Opinions - 21.08.2019

Elections 2019 : Que faire

Elections 2019 : Que faire

Une appréciation, communément admise maintenant, concernant les échéances électorales prochaines et les défis qu’elles posent au pays et à chacun d’entre nous : elles sont cruciales.
Sans exagération, en réfléchissant un minimum de temps, on peut percevoir que de leur issue dépend la poursuite de la déliquescence de notre tissu social et de l’effondrement de notre patrie, ou l’apparition d’un espoir de renaissance et l’émergence d’une voie de redressement.

Chaque citoyen est responsable de ce qui va advenir, par l’impact direct de son action: participer ou pas, voter comme ci ou comme ça, aura un impact direct sur la nature du résultat.

Les dés sont jetés : les candidatures ont été déposées pour la présidentielle et les législatives.

Quels sont les enjeux des élections qui viennent ? Pas moins que le salut du pays, son sauvetage après les échecs des pouvoirs issus des élections de 2011 et 2014, et les désillusions et désenchantements qui ont accablé notre peuple après lesespoirs soulevés par la Révolution. L’enjeu de ces élections est de sortir notre Patrie de la voie du désordre et du déclin dans laquelle on l’a mise.
Les gouvernants issus des élections de 2011 et 2014, ont trahi les attentes des larges couches de la population, mais ils se sont rué sur les institutions de l’Etat pour satisfaire leurs propres intérêts et ceux des groupes de pression qui les soutiennent: c’est la gestion publique selon le principe de la prédation et du butin.

Toute personne rationnelle comprendrait qu’une candidature issue de ces pouvoirs est à exclure.

Je ne reviendrai pas sur Ennahdha, matrice de tous les problèmes que vit le pays depuis 2011, ni sur les personnalités issues de Nidaa Tounes, ......, à part Youssef Chahed.

Aucune personne avisée ne peut ne pas voir son incompétence personnelle, de celle de son entourage immédiat, et de celle de son gouvernement ! Passez-les en revue tous et examinez leur correspondance au poste qu’ils occupent, les actions qu’ils ont menées et les résultats qu’ils ont obtenus ?

Et puis, au delà de la gestion courante, un fait majeur a marqué le parcours récent de Youssef Chahed et des gens qui ont quitté leurs partis d’origine pour rester au gouvernement avec lui. C’est le tournant de la fin des discussions de Carthage 2 : quand le président de la république, élu au suffrage universel, Béji Caid Essebsi (paix à son âme) qui l’a nommé, a décidé de le changer, dans le cadre d’une nouvelle tactique politique, il s’est réfugié auprès de l’adversaire pour garder son poste ! La dignité et la loyauté auraient dicté de s’en aller, quitte à lutter politiquement de l’extérieur si on est convaincu de la justesse de son point de vue. Peut-on accorder confiance à ce genre de personnalité, qui plus est attendait jusqu’au dernier moment l’onction de la direction d’Ennahdha pour annoncer sa candidature ?

Certains pour contrecarrer Youssef Chahed et Ennahdha (disent-ils, quand on sait que Lotfi Zitoun était parmi les inspirateurs sinon les participants), ou d’autres,  ont ressuscité, sont allés chercher M. Abdelkrim Zbidi ! Rien que l’attelage visible, apparent (car il y en a d’autres, cachés, qui tirent les ficelles : en particulier les campagnes Facebook massives sponsorisées, qui coûtent si cher, témoignent de cela) révèle le caractère artificiel et préfabriqué de cette opération qui regroupe un assemblage hétéroclite d’opportunistes de tous bords. Le plus curieux est la démarche de Afek Tounes, qui se révèle ici plus proche des manœuvres politiciennes mensongères que de « Perspectives » et d’avenir ! (Certains connaissent peut-être le film « Back to Future », « Retour vers le futur »). Il semble que le chef de ce parti, comme ses autres acolytes dans cette opération, croit que c’est une personne qu’il pourrait manoeuvrer plus facilement, avec laquelle il pourrait trouver une position avantageuse !

Encore une fois, tous ces gens n’ont que faire de l'intérêt supérieur de la Nation et de son espoir légitime de sortir de la nasse dans laquelle on l'a mise.

D’autres candidats sont mis en avant par les médias et certains groupes de la population : Nabil Karoui, Abir Moussi et Kais Said.

Prenons Nabil Karoui, le publicitaire qui a fait sa télé avant la révolution (vous imaginez cela sans complicité avec l’ancien pouvoir et ses cercles d’influence ?) associé à l’italien Berlusconi. Vous voyez les forces qui soutiennent celui-ci en Italie ? Etles alliés de Karoui du côté de la Libye, vous les voyez ? Alors je vous prie d’imaginer notre pays ouvert aux vents mauvais venus de l’est et du sud. Ne parlons pas de son exploitation éhontée des malheurs des gens et de leur crédulité pour se construire une stature d’’’ami des pauvres’’ ! Quand on se sent touché par le sort et voulant la rédemption et la miséricorde divine, on la pratique discrètement, et certainement pas l’utiliser pour avoir des positions de pouvoir politique ! Sans détailler les multiples autres suspicions qui le concernent. Certaines personnes, instinctivement ‘’émues’’ par sa ‘’bienfaisance’’, étaient, après explications, presqu’en colère contre lui : ce qui les a chagriné le plus c’est l’utilisation de la mémoire de son fils pour récolter des avantages de pouvoir politique, une marque de manque de décence.

Abir Moussi, et son parti PDL, semble avoir un effet sur des personnes à priori dotées d’une forte rationalité, pour un argument central : son opposition frontale déclarée à Ennahdha et sa résolution de l’évincer de la scène politique ! Outre le fait que cela ne fait pas un programme pour l’Etat (elle semble le découvrir récemment, en parlant des dimensions économiques et sociales, ..), c’est un mouvement classique dans l’histoire des changements sociaux : après les déceptions, la nostalgie des temps anciens, qu’on a renversés pourtant, gagne certains segments de la population ; ce sont des velléités de restauration de l’ancien régime, vouées immanquablement à l’échec, car les conditions sociales et politiques ont changé. Avec quelles compétences dirigerait-elle l’Etat ? Sur quelles forces sociales s’appuierait-elle ?

Quant à Kais Said, c’est un mystère des sondages et de certains groupes de jeunes, traditionalistes, paraît-il.

Il y a aussi Mohamed Abbou et son ‘’Courant démocratique’’, avec la notoriété parlementaire de sa femme. C’est un groupe qui est resté fidèle à la ligne originelle du CPR, où la lutte contre la corruption tient lieu de l’Alpha et de l’Omega du programme de gouvernement. Si la lutte contre la corruption est une composante essentielle dans une gouvernance nationale efficace et équitable, le pays a également besoin d’une vision plus vaste, de programmes multiples et de compétences avérées pour la concrétisation.

Alors, que faire?

Je répondrai qu’il faut d’abord réaliser la gravité de la situation de notre pays, de son besoin existentiel d’une vision juste des solutions à apporter en urgence, ainsi que de personnel politique capable de rompre avec la médiocrité subie jusqu’ici et d’entrouvrir pour notre patrie la voie du redressement et de la renaissance.

Les incertitudes et hésitations qui peuvent être ressenties par chacun.e. sont parfaitement compréhensibles. Les dimensions de chaque personnalité, de chaque groupe politique, sont multiples. Les préférences des citoyens sont également diverses, et chacun détient un profil idéal dans sa tête.  Alors comment définir un critère synthétique, une base de décision ?

Les initiés de l’économie politique, de l’économie publique ou des sciences politiques, savent la difficulté d’agréger les préférences, trouver un indicateur « d’utilité sociale », et comparer les candidats à cette aune ! Mettez les candidats, leurs histoires, leurs potentialités, ce qu’ils proposent, en face et jugez rationnellement et avec discernement.
Pour ma part, j’ai regardé, échangé, observé, analysé, et cela depuis quelque temps, et je ne vois aujourd’hui comme planche de salut que le candidat Mehdi Jomaa pour la présidentielle, et les candidats d’Al Badil pour les législatives.

J’ai discuté à plusieurs reprises avec certains d’entre eux, notamment Hedi Larbi, Ridha Sfar ou Kamel Ben Naceur, et d’autres, et je n’ai trouvé que sérieux, honnêteté, conscience du moment historique de notre pays ; un avant goût de la compétence, la capacité de diriger, le leadership de Mehdi Jomaa et ses équipes, a été observé et constaté en 2014, lorsque le Dialogue National l’a chargé de stabiliser le pays après les crises majeures de 2013, et le conduire sagement aux élections de l’automne.

Des éléments importants de leur vision et de leur programme d’actions, pour apporter des solutions justes et équitables aux problèmes du pays, à la fois les urgences et les réformes structurelles, ont été présentés dans leurs réunions publiques ou sur leurs sites officiels. Avec la campagne officielle, on verra en détail leurs propositions pour le pays.

Certains reprochent à Mehdi Jomaa sa présence dans le gouvernement de Ali Larayedh en 2013. Il s’est expliqué à plusieurs reprises de cette présence en tant que technicien de l’industrie et non pas d’inféodé idéologique. De plus, sa période de chef du gouvernement a prouvé sa loyauté exclusive au pays et aux intérêts supérieurs de la nation. Les choses se sont encore plus clarifiées avec la création du parti Al Badil, le renforcement de son assise politique, et les confirmations successives du rejet de l’ ‘’Islam politique’’ et de ses représentants.

Une question est fréquemment évoquée pour la présidentielle : celle des prérogatives du président de la république selon la nouvelle constitution.

Il faut reconnaître d’abord la complexité, voire la bizarrerie, de notre système politique, avec son partage inefficace du pouvoir exécutif, et son émiettement du pouvoir législatif, conséquence directe de la loi électorale et du mode de scrutin choisi depuis la fameuse Commission des objectifs de la révolution, ...etc. Il n’est pas difficile de comprendre qui a tricoté tout ce dispositif et comment il lui assure la maitrise de tous les pouvoirs, par sa position pivot dansl’Assemblée des représentants (même si la modification du calendrier des élections déstabilise quelque peu ce schéma).

Alors les prérogatives du président : une version qui semble assez souvent rappelée prétend qu’elles sont limitées (à la défense nationale et les affaires étrangères, en ajoutant le Conseil de sécurité nationale); ceux qui retiennent cette version peuvent ainsi légitimer la présence d’une personnalité modeste dans ses capacités, juste représentant l’Etat et assurant des tâches protocolaires.

Et pourtant, outre la prééminence du Chef de l’Etat, conséquence de son élection au suffrage universel, il est le garant de la Constitution, c’est à dire la sentinelle du respect de ce que stipule la constitution, de son contenu. Or, si on regarde rien que les articles 10 à 15, et 38 à 48, notamment : ils traitent de droits économiques et sociaux, de ressources naturelles du pays, des services publics fondamentaux, de la gouvernance efficace des affaires publiques. C’est le cœur du contenu des politiques publiques et le président doit veiller et agir pour qu’elles soient menées au service de tous les citoyens sans discrimination.

Par ailleurs, dans tous les pays évolués du monde, avec les mutations multiples, géopolitiques, technologiques, climatiques, et l’augmentation des incertitudes, les conseils de sécurité nationale ont étendu leurs prérogatives à toutes les questions stratégiques. En outre, le président de la république peut présider le conseil des ministres chaque fois qu’il le souhaite, et être à l’initiative de projets de loi également.

Alors on peut voir ce qu’un président avisé et dynamique peut faire. Encore mieux s’il est appuyé par une majorité parlementaire portée par les mêmes ambitions, orientations et propositions pour le redressement du pays.

Tahar Abdessalem
Ancien élève de l’Ecole Polytechnique et de l’ENSAE, Paris
Professeur de l’enseignement supérieur en Sciences Economiques

 

Ancien élève de l’Ecole Polytechnique et de l’ENSAE, Paris, docteur d’Etat en sciences économiques et professeur de l’enseignement supérieur. Il a été Directeur du Laboratoire d’Economie et de Gestion Industrielle à l’Ecole Polytechnique de Tunisie. Il a également été amené à intervenir dans plusieurs universités françaises.

A son actif plusieurs études économiques au profit de la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement, le Bureau International du Travail, etc., ainsi que des institutions nationales.

Ses principaux champs d’analyses s’étendent sur les politiques publiques de régulation, énergie et environnement, protection sociale et finances publiques."