News - 24.07.2019

La lutte contre la traite des êtres humains en Tunisie entre la réalité et les poursuites judiciaires

 La lutte contre la traite des êtres humains en Tunisie

Depuis le 1er décembre 2015, Avocats Sans Frontières, le Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux ont entamé un projet sur la lutte contre la traite des êtres humains en Tunisie. Le projet se fixe comme objectif global de soutenir la société civile dans la promotion et la protection des droits humains en Tunisie. Plus spécifiquement, le projet entend de renforcer le rôle de la société civile tunisienne dans la lutte contre la traite des êtres humains en promouvant ainsi la mise en oeuvre des engagements internationaux de la Tunisie en la matière. Un réseau de 03 centres d’écoute et d’orientation des victimes est mis en place dans les régions de Kasserine, Monastir et Tunis ainsi qu’un pool d’avocats, chargés de l’accompagnement juridique et judiciaire des victimes.
Le nombre de victimes de la traite des être humains  en 2018 a atteint  780 cas dont les auteurs ont été  sanctionnés  d’après l’instance nationale de lutte contre conte la traite des être humains qui a été créée en février 2017 alors  que les soupçons de cas de crime  de traite d’êtres humains  en 2017 sse sont limité  à 18 selon les statistiques du ministère de la Justice  depuis l’entrée en vigueur de la loi interdisant la traite des êtres humains.

Avant de commencer une étude réaliste des affaires judiciaires et de la manière dont elles ont été traitées, il est nécessaire de se demander si le crime de traite des personnes est un crime nouveau dans le système judiciaire et pénal tunisien et sur la scène criminelle en Tunisie.

L’affaire, qui a le plus marqué dans ce sens, le pouvoir judiciaire est l’affaire dite « les jeunes femmes du Liban». Les faits de l’affaire débutent quand une jeune femme s'est présentée en tant que victime et a déclaré qu'elle s’est rendue au Liban dans le but de travailler comme infirmière dans une clinique privée. Une fois sur place, elle a été contrainte d’exercer en tant qu’escorte dans des clubs et des boîtes de nuit, sans prestation sexuelle dans un premier temps. Au bout d’un temps, elle se trouvait forcée d’accompagner des clients des clubs afin de satisfaire des prestations sexuelles contre une somme d’argent, chose qu’elle refusait.

En exprimant son désir de retourner en Tunisie au propriétaire du club, lui demandant de lui redonner son passeport, confisqué à son arrivée, ce dernier a refusé, lui demandant de lui verser la somme de 3000$. La victime rapporte, que son téléphone a aussi été confisqué et que le propriétaire du club avait recours à la violence, pour toutes celles qui refusaient de travailler.Bien qu'il ne soit pas contesté que les filles qui ont été attirées pour se rendre au Liban et forcées de travailler dans divers boites de nuit et qui ont été exploitées sexuellement, sont victimes de trafic. Cependant, le cadre juridique tunisien de l'époque ne permettait pas d'adapter ce à quoi elles avaient été soumises et ne reconnaissait pas le concept de victime. Par conséquent, les filles ont été jugées à leur arrivée en Tunisie sous l'inculpation de prostitution.

En outre, le cadre juridique tunisien, en vertu de la décision de la Cour d'appel n° 66643 d'août 2013, qui a annulé la peine prononcée à l'encontre de l'accusé, qui avait amené les filles concernées et les autorités judiciaires à ne pas entendre l'affaire et à invalider la procédure de recherche.

Le législateur tunisien a limité la possibilité de poursuivre un étranger ayant commis un crime ou un délit en dehors du territoire de la République sous deux formes, dont la première est le chapitre 307 du code de procédures pénales, selon lequel le crime est susceptible de porter atteinte à la sécurité de l'État ou d'imiter le caractère de l'État.

La deuxième image est fournie dans le chapitre 307 bis du même code, qui permet de suivre l’étranger s’il commet un crime ou un délit en dehors du territoire de la République et que la victime est tunisienne ».
« Est considérée comme traite des personnes, l’attirement, le recrutement, le transport, le transfert, le détournement, le rapatriement, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par le recours ou la menace de recours à la force ou aux armes ou à toutes autres formes de contrainte, d’enlèvement, de fraude, de tromperie, d’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité ou par l’offre ou l’acceptation de sommes d’argent ou avantages ou dons ou promesses de dons afin d’obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation, quelle qu’en soit la forme, que cette exploitation soit commise par l’auteur de ces faits ou en vue de mettre cette personne à la disposition d'un tiers».

L’exploitation comprend celle de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou la mendicité, le prélèvement total ou partiel d’organes, de tissus, de cellules, de gamètes et de gènes ou toutes autres formes d’exploitation.

A partir de la définition-cadre donnée par la loi, les affaires de traite peuvent être classées comme selon les catégories suivantes :

  1. Exploitation sexuelle impliquant la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle.
  2. Exploitation économique impliquant le travail ou les services forcés.
  3. L’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage.
  4. La servitude ou la mendicité.
  5. Le prélèvement total ou partiel d’organes, de tissus, de cellules, de gamètes et de gènes.

Ce premier chapitre portera sur l’étude du traitement judiciaire d’échantillon représentatif d’affaires. Les 31 affaires répertoriées au niveau des tribunaux visités sont relatives soit à de l’exploitation sexuelle, soit à de l’exploitation économique.

Par ailleurs, seules les affaires qui ont été conclues seront traitées.

1. Les affaires judiciaires d’exploitation sexuelle

Sur les 20 tribunaux de première instance des 28 répartis sur tout le territoire de la République, 5 cas de traite à des fins d'exploitation sexuelle ont été enregistrés et ont abouti à une clôture de l'enquête au niveau de l’instruction ou à un premier verdict devant le tribunal de première instance de Tunis, le tribunal de Grombalia, le tribunal de Sousse 2 et le tribunal de Mahdia.

• Tribunal de Tunis

Le 23 octobre 2018, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Tunis a rendu une décision confirmant la conclusion d'enquête n°24/45629 du 28 juin 2018. Conformément aux dispositions des articles 1, 2, 3, 8, 10, 23 et 24 de la loi n°2016-61 du 13 août 2016 relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes, la condamnée était accusée d'avoir participé à une entente pour attirer une personne en ayant recours à des formes de tromperie et abus d’une situation de vulnérabilité aux fins d’exploitation sexuelle et en vue de mettre cette personne à la disposition d’un tiers et d’avoir profité de facilités en vertu des fonctions ou des activités professionnelles qu’il exerce.

Dans cette décision, la chambre d’accusation a déclaré que la condamnée avait attiré les "témoins" après les avoir rencontrés par le biais des réseaux sociaux et leur avoir demandé d'envoyer des photos et vidéos de leur corps.

Ces photos et vidéos ont servi à les recruter au Liban mais ce n’est qu’une fois arrivée là-bas que la condamnée, les a informés de la nature de leur travail dans le domaine de la prostitution.
Deux remarques peuvent être émises suite à ces observations:

La première concerne les procédures d’investigation et d’enquêtes.

En effet, l’enquête a été menée par les officiers de la sous-direction de la protection sociale comme le confirme le procès-verbal N°418 du 8 mars 2018. L'enquête s’est limitée aux interrogatoires des accusés et les auditions des témoins sans aucun recours aux moyens spéciaux d'enquête, comme énoncé au niveau de la loi de traite comme par exemple retracer les fonds illicites provenant du crime ou encore l’interception des communications des suspects qui prouvent leurs recours à certains moyens de communication pour attirer les victimes.

La procédure d’enquête dans cette affaire semble être limitée aux moyens classiques sans prendre en considération la spécificité du crime et sans chercher à approfondir les recherches, de plus, qu’il s’agit d’un crime organisé dans le but d’attirer des filles dans des réseaux de traite sexuelle.

Ce dernier constat est confirmé par le fait d’absence d’accusation vers la personne qui gère ce réseau à savoir, la personne résidente à l’étranger mais seulement contre la personne qui a essayé de les attirer en Tunisie, bien que la loi n°2016-61 s’applique aux infractions commises hors du national tunisien et par un étranger tant que la victime est tunisienne, permettant ainsi de donner effets aux instruments de coopération internationale.

La deuxième remarque concerne le traitement judiciaire avec cette affaire et le degré de connaissance de la justice pénale autour des procédures légales mise en place par la loi n°2016-61 en matière de lutte de la traite des personnes. La chambre d’accusation, a considéré les deux victimes de traite de cette affaire comme des témoins des faits, les privant ainsi du statut victime.

Nous constatons aussi que la situation de vulnérabilité n’a pas été bien développée, sachant que le consentement de la victime n’est pas pris en considération considérable en vertu de la loi 2016-61 en matière de la lutte contre la traite des personnes.

• Tribunal de Sousse 2

Cette affaire a été classée sans suite au niveau de l’instruction en raison de l’absence des éléments du crime de traite des personnes.
Le procès-verbal indique que le parquet a poursuivi le suspect pour traite de personnes suite au fait qu’il mettait sa femme à disposition d’un tiers impliquant une l’exploitation sexuelle. Cependant, le juge d’instruction a considéré à l’issue des auditions que le chef d’accusation retenu contre le suspect ne correspond pas aux circonstances de l’affaire en cours car l’article 2 de la loi n°2016-61 identifie trois éléments constitutifs de ce crime qui sont :

  1. L’acte qui consiste à attirer, recruter, transporter, le transférer, détourner, rapatrier, héberger ou accueillir de personnes.
  2. Le moyen qui est le recours ou la menace de recours à la force ou aux armes ou à toutes autres formes de contrainte, d’enlèvement, de fraude, de tromperie, d’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité ou par l’offre ou l’acceptation de sommes d’argent ou avantages ou dons ou promesses de dons afin d’obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre.
  3. Le motif qui est l’exploitation, quelle qu’en soit la forme, que cette exploitation soit commise par l’auteur de ces faits ou en vue de mettre cette personne à la disposition d'un tiers.

En fin de compte, il a été considéré que ces 3 éléments ne sont pas réunis dans le cas d’espèce; il s’agissait plutôt d’une humiliation consistant à forcer son épouse à avoir des relations sexuelles avec lui en présence de ses amis mais sans contrepartie financière. L’accusation est donc classée sans suite pour absence d’éléments de crime. 

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