News - 20.12.2019

Mohamed Salah Ben Ammar: De l’audace, toujours de l’audace…et moins de populisme!

Mohamed Salah Ben Ammar: De l’audace, toujours de l’audace…et moins de populisme!

Le 17 décembre, incrédule j’ai regardé le discours du président Kais Saied à Sidi Bouzid. Difficile de dire si c’est un discours de meeting électoral ou celui d’une assemblée générale de faculté où l’on s’arrache le micro, mais ce n’est certainement pas un discours de chef d’Etat !

Un flot de paroles incessant, de vagues promesses, des sous-entendus lourds de conséquences, de graves affirmations répétées à satiété, sans preuve. Chaque affirmation, insinuation d’un président de la république peut avoir des conséquences incalculables et ce fut le cas le lendemain à Tataouine.

Aujourd’hui, pour beaucoup de nos concitoyens, occuper une fonction est systématiquement synonyme de népotisme, de corruption, pire d’incompétence. Le gouverneur de Tataouine a été exfiltré avant-hier et le siège du gouvernerat est occupé par des citoyens mécontents. Les fonctionnaires ont été jetés en pâture. Ce gouverneur n’est ni le premier ni le dernier, beaucoup de ces collègues ont été licenciés pour un oui ou pour un non. Il parait qu’aujourd’hui les potentats locaux se permettent d’appeler les ministres en public pour donner leur avis sur les nominations de fonctionnaires dans la région.
J’ai pu constater de visu la détresse de certains hauts responsables régionaux. Ils vivent assiégés, dans l’incertitude du lendemain, dans un climat d’hostilité, sans leur famille dans des régions où règnent en maitres des contrebandiers. Ils sont des fusibles. Les mouvements des gouverneurs ne se comptent plus. C’est le cas des grands commis de l’Etat qui sont humiliés, sacrifiés par des politiques qui ne voient que leurs intérêts.

Comme c’est souvent le cas, les plus malins se sont approprié l’élan révolutionnaire. Il est facile pour des politiciens opportunistes de s’approprier après, des slogans consensuels comme liberté, dignité, justice, travail et de les utiliser pour gagner des élections. Mais ils proposent exactement quoi sinon de caresser le peuple dans le sens du poil ? Le peuple veut !!! Mais encore ? Les exigences du peuple doivent être entendues mais les utiliser comme slogan est à mon avis le summum de la manipulation ? Un populisme teinté d’une religiosité bien mise en évidence a fait gagner les élections, bientôt, ils commenceront à réaliser qu’il est autrement plus compliqué de gouverner.

Tous les experts le disent le pays a besoin de réformes urgentes et qui dit réformes dit mécontentements. La situation économique est catastrophique. On a beau nous expliquer qu’un euro à 3 dinars 15 ou un dollar à 2 dinars 70 sont des signes de bonne santé, nous avons du mal à le croire ! Installer un scanner ou commencer les travaux de rénovations d’un service font désormais l’objet de conférences de presse de propagande !!! On peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres, la réalité de la crise est palpable à chaque instant. Les tensions sociales sont à leur nadir, des secteurs entiers sont en faillite. Or que voyons nous venir pour 2020, un gouvernement de gestionnaires qui tarde à voir le jour, il sera composé certainement d’honnêtes personnes, mais sans vision et de toutes les façons incapables d’avoir un chef capable de mener à bien les réformes douloureuses que le pays attend depuis 9 ans. Cela était prévisible, ils ont gagné les élections sur des slogans et non des programmes. Le pseudo-programme de gouvernement qui circule a été élaboré par une personne désignée pour des raisons obscures, elle n’a jamais été élue et elle n’a jamais fait de politique. Nous payons déjà assez cher les marchandages et les alliances contre nature du précèdent quinquennat. Ce n’est pas ainsi qu’une démocratie devrait fonctionner.

Autre paradoxe de notre paysage politique. Ces mêmes élus savent que des composantes de la société civile de tous bords bloqueront les réformes à entreprendre, alors ils évitent d’agir. Depuis 09 ans, certains qui s’auto-déclarent révolutionnaires, sont en fait devenus la plus grande force d’inertie du pays. De l’autre côté de l’échiquier, les grandes fortunes profitent des failles et continuent à prospérer au détriment de toute logique économique.

La dégradation des services publics a atteint des niveaux inacceptables, santé, enseignement, transports sont en souffrance extrême, la dette des sociétés étatiques est colossale, tous crient au loup mais s’opposent à la moindre petite réformette. Ils savent que chaque action correctrice modifiera les équilibres existants et les droits acquis. C’est ceux qui dénoncent la dégradation des services publics qui ne proposent rien si ce n’est encore plus d’avantages ! Ceux-là mêmes qui sont quotidiennement dans les bureaux des ministres pour défendre leurs intérêts restreints.
Ils ont beau s’en prendre à Bourguiba, ils découvrent que n’est pas réformateur qui veut ! En revanche faire des discours enflammés, aller sur les sentiers battus est à la portée de beaucoup. L’histoire récente nous a démontré où Nasser, Castro, notre voisin Kadhafi et d’autres ont mené leurs pays respectifs.

Entamer des réformes provoquera des remous sociaux, des grèves, des contestations et la mobilisation d’une presse aux ordres, il faut beaucoup de légitimité et d’audace pour les affronter. Affronter la contestation n’est pas donné à tous. Nous avons perdu cinq années et malheureusement l’accouchement dystocique du gouvernement nous annonce des jours difficiles. Nous commençons à réaliser que les résultats des élections de 2019 risquent de nous faire perdre cinq autres années.

Dr Mohamed Salah Ben Ammar