News - 12.12.2019

Mohamed Salah Ben Ammar: L’aumône comme alibi

Mohamed Salah Ben Ammar: L’aumône comme alibi

L’article de loi portant sur la création d’une caisse de Zaket dans la LF 2020 a suscité des débats passionnés. Pourquoi un gouvernement qui se dit « moderniste » a-t-il accepté de l’insérer dans la LF 2020 ?

Personnellement je trouve que cette affaire est riche en leçons. Clairement, la finalité première de ceux qui l’ont proposé n’était pas de lutter contre la pauvreté, c'est une manœuvre politique. Pour les porteurs du projet, toutes les occasions sont bonnes pour souligner encore un peu plus les écarts qui existent dans notre société, entre ceux qui prétendent craindre Dieu et parlent en Son Nom c’est-à-dire eux et les autres, les modernistes, les occidentalisés, les vendus, ceux qu’on traite parfois de « mécréants » et ce fut le cas pour la caisse de Zaket.

Depuis 2011 les attaques contre notre modèle de société se suivent et se ressemblent, le projet de caisse de l’aumône n’est qu’une des facettes d’un vaste projet de transformation de notre société et de l’appareil de l’Etat. Les forces rétrogrades n’hésitent pas à recourir à toutes les manœuvres pour exploiter à l’infini et sous toutes les formes les tensions perceptibles dans notre société. Réactiver les Habous ou créer un fond de Zaket relèvent du même modus operandi, des mêmes références idéologiques, de la même rhétorique, les mêmes arguments sont avancés…Sans tenir compte de notre histoire récente et passée, ils ont décrété que notre société devait avoir une identité, unique et invariable, la leur, une lecture de la religion, la leur, une façon de penser l’avenir et même une tenue vestimentaire pour les femmes. Ceux qui sortent du rang sont traités de renégats, de mécréants, de الإستئصاليون, de collaborateurs et insulte suprême d’agents du sionisme.

L’étendue de la pauvreté est une honte dans nos sociétés. Les écarts de richesses entre les classes sociales sont indécents, une offense, une atteinte à la dignité humaine. Oui, il faut plus de justice sociale et beaucoup plus de sérieux pour une juste répartition des richesses, mais jamais dans l’histoire une droite ultra libérale n’a réussi à le faire, bien au contraire, elle a toujours enrichis les riches et appauvris les pauvres. Distribuer des cartables ou du riz ou construire un dispensaire par-ci par-là à travers un nouveau 26-26 n’est que démagogie et ne peut constituer une solution efficace pour lutter contre la pauvreté. Bizarrement, on aborde de façon pudique le sujet de l’évasion fiscale dans notre pays, quelle est son ampleur ? Existe-t-il une réelle volonté de lutter contre ? L’utilisation de l’argent publique est-elle optimale ? La fuite des capitaux se chiffre à combien depuis 2011 ? Comment pourra-t-on les rapatrier ? Jusqu’à quand notre économie sera-elle encore entre les mains de 10 familles qui contrôlent tous les secteurs, la production, la distribution, la banque, l’assurance…et même dit-on la presse et les partis politiques ? Notre pléthorique administration a-t-elle les moyens d’assurer ses missions ? Ses méthodes de travail sont-elles adaptées aux impératifs du moment ?

Alors ne tombons pas dans le piège des débats autour de sujets d’un autre temps. Arrêtez Messieurs de vouloir nous faire revenir en arrière, non la femme n’est pas le complément de l’homme, elle est l’égale de l’homme en droits et devoirs, héritage inclus. Manger pendant le Ramadan est mon problème. Recourir à l’assurance n’est pas interdit, il est même obligatoire si l’on veut se protéger et protéger les autres, les intérêts bancaires sont peut-être malsains mais nous sommes obligés de nous y plier et le recours à des subterfuges pour les rendre "hallals", reviens exactement au même sinon pire. Recourir au calendrier hégirien, ou aux chiffres indiens ou porter le voile ne fera pas de nous de meilleurs musulmans... Arrêtons de nous contorsionner pour mettre les impératifs de la modernité dans le moule d’une lecture rétrograde des principes religieux. On ne peut plus nous tromper, la religion a été trop souvent instrumentalisée au service d’idéologies oppressives.

Le temps des idéologies d’Etat est dépassé. Mobilisons nos énergies pour aborder les vrais défis de l’heure sans préjugés, les problèmes qui taraudent nos jeunes, ceux qui minent notre société, notre enseignement, notre médecine, les freins qui plombent notre économie sont immenses. Réveillons-nous, la mondialisation a fait de nous une société de consommation qui regarde passive la caravane du progrès s’éloigner de nous, tous les jours.

Dr Mohamed Salah Ben Ammar