News - 23.03.2020

Nidhal Ouerfelli - Covid-19 : Une opportunité de transformation du modèle de coopération régional et de développement

Le Tsunami Covid-19 : une opportunité de transformation du modèle de coopération régional et de développement économique

Le petit virus Covid-19 a montré les limites et les failles de notre système économique actuel fondé sur la mondialisation, l’interdépendance et des ressources fossiles épuisables et inégalement réparties. En effet, le développement socio-économique actuel, issu du processus d’industrialisation des deux derniers siècles, s’est nourrit d’une énergie majoritairement fossile, relativement abondante et bon marché. Ce développement a néanmoins accru les inégalités, les tensions géopolitiques et a contribué au renforcement de l’interdépendance de nos économies et à la dégradation de l’environnement et aux dérèglements climatiques. On savait également que la mondialisation a engendré, ces dernières décennies, une déréglementation financière et une production industrielle géographiquement centralisée là où les coûts salariaux étaient les plus faibles, en Asie, à l’exclusion de toute autre considération et ne tenant en aucun compte des coûts écologiques.

Nous sommes aujourd’hui, au niveau mondial mais également à l’échelle régionale, en face d’un véritable paroxysme de notre modèle de développement économique qui se traduit par une explosion des crises et d’incertitudes dans tous les domaines : sanitaire, énergétique, climatique, géopolitique et de valeurs mêmes ! Notre modèle de croissance classique, celui d’une croissance infinie et interdépendante, n’est plus soutenable ! Il y a beaucoup de leçons à tirer et des changements à opérer.

Au-delà du « Tsunami sanitaire, économique et social » actuel, qui, après la Chine et quelques pays en Asie, touche de plein fouet l’Europe, les USA, l’Afrique du Nord et qui, porteur de plus de chaos, affectera bientôt l’Afrique et l’Inde, la question à laquelle nous devons répondre est : Comment sera le monde de demain ?

Naturellement de très importantes forces d’inertie économiques, commerciales, sociétales et politiques vont exiger assez rapidement le retour au fonctionnement classique de notre économie. Toutefois ce qui est certain que le Covid-19 apportera des changements importants voir des transformations majeures dans le système économique mondial et les échanges commerciaux. Ainsi, de nouvelles politiques de coopération et de nouvelles stratégies industrielles seront mise en place autour « d’écosystèmes essentiels » tels que : les énergies renouvelables, l’automobile, l’aéronautique, le Médical, l’alimentation, la Recherche et Développement, etc. Dans cette nouvelle stratégie, d’autres critères que la rentabilité seront pris en compte, telles que la supply chain, la sécurité d’approvisionnement (produits manufacturés, médicaments, alimentation, etc.), le bilan carbone et la qualité de l’environnement. Les chaînes de production, de distribution et d’approvisionnement, perturbées et parfois rompues (due à une sur-dépendance des économies mondiales des industries chinoises), devraient être totalement repensées et restructurées. Elles seront recentrées et relocalisées en privilégiant la sécurité d’approvisionnement, l’économie locale et circulaire.

On va assister probablement au passage de la « Globalisation » à la « Glocalisation » qui pourrait se traduire par une relocalisation en Europe conjuguée à une localisation à proximité avec des opportunités pour des pays de la rive sud de la méditerranée et de l’Afrique.

Le nouveau modèle de « glocalisation » pour l’Europe ne pourra pas se faire sans une intégration de l’Afrique, qui fait partie de la sphère géostratégique de l’Europe et avec qui elle partage un destin futur commun… L’Afrique de demain devrait se substituer à la Chine d’aujourd’hui en termes d’échanges… Et avec sa jeunesse, l’Afrique peut être à la fois, l’espoir mais également le Chaos pour elle-même et pour l’Europe (immigration, pandémies...). Les Etats et acteurs économiques européens regarderont de nouveau vers ces pays. Il y aura des opportunités qu’il faudra saisir ! 

Le Covid-19 rappelle également le caractère crucial et vital de la « R-D-I », Recherche scientifique – Développement – Innovation et la nécessité d’investir massivement pour le long terme.  Ainsi, devraient être repensées, la coopération en matière de « capacity building » et la co-construction de programme commun de recherche qui s’insèrent dans une vision de plus long terme. Ces domaines sont connexes et fertilisant d’autres domaines tels que le développement de projets industriels et dans le domaine de la santé.

Une pédagogie sera développée pour vanter la synergie de ces domaines dans la grande durée : la valeur ajoutée des actions de capacity building est d’attirer des jeunes talents, et de former de futures élites, de les mettre au cœur d’un réseau régional qui permettra, dans la durée, de porter avec succès des projets industriels régionaux. Il s’agira ainsi de promouvoir l’installation d’une ou plusieurs infrastructures de recherche, chacune accompagnée d’un service (aide à la gouvernance et à la formation pour la bonne exploitation de l’infrastructure) et d’un partenariat à long terme incluant l’établissement de programmes d’utilisation durable et d’un accès à des infrastructures de même nature mais de classes multinationales. Il s’agit là d’une transformation de notre stratégie pour la détacher de l’immédiat et l’inscrire dans une logique et une vision de longs termes.

L’ensemble de ces activités ne se résume pas à leur dimension commerciale et/ou d’aide au développement mais mobilise une nouvelle dimension géopolitique et diplomatique à l’échelle régionale qui se trouvent à la croisée d’une coopération Nord-Sud et Sud-Sud.

La transformation de notre système économique est désormais invitée à se construire collectivement, en impliquant largement l’ensemble des parties prenantes, et les différentes échelles de territoire : Economie circulaire, technologies numériques, industries manufacturière, énergies renouvelables, écoconception, de nombreuses approches peuvent y contribuer. Initier cette dynamique passe par la mise en place de partenariats adéquats, de circuits économiques et de financements adaptés, ainsi que par l’anticipation et la préparation des compétences nécessaires. Ce nouveau modèle doit s’accompagner d’une part, d’une politique audacieuse de partenariat industriel au niveau de la région qui se prête particulièrement au transfert de technologie, et d’autre part, d’une stratégie de renforcement des capacités industrielles, technologiques et scientifiques locales, si l’on ne veut pas que la réalisation des projets et l’accroissement des échanges se traduisent par une aggravation des inégalités entre le Nord et le Sud.

Il s’agit ainsi d’une opportunité pour la mise en place, (i) d’un nouvel ordre économique et social fondé sur la proximité et la solidarité ; (ii) d’un nouvelle politique industrielle fondée sur la création de la valeur et de d’innovation ; (iii) d’une nouvelle politique de coopération et d’investissement dans la recherche scientifique et (iv) d’une nouvelle politique de relations extérieures qui s’inscrit dans une stratégie « gagnant-gagnant » à long terme. 

Dans un monde en accélération foudroyante tirée par les nouvelles technologies, la crise actuelle nous démontre que le séjour de chacun d’entre nous ici-bas est archi précaire et à quel point il y’a un besoin de retour aux valeurs primaires humaines écrasées aujourd’hui par une mondialisation homo economicus.      

Dr. Nidhal Ouerfelli
Ancien Ministre
Haut Représentant Régional de l’Administrateur Général du Commissariat à l’Energie Atomique
et aux Energies Alternatives (CEA) pour les pays du Sud de la Méditerranée, du Moyen-­Orient et de l’Afrique