News - 25.09.2019

Kamel Jendoubi - Election présidentielle: Il ne me reste donc que le bulletin blanc

Kamel Jendoubi - Election présidentielle: Il ne me reste donc que le bulletin blanc

Des amis et des proches me demandent pour qui je voterai au second tour de l'élection présidentielle. Je leur dois de m'exprimer publiquement tout comme je l'ai fait au premier tour en soutenant la candidature d'Abdlekrim Zbidi (voir la pétition: http://chng.it/ZjmFFFW6).
Je ne peux cacher mon malaise face aux résultats du premier tour et aux conditions dans lesquelles se déroule cette élection présidentielle.
Les principes essentiels, d'équité et d'égalité de traitement entre candidats, sont allègrement battus en brèche. Le maintien de Nabil Karoui, un des deux gagnants du premier tour, en détention préventive met gravement en cause l'intégrité et la sincérité de l'ensemble du processus électoral et peut plonger le pays dans une crise encore plus grave et plus périlleuse. Le candidat qui sera déclaré «victorieux» ne sera pas considéré comme un président légitime par le camp adverse. Et l'Assemblée des représentants du peuple qui sortira des élections législatives du 6 octobre 2019 aura une configuration telle qu'une crise de régime n'est pas à exclure. Deux légitimités
pourraient s'opposer frontalement bloquant tout le système et paralysant l'Etat et le pays.
Aucun des deux candidats gagnants du premier tour ne m'inspire confiance. Aucun des deux ne me rassure sur l'intégrité de l'Etat et sa bonne conduite. Je refuse donc de choisir entre Kais Saied et Nabil Karoui.
La vérité est que je ne les connais pas. Ils sont sortis de l'ombre d'une Tunisie que je côtoie mais que je n'ai pas suffisamment pris la peine d'analyser. Et surtout d'écouter sa détresse, d'évaluer sa misère ou de mesurer son désespoir. Je me suis mis, comme beaucoup, à lire, à me documenter, à chercher à mieux comprendre ces deux personnages arrivés en tête au premier tour. Je n'ai pas appris grand-chose à l'exception des clichés et des préjugés. Car ces deux candidats, bien qu'ils soient connus du public, parfois pour leurs esclandres, sont peu diserts sur leurs visions et leurs projets. Leurs propositions sont floues et certaines dangereuses. Outre le fait qu'ils n'ont jamais assumé de responsabilités publiques de quelle que nature que ce soit. Je ne discute pas leur droit à se présenter et à solliciter le suffrage des Tunisiens. Mais je crois que la responsabilité d'un chef d'Etat exige certaines qualités éprouvées qu'aucun des deux candidats, a priori, n'a.
Ainsi donc notre pays sera présidé, pour un mandat de cinq ans, par un inconnu tant de l'intérieur que de l'extérieur, alors que sa situation est délabrée, qu'il se situe dans une région agitée, à l'heure où le monde est dominé par des tensions croissantes et une compétition sans merci entre les puissants.
Certains ont parlé de séisme. En réalité, ce dernier a eu lieu en 2010-2011 via une Révolution qui a fait fuir le despote. Puis, le pays a connu une première réplique de forte amplitude avec le choix, opéré par une majorité relative des électeurs tunisiens, de porter au pouvoir Ennahdha, représentant de l'islam politique, en 2011.
Faisant le constat de la gestion chaotique de la Troïka aux conséquences désastreuses y compris violentes, une autre majorité, toujours relative, d'électeurs tunisiens a engendré, en 2014, une
deuxième réplique en portant son choix sur les « modernistes», certains venant des rangs de la génération de l'indépendance alors que d'autres avaient présidé aux destinées de l'Etat national, voire sont le produit de son action. Cinq ans ont passé, cette génération, appelée à la rescousse pour « restaurer le prestige de l'Etat » et rééquilibrer le champ politique dominé par l 'islam politique, croyant faire du neuf avec du vieux, a laissé derrière elle une véritable bérézina dans tous les domaines. L'espoir des réformes susceptibles de relever les défis de la pauvreté et des inégalités sociales, économiques et régionales, à l'origine de la révolution, est ruiné. Le désarroi, la déception et le désenchantement sont à la base de la troisième réplique, d'une amplitude encore plus forte et plus déstabilisante : le rejet du « système » (almandhouma) ( partis et élites) dans le cadre d'un choix qui s'apparente à bien des égards à celui du désespoir et qui va donner lieu à un saut dans du « déjà connu » : nouvel affaiblissement de l'Etat, instabilité, désordre ... autant d'éléments qui retarderont la prise à bras-le-corps des différents maux que connaît la Tunisie démocratique. Et faire sombrer cette expérience prometteuse.
Alors quel choix dois-je faire? Celui de l'abstention et du refus de voter ! Assurément pas, moi qui ai milité toute ma vie, avec tant d'autres, pour que le vote et l'élection démocratique soient les modes de désignation de nos élus à tous les échelons et ceux du règlement pacifique de nos conflits.
Il ne me reste donc que le bulletin blanc : «un bulletin de vote qui ne comporte aucun signe quel qu'il soit»
J'irai voter même si ma voix ne sera pas comptabilisée parmi les voix exprimées. En faisant partie du comptage des bulletins blanc, mon vote exprime et signifie que ce qui m'est proposé ne me convient pas. Et ne convient pas à mon pays qui, déjà en crise, va au-devant de plus de dangers et de plus de souffrances.
Oui, le vote blanc est un vote actif et citoyen. Plus il est massif, plus le message sera entendu. Un message à partir duquel on peut reprendre l'action pour reconquérir la confiance des Tunisiens et des Tunisiennes, surtout les jeunes et les femmes, en un Etat protecteur et intègre, pour persévérer dans la défense et la promotion de l'égalité, de nos libertés individuelles et collectives, pour redonner la dignité à celles et à ceux qui, par manque de revenus, de travail, des soins ne font que survivre avec, à cœur, l'avenir de nos jeunes.

Kamel Jendoubi