News - 10.09.2019

Monji Ben Raies: Quand la citoyenneté signifie destinée

Monji Ben Raies: Quand la citoyenneté signifie destinée

Il arrive parfois que la seule façon de guérir une blessure soit de faire la paix avec le démon qui l’a infligée. Il y a des choses qui sont au-delà de notre compréhension et le comportement de masse des peuples, mû par le facteur humain en fait partie. C’est notre devoir de les accepter et d’apprendre d’elles, parce que ces moments de crises sont aussi des moments potentiels de foi; des moments où l’on s’accomplit ou l’on s’effondre complètement. La nature trouve toujours un moyen de retrouver son équilibre, lorsqu’elle doit affronter le chaos; il ne nous reste alors qu’à savoir quel sera le rôle que le peuple va pouvoir jouer.

Les hommes ont été dotés à la naissance de facultés extraordinaires, et pourtant, ce sont toujours des enfants trébuchant dans l’obscurité, à la recherche d’un guide. Dans notre réalité, un don peut être une malédiction; donnez leurs des ailes et ils voleront trop près du soleil; donnez leurs le pouvoir d’un prophète, et ils vivront dans la terreur du monde à venir; donnez leur le plus grand des pouvoirs, un pouvoir dépassant les limites de l’imagination, et ils pourront se croire maîtres du monde. Des armes de guerre, des superpuissances, les faibles se sont emparés de notre monde. C’est pour cela qu’ils montrent ces fausses divinités, des idoles sans vie, toute cette matérialité dont il n’est nul besoin. Ne voir que les points positifs, garder espoir d’un monde meilleur, qui n’a pas rêvé de cet idéal. Il faut sans cesse espérer le mieux, tout en préparant le pire.

Nous avons vécu des siècles durant dans l’ombre de cet adage, que l’on peut lire sur le cartouche du Centre Culturel des Armées à Madrid, Si vis pacem, para bellum, et qu’on ne sait à qui attribuer, si ce n’est à une certain auteur romain, ‘’Végèce’’, qui écrivait: « Igitur qui desiderat pacem, praeparet bellum » dans un extrait de ‘’Epitoma Rei Militaris’’, «Ainsi, celui qui désire la paix devrait préparer la guerre. Celui qui désire la victoire devrait entraîner soigneusement ses soldats. Celui qui désire des résultats favorables devrait combattre en se fiant à ses habiletés et non à la chance».

Mais le monde a besoin d’un objectif transcendant, quelque chose de plus grand que nos petites rivalités, surtout depuis l’échec des systèmes et des idéologies. Nous vivons des heures difficiles et l’horizon s’obscurcit. Nous allons prochainement être confrontés à un choix radical. Après avoir expérimenté toutes les options qui s’offraient, une conclusion s’impose. Notre guerre contre le terrorisme et la corruption, notre ascension vers la démocratie et l’égalité de tous, ne seront pas gagnées avec des comités ou par des débats ou par des procédures conventionnelles. Elle ne sera gagnée qu’avec des citoyens ayant le courage de faire ce qui est nécessaire ; de prendre les décisions qui assureront notre sécurité ainsi que la survie de notre Démocratie naissante et de notre Nation. Inutile de prendre les armes comme l’ont fait nos prédécesseurs. Faisons un rêve, tous ensemble!

Le rêve d’une nation est de nature éthique. Il incarne à la fois la liberté de croire, de penser et l’égalité. Cette idéologie, est un désir d'abondance et de liberté éclairés par un rayon d'idéalisme, la nature fondamentale de la personnalité citoyenne, qui s'exprime par la saine compétition, accrue par son perfectionnement et son sens de l'individualité dans la collectivité. Nous devons faire ce rêve d’une nouvelle vie, pour notre pays et son peuple, laisser nos affaires passées au lieu d'origine et tout recommencer pour le hisser vers le sommet. Croyons en ce rêve; et même si nous n’y croyons pas encore, ce n’est pas grave, laissons-lui une chance d’éclore et de se réaliser dans un proche futur. Il faut se convaincre d’essayer et commencer à écrire notre avenir à partir de ce rêve, inscrivons-le, notons-le dans les livres d’histoire. Ce n’est pas évident lorsque l’on se trouve, là où nous nous trouvons, lorsque l’on n’a aucune visibilité sur l’avenir. Mais comment l’avenir pourrait-il être différent, lorsque rien ne change aujourd’hui, que ce soit dans l’esprit, dans les mentalités, dans les coeurs ou dans les actes ? il faut essayer de nous améliorer. Nous n’avons pas besoin de croire indéfectiblement dans des lendemains meilleurs pour essayer, pour donner une chance d’avenir pour nos générations futures. Croyons en nous et dans la force de notre pays et de notre peuple, car la Tunisie et son peuple, tout en faisant partie du monde, sont des exceptions parmi les peuples et les nations de la Terre. Un espoir pour toute personne qui vit, que ce soit en Tunisie ou ailleurs ; ici, il est possible de bâtir notre réussite à force de persévérance et de travail, sans distinction d’origines, de coutumes ou de religions, de faire de notre pays un exemple à suivre. Décrivons ce rêve d’une vie meilleure pour tous avec des opportunités pour chacun. Partant de rien, la Tunisie est le pays de tous les possibles. Peu importe la position sociale à laquelle l’on appartient ou le lieu dans lequel l’on est né, chacun peut atteindre le sommet s’il s’en donne les moyens. Faisons nôtre le credo inscrit dans la Déclaration d’Indépendance universelle des Droits: «Nous considérons que ces vérités sont évidentes, que tous les hommes ont été créés égaux, qu’ils ont été dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables qui sont notamment la Vie, la Liberté et la poursuite du Bonheur». Ce rêve doit être alimenté par la ressource quasi inépuisable du pays, son peuple. Depuis toujours, cette ressource inestimable a concouru à sa prospérité. Ouvert sur deux mondes, l’aspect cosmopolite du pays tunisien génère toujours plus d’idées novatrices qui peuvent toucher toute la population, et rendre les échanges plus aisés. Notre rêve doit être porteur de valeurs, qui incitent chacun à viser le sommet, à donner le maximum, ne pas s’arrêter sur un échec, faire que la Tunisie promette une vie réelle pour tous.

Pourquoi avons-nous peur? Il est naturel de craindre un saut dans le vide, mais une fois en chute libre, nous ne ressentirons que de la joie et de l’exaltation, un accomplissement. Tout ce dont nous avons eu peur précédemment n’a aucune utilité. La morale de l’histoire est toute simple ; ne laissons pas nos pensées négatives, nos peurs, prendre le dessus sur notre volonté et notre raison. En huit ans, l’époque a changé et les mentalités aussi, raisons pour lesquelles le rêve n’est plus le même. Si travailler dur pouvait suffire à réussir dans les années 1950, ça n’est plus le cas aujourd’hui et beaucoup en sont conscients. Pourtant, on peut clairement voir le reflet de ce rêve au travers de nos succès. La frontière entre le rêve et la réalité est donc quelque part entre la persévérance et l’obstination. La réussite est sacrée, car elle apporte de la valeur aux autres, donne et laisse une marque et permet aux autres de connaître le succès.

Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste, Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar, Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.