News - 22.01.2020

La Syrie à l'honneur aux éditions Actes Sud

La Syrie à l'honneur aux éditions Actes Sud

En avant-première de la rentrée littéraire étrangère de janvier 2020, les éditions Actes Sud ont mis à l’honneur la Syrie, en offrant aux lecteurs francophones deux ouvrages intéressants: L’Echelle de la mort de Mamdouh Azzamet La Peur au milieu d’un vaste champ et autres nouvelles de Mustafa Taj-Aldeen Almusa.

Ces deux auteurs sont célèbres dans le monde arabe non seulement pour leurs écrits mais également pour avoir eu des démêlés avec les autorités syriennes. On sait que ‘Qasr al-matar’ (Le Château de la pluie) de Mamdouh Azzam a été́ condamné par une fatwa des cheikhs de la communauté́ druze et retiré de la circulation. (Cf. Leaders du 09/01/20). Pourtant, objet du film intitulé Al-Lajat, réalisé par Ryad Chaïa en 1995, ‘Qasr al-matar’, publié en 1989, a fait date dans la littérature syrienne.

Quant à Mustafa Taj-Aldeen Almusa, il a dû fuir son pays pour échapper à la répression. Né en 1981 dans la province d’Idlib (Syrie), aujourd’hui ravagée par les bombardements, il a cherché refuge en Turquie. Il est l’auteur de six recueils de nouvelles et de deux pièces de théâtre qui lui ont valu de prestigieux prix littéraires en Syrie et dans le monde arabe. Plusieurs de ses nouvelles ont été́ traduites dans une dizaine de langues européennes, mais aussi en turc, en persan et en kurde.

Fidèle à la technique habituelle dans ce genre de littérature, les coups de pinceau de Mustafa Taj-Aldeen Almusa ne laissent pas entrevoir la trajectoire finale de ses personnages, tous des citoyens ordinaires syriens: trois peintres, des écrivains, une serveuse, un mystérieux réfugié politique, un clochard ivre-mort, etc. Il en est ainsi de presque toutes les nouvelles constituantson livre. Ainsi, dans la première nouvelle, ‘La nuit de la gifle fatale’, le lecteur retrouve aisément les caractéristiques habituelles de la nouvellecomme la brièveté (cinq pages), un nombre restreint de personnages (un couple) très peu développés, un seul événement, et surtout ‘la chute’, c’est-à-dire le dénouement imprévu. Dans cette première nouvelle ‘la chute’ est surprenante. Malgré l’horreur du geste perpétré - il s’agit d’une gifle que l’homme a donnée à sa femme- ce n’est pas tant la transgression de l’interdiction elle-même que la triste, tragique,conséquence, qui frappe le plus le lecteur.

Par contre, dans la nouvelle ‘Un sous-sol humide pour trois artistes’, le geste fatal laisse place à l’absurde, qui possède, lui aussi,son importance dramatique. En fait, il faut souligner que si Mustafa Taj-Aldeen Almusa, hanté par la guerre qui ravage son pays, puise surtout dans le monde qui l’entoure, il s’inspire également du surnaturel et de l’absurde, sous les traits d’un fantôme ou d’un génie ou encore d’un animal doué́ de raison. Dans la nouvelle ‘Un sous-sol humide pour trois artistes’, un rat, cherchant refuge dans un sous-sol étrange et recouvert d’une épaisse poussière, trouve trois tableaux posés chacun sur un chevalet. Trois tableaux dont les personnages s’animent à la vue du rat. Il nous suffit de dire ici que la « chute » de cette nouvelle vatotalement l’encontrede la signification symbolique fort déplaisante, habituellementliée à cet animal:

« Le rat sentit son cœur écrasé, ou plutôt anéanti, en imaginant le sort misérable de cet homme au bras amputé. Les cris émanant des toiles, le suppliant de venir à leur secours, le laissaient complètement impuissant, paralysaient son esprit et l’empêchaient de réfléchir. » (p.21).

Basées sur le système de l’engrenage systématique et impitoyable, les nouvelles de cette anthologie, témoignent toutes d’une vision pessimiste à l’extrême, d’où cet étrange arrière-goût d’amertume et de pitié ressenti par le lecteur. Comme L’Echelle de la mort, de son compatriote Mamdouh Azzam, cette anthologie, La Peur au milieu d’un vaste champ et autres nouvelles peut, elle aussi, servir de base à d’utiles réflexions et constituer un enseignement utile: critique indirecte des temps présents, et possibilité donnée d’en tirer des conclusions.

Mustafa Taj-Aldeen Almusa, La Peur au milieu d’un vaste champ et autres nouvelles.
Nouvelles traduites de l’arabe (Syrie) par Amal Albahra, ACTES/SUD, janvier 20, Paris, 160 pages (disponible en livre numérique)

Rafik Darragi