News - 11.10.2019

Présidentielles et Législatives 2019 - La gauche, un échec cuisant: Evaluation à l’aune du «peuple»

Présidentielles et Législatives  2019- La gauche, un échec cuisant: évaluation à l’a une du «peuple»

L’évaluation, le bilan, le doute nécessaire à toute relance

Il est évident que la gauche tunisienne, considérée comme un fleuron des gauche (s) arabes vient  d’essuyer un échec cuisant eu égard aux résultats des présidentielles et des législatives de septembre octobre 2019. Après le score très bas de Abid Briki, de Hamma Hammami et de Mongi Rahoui (présidentielles), ainsi que la chute des listes de gauche aux Législatives, un des premiers réflexes qui devrait jaillir des élites dirigeantes de cette gauche tunisienne est de reconnaitre sa responsabilité d’abord, et surtout ne pas jeter l’anathème sur les autres, sinon l’Autre rappelant la vieille et sempiternelle justification du « complot extérieur ». On attend, on verra peut être venir avant qu’il ne soit trop tard, bien sûr, sachant qu’un des points faibles, et que l’on peut aisément repérer dans l’examen de l’historiographie de la gauche tunisienne depuis les années 1960  jusqu’à aujourd’hui, c’est ou bien l’absence de bilan  ou bien « le bilan est globalement positif », formule consacrée, héritée des partis communistes des pays de l’Est. Fini le temps immémorial des bilans émanant du Komintern et les critiques radicales et profondes qui rappellent les péripéties  de la NEP ou les remises en cause des processus de gauche qui se sont identifiés au capitalisme d’Etat, (Charles Bettelheim), stigmatisation  qui a fini par avoir le dessus sur les prétentions voulant apparenter le processus bolchevique sous Lénine et Staline en Union Soviétique à un socialisme BCBG. Fini le temps où un échec donne lieu tout de suite après, illico presto,  à des débats houleux mais fertiles, parfois violents mais combien régénérateurs de la pensée et des esprits, insufflant par la même une nouvelle énergie, un dynamisme tout neuf pour l’étape à venir. Pour le moment on attend Godot, viendra ?, viendra pas ? Il y a lieu d’espérer.

Le « peuple », de la métamorphose philosophique à la potion magique

Les revers, ou plutôt les défaites qui m'interpellent sont celles de la gauche classique (celle qui est organisée dans des structures partisanes, associatives ou toute autre structure de lutte politique. Pour établir le diagnostic, la technique que je vais employer est celle du révélateur (comme en chimie)  Le révélateur employé c’est l’usage fait du mot « peuple » dans le discours et la pratique de ces composantes de la gauche, au quotidien de leur combat pour arriver au pouvoir, objectif classique de tout parti politique.

En effet le mot « peuple » a été revigoré par la pensée de gauche, notamment, disons, pour adopter un schéma quelque peu grossier, mais suffisamment explicatif , depuis le XIX e siècle, est devenu un label de la gauche.

Pour chuter au XXI è siècle avec le sens laudatif employé et qu’on lui connait aujourd’hui dans le discours politique, le mot « peuple » a été expurgé des « scories » philosophiques antiques  qu’il a charriées telle que la distinction dans la Rome antique entre la plèbe (ceux qui triment) et les citoyens (ceux qui votent) ; dans la révolution française où les « sans culotte » constituent le noyau dur du peuple dont ils sont issus, stigmatisés qu’ils étaient par le sentiment de mépris que leur jetait l’aristocratie de l’Ancien Régime ; jusqu’aux derniers phénomènes incorporant le peuple dans les principes d’auto détermination contre le colonialisme en passant par le marxisme et les marxistes qui donnent au peuple le sens d’un ensemble quelque peu homogène de classes sociales évoluant dans la même formation sociale ayant des traits communs (territoire, religion, langue, ethnie, valeurs communes, appartenances communes, etc.°, rappelant le terme de « nation » ) pour enfin se fixer sur la partie à en extraire, la partie la plus lésée, la moins favorisée, celle à qui il incombe de travailler, pour survivre, de connaitre les affres du pouvoir politique oppressif, etc.  Et c’est ainsi que le mot « peuple » est devenu un mot magique, grâce à l’accouplement auquel il a été destiné, accouplement avec les termes qui représentent le réservoir des valeurs universelles connues à ce jour, six à mon sens : peuple éthique, peuple-justice, peuple-liberté, peuple-égalité, peuple-« progrès ».

C’est ce dernier sens de réservoir des valeurs , réservoir objet de conquête idéal pour un parti politique de gauche qui est la véritable potion magique, et qui est, en principe, sollicité par les tribuns politiques, chefs de partis qui ont pour objectif la prise du pouvoir, en passant par les urnes dans les trois RV de rencontre avec l’Histoire, la tripe élection municipale, législative et présidentielle.

Le «peuple», l’absent présent dans les politiques de gauche

A priori, les forces de gauche, dans leur expression politique, ont un registre langagier qui, normalement, les prédispose à mieux cerner la réalité qui les entoure et à savoir agir et, par conséquent, se mouvoir de façon à atteindre leur but. Le terme qui est au centre de leur stratégie est celui de "peuple", et quel terme !, il semble ouvrir la voie de la liberté, de la justice et de l'éthique. Or, le « peuple » dans le discours et la pratique des gens de gauche semble être un « absent présent » sollicité souvent pour les besoins de la cause ou bien pour les urgences du moment. Le contenu qu'ils y mettent  est certes, plutôt un contenu plein de « bonnes intentions ». Mais à bien y regarder, c’est un terme qui égrène les discours au parlement ; qui décore le fronton des partis ; qui sert de bouche trou quand on est en manque d’arguments devant un électorat exigeant (si on est candidat aux élections) ou devant un auditoire  vigilant (si on est un orateur face à des jeunes diplômés chômeurs par exemple) ; ou si l’on manque de population cible précise quand on est tribun en campagne. C'est tout aussi simplement valable pour tout autre intellectuel (dans le sens de bricoleur des idées). Sachant que les plus futés parmi ces intellectuels vous diront "avec le peuple il faut avoir un rapport organique" et dès que vous demandez ce que c'est ils te citent du haut de leur science infuse Gramsci et toute la clique apprise à l'université.

Le succès de Kais Saied et de Nabil Karoui  (relativement au score bas obtenus par la gauche)  nous permettent de dire que le « peuple » n'est certainement pas ce qu'ils croient être. Des leçons, d’ailleurs connues, mais négligées sont à rappeler : Le peuple est une notion toute concrète : Le paysan ne croit qu'à l'expérience, au secours urgent quand le bétail, (la ressource et la source de sa survie, lui et sa famille), risque de disparaître par manque de fourrages, il ne croit pas aux livres ni aux boniments. Le chômeur vous sourit quand vous êtes présent pour le soutenir quand il en a besoin. La veuve, la divorcée n'a besoin que de celui ou celle qui la défend effectivement face à un juge injuste.

Et puis, pourquoi tant de démonstrations, il suffit de savoir regarder pour se dire que le peuple est là pour celui qui sait voir, et qu'on n'a qu'à le visiter, aller à sa rencontre. Le peuple, en ville, est, dans les bidonvilles populeux et crasseux, dans la rue la plus proche, un voisin en détresse, une femme battue, un enfant qui a faim, mais il est surtout dans les sabasib du Centre, dans la montagne (Ain Draham et ailleurs), dans les douars et les gourbis du Nord Ouest, c'est là que se trouvent les enclavés, les sans abris, les mal chaussés, les non instruits, les mal chauffés, les mal logés. Ceux-là, quand tombe la neige sur les cimes et les plaines, ne croient qu'aux actes, qu'à la présence effective contre le froid qui sévit. Ils serrent avec chaleur la main qui leur est tendue, avec sens aigu de la fidélité et de la sincérité. Ils ne croient pas aux médias ni aux discours, seule la présence physique leur apporte le réconfort qu'ils attendent de vous avec espoir d'en être digne et de le continuer sans relâche. Et c’est la que l’engagement politique s’entrelace avec la sensibilité à fleur de peau  C’est cette émotion qui indique la fidélité et la sincérité qui distingue un homme et une femme de gauche d’un autre et c’est cela que retiendra le pauvre, le marginalisé et le réprimé, c’est cela qui imprimera sa rétine d’une image indélébile. Et c’est cela qui viendra à point nommé récompenser, à juste titre, sans qu’on s’y attende le score de la gauche.

C'est dans le contact direct et la présence physique que résident les succès de Kais Saied et de Nabil Karoui. La gauche, pour être fidèle à son slogan de toujours, « jonction avec le peuple » doit cesser de  prendre le peuple pour un élément du discours, une panacée fourre-tout, un bouche-trou vite rappelé pour venir au secours lors des passages à vide de l’orateur , une monade philosophique et un faire-valoir d’un progressisme de pacotilles. Cette gauche est appelée à considérer  le terme peuple comme une donnée qui incite à sortir de son fauteuil, à quitter le confort urbain, à plier les genoux et s’asseoir par terre, à renifler l’humus de la terre et la sueur du producteur, sans relâche et sans renoncement.

On a envie de dire à notre gauche, de grâce, cessez de prendre "le peuple" pour un mot, sachez que c'est un mot qui n'a de sens que dans le concret, le quotidien, le présent et l'effectif. Tout autre sens est, dans l'action politique, un leurre et au meilleur des cas un verbiage.

Laroussi Amri