Opinions - 16.06.2019

Dr Mohamed Salah Ben Ammar : Ne pas aggraver le désenchantement

Dr Mohamed Salah Ben Ammar : Ne pas aggraver le désenchantement

Le citoyen tunisien observe depuis plusieurs années avec un certain désenchantement la vie politique du pays.
Les échecs politiques, sociaux et économiques de ce gouvernement ont ouvert les portes de l’enfer, l’exaspération des citoyens est à son comble. Qui peut encore le nier ?

La lutte contre la corruption ? Une belle initiative, peut-être la seule action qui pouvait fédérer la majorité des courants politiques, mais elle a été dévoyée, instrumentalisée. Elle a fait pschitt. Les accusations de corruption d’hommes et de femmes politiques ne sont jamais allées jusqu’au bout. Et quel crédit accorder à cette action alors que des accusations sérieuses n’ont eu aucune suite et d’autres, des ragots sans fondement ont eu un impact médiatique certainement téléguidé énorme ?
Sur un autre plan, la voix du peuple, ses représentants, l’ARP s’est transformée en cours des miracles, elle a à de multiples occasion donné d’elle une piètre image.

Dans ce climat délétère, la cour constitutionnelle n’a jamais vu le jour et c’est extrêmement grave. Le choix de ses membres fait l’objet de marchandages indignes du rôle de la plus haute instance du pays. N’était-ce pas la priorité des priorités ?
Nos représentants que certains qualifient de touristes tant ils ont changé de parti ces quatre années, se sont discrédités. Leurs disputes, leur absentéisme à l’ARP sont scandaleux.

La vie des partis dépend souvent des ambitions d’une personne. Le financement de beaucoup de partis politiques et c’est un secret de polichinelle provient de l’étranger. Les comptes de campagne ne sont jamais publiés. Les rapports de la cour des comptes sont restés lettre morte.

Nul n’est dupe ! Comment un parti qui n’avait encore aucune existence légale, peut-il tenir des meetings à 200 000 dinars tous les 15 jours, distribuer des billets de 20 dinars à des participants qui ne sont venus que pour cela et qui n’ont même pas eu l’élégance d’écouter le discours de leur leader charismatique ? Comment cet embryon de parti a-t-il pu louer des locaux dans tous les gouvernorats, imprimer des affiches, payer des boites de communication, tenir des réunions dans les hôtels les plus huppés du pays et payer les déplacements de ses sympathisants ? La liste est longue et rien que son évocation est pénible.

Comment convaincre le commun des mortels dans ces conditions de la sincérité de la volonté de moralisation de la vie politique ?

Pourtant ces quatre dernières années une petite lumière s’est allumée à travers le rapport du COLIBE, malheureusement elle a été rapidement étouffée par le pléthorique et défunt gouvernement dit d’union nationale (GUN). Trop occupés qu’étaient ses membres à fuir leurs partis et à créer un nouveau parti politique. Ils ont jugé qu’il était plus important pour le pays d’ajouter un nième parti plutôt que d’ouvrir un débat de société sur des questions aussi importantes que les libertés. De toute évidence progressisme, modernisme, justice ne sont pour eux que des slogans.

Comment peut-on encore leur accorder le moindre crédit ?

Nos politiciens en herbe dont personnes ne connait ni les opinions ni les orientations politiques, toute une génération spontanée venue de tous bords un 14 janvier 2011 s’accroche au pouvoir. Une grande partie d’entre eux n’a aucune légitimité, elle n’a jamais été élue. Tous doivent à leur carrière à leur proximité avec l’un des deux ou parfois aux deux cheikhs. Aujourd’hui ils ont trahi le plus âgés des deux, et attendent le moment propice pour trahir l’autre. Comment leur faire confiance ?

Plus inquiétant l’approche des élections a généré chez eux des conduites à risque pour le pays. Ils étaient sûrs de gagner avec l’appareil de l’Etat entre les mains. Mais bien gérer un Etat ne s’improvise pas. Face aux échecs les promesses sont la solution tout trouvée. Quotidiennement le gouvernement (Une équipe de campagne électorale) tient des réunions et promet monts et merveilles, des dizaines de millions de dinars, des autoroutes, des lignes de chemin de fer, des bateaux, des avions, des bus, des stades, des hôpitaux, des usines et même quatre drones pour surveiller la récolte…Sans fil conducteur et tel un bateau ivre ce gouvernement est balloté par les courants, il répond aux crises qu’il a aggravée au coup par coup. Il organise de débats médiatisés, c’est très à la mode en ce moment mais comme ils sont organisés à la va vite, ils débouchent automatiquement sur des shopping listes.

Comment les croire alors que le quotidien empire de jour en jour ?

Le désenchantement est général, aucune catégorie n’a été épargnée. C’est dans cette ambiance de décrépitude de la vie politique nationale et de crise et à cinq mois des élections qu’il nous sort de sa manche un projet de loi, sensé soi-disant garantir des élections « libres et démocratiques » et devant l’incrédulité de l’opinion publique, on tente de détourner le débat de l’essentiel pour embarquer le débat sur des questions juridiques d’experts. La ficelle est trop grosse. Nul ne conteste la nécessité de mettre de l’ordre dans la vie politique mais le faire à quelques semaines des élections n’est pas éthique et donnera toujours l’impression d’être une manœuvre électorale. S’en est une indéniablement.

Les élections législatives du 5 octobre 2019 sont peut-être notre dernière chance. A juste titre elles nous inquiètent tous. D’un côté plus d’un million de nouveaux électeurs inscrits perturberont certainement la donne, de l’autre la paupérisation de toutes les classes sociales, qui s’est accélérée ces trois dernières années, a ouvert des boulevards aux populistes de tous bords. Les signes de panique de nos dirigeants sont perceptibles.

Je ne suis pas un expert en droit. Je combattrais de toutes mes forces, les populistes et tous ceux que ce projet de loi est sensé éloigner de la compétition mais pas ainsi. Je dis que pour de multiples raisons ce texte du projet de loi ouvre la porte à toutes les dérives.

D’abord les principes qui y sont énoncés sont vagues, il parle de ceux qui ont soutenu la dictature, de non-respect des principes républicains, de non-respect des libertés…Un fourre-tout d’adolescent en politique. Libertés et démocratie sont indissociables, donc respectons la liberté si nous voulons assurer la démocratie. Ensuite il faudrait traiter l’ensemble des problèmes, commencer par définir les choses avant de les interdire, interdire les financements occultes, assurer la transparence... Nul besoin d’aborder la question de non rétroactivité des lois, du seuil de 3 ou 5% ou d’autres détails du projet de loi, la démarche en elle-même est un abus. Rien que parce que les promoteurs de ce projet de loi devraient commencer par balayer devant leur porte.

Quant à ceux qui soutiennent sincèrement ce projet en pensant défendre une certaine moralisation de la vie politique, je rappelle que la démarche éthique interdit que la fin justifie les moyens. Ensemble mais avec des méthodes plus respectueuses de la démocratie nous pouvons barrer la route aux malfaisants de tous bords.

Aujourd’hui ni le contexte politique du pays évoqué sommairement plus haut, ni le timing, à quelques semaines des élections, ni le passé politique de ceux qui présentent ce projet ne permettent de soutenir une démarche orientée contre des personnes et non des méthodes malsaines.

La date des élections de 2019 n’est pas une surprise, une démarche sincère aurait bien à l’avance permis d’épargner au pays ce psychodrame. Car cette réforme est partiale et partielle, elle sème la division et la discorde nationale.

Cette manœuvre politicienne de dernière minute doit être combattue car elle ne renforcera pas notre démocratie

Dr Mohamed Salah Ben Ammar