder le leadership national dans la généralisation d’un IUC à toute la population tunisienne au Ministère de la Défense Nationale avec un appui technique assuré par le Ministère des Technologie de l’Information et le Ministère de l’Intérieur.

Il est aussi extrêmement urgent de penser à une loi de finances complémentaire pour réorganiser les ressources budgétaires de plusieurs ministères afin de canaliser des crédits supplémentaires substantielles en faveur du ministère de la santé.

Il faut y trouver des réponses non-dogmatiques, peu usuelles face à une situation non-conventionnelle. En pensant à un éventail de solutions à prendre, il serait très important que les hauts fonctionnaires de l’Etat ainsi que l’équipe gouvernementale fassent sauter tous les verrous de mesures à substrat dogmatique.

Pour le moment, la question qui me tourmente le plus : est-ce que ceux qui président à notre destinée en Tunisie, seraient capables de se libérer du joug du dogme néo-libéral et de l’emprise des institutions internationales, dont le rôle serait inévitablement sur l’agenda de la nouvelle Yalta ! A venir.

Nidhal Ben Cheikh
Economiste, Consultant indépendant en protection sociale
Diplômé du Cycle Supérieur de l’ENA de Tunis

(1)https://fr.wikipedia.org/wiki/Didier_Raoult
(2)https://www.20minutes.fr/sante/2742011-20200317-coronavirus-hydroxychloroquine-efficace-selon-professeur-raoult-ihu-marseille-apres-premier-test-restreint
(3)https://www.imperial.ac.uk/media/imperial-college/medicine/sph/ide/gida-fellowships/Imperial-College-COVID19-NPI-modelling-16-03-2020.pdf
(4)Pour être plus clair, j’entends par solutions non-dogmatique, des mesures de politique économique qui sont en rupture avec les recettes d’obédience néo-libérale visant la stabilisation macroéconomique des économies émergentes. C’est à l’économiste John Williamson que revient la dénomination « Consensus de Washington », désignant les dix commandements des politiques de libéralisation économique. Pour plus de détails : https://fr.wikipedia.org/wiki/Consensus_de_Washington
(5)Le Funding for Lending Scheme (FLS) a été lancé par la Banque d'Angleterre et le gouvernement britannique en juillet 2012 pour encourager les banques et les sociétés de crédit immobilier à développer leurs activités de prêt en fournissant des fonds à des taux inférieurs aux taux en vigueur sur le marché.