News - 24.05.2019

Sofiane Zribi: Une Terrible hésitation

Sofiane zribi: Une Terrible hésitation

Dans la moiteur fade d’une matinée Tunisoise, dans la rue Al Jazeera, pas loin du centre ville, dans le brouhaha des souks qui s’éveillent mollement en ce jour de ramadhan après une nuit laborieuse et festive et qui s’est prolongée tard dans la soirée, le bruit des jeunes élèves criant et jouant en se dirigeant vers leurs écoles, le son agaçant des klaxons des chauffards constamment énervés que la voiture devant ne roule pas assez vite. L’air empeste la fumée des moteurs diesels mal réglés et moi je contemple cette faune multicolore, marchant sur des trottoirs approximatifs ou carrément entre les voitures. Les femmes de tout âges, certaines en tenues islamique stricte, d’autres un simple fichu sur la tête alors que les plus hardis sont habillées à l’européenne, cheveux au vent. Les hommes, mal rasés, le regard vague, habillés de mille et une manière, certain même semblent directement venir de kandahar alors que d’autres ont l’air de sortir d’un magasin de friperie. Ici et là des trafiquants de devises vous accostent pour vous proposer de changer de l’argent sous le regard bienveillant de la camionnette de police qui protège les touristes qui ne vont pas tarder à affluer à l’entrée de la médina.

J’essaye de regarder les gens dans les yeux, ils semblent tristes, résignés, uniquement préoccupés par la tâche du jour, des cris d’énervement, des insultes fusent d’un moment à l’autre sans déranger personne, c’est l’habitude. Je me dis que dans quelques mois cette foule, ainsi que des milliers d’autres en Tunisie va se diriger vers les urnes et choisir son destin.  Le sien comme le mien.

Qu’avons-nous fait pour éveiller leur sens critique, pour aiguiser leur discernement, pour leur faire croire en leur pays et leur expliquer les enjeux de ce monde complexe dans lequel la Tunisie se doit de se tailler sa place d’acteur plutôt que celle d’une éternel assisté.

Je m’arrête à un kiosque de journaux et j’engage la conversation avec le vendeur. Il me dit en se lamentant que l’essentiel de son commerce, ce ne sont plus les journaux, les gens lisent de moins en moins, internet oblige, mais grâce à la vente des cigarettes de contre bande, des bouteilles d’eau aux touristes il s’en sort tout juste. Je lui parle d’élection, s’il a l’intention d’aller voter, si les gens autour de lui vont voter. Il semble hésitant. Il me parle de son immense déception de la classe politique actuelle dans son ensemble, de son inquiétude face à l’avenir de la Tunisie et de ce que demain sera fait. Il me dit que tout compte fait il votera pour un candidat qui essaye de venir en aide aux plus faibles et qui n’est pas issu du sérail politique actuel. Il fulmine contre Nidaa et Ennahdha qu’ils accusent d’être la cause du marasme actuel que vit l’économie.

Je me dirige vers une cafétaria dont la porte est timidement recouverte d’un rideau de fortune empêchant les non-jeuneurs d’être vus par les passants. Elle est pleine à craquer avec dans un brouillard épais de fumée de cigarettes, unemajorité de jeunes, filles et garçons, habillés de manière moderne discutant à haute voix. Je m’approche d’un petit groupe vraisemblablement étudiant, sans consommer, ils croient que je vais leur faire le reproche de ne pas jeuner mais il se détendent dès que je leur parle d’élection. Là c’est le grand rire «Nous on s’en fout» pour vu que ça ne soit pas ennahdha, mais nous ne sommes pas inscris et on n’ira pas voter. Connaissez-vous au moins le nom de certains candidats? Oh, ça sera les mêmes que la dernière fois. Je reviens pensif et déçu vers mon cabinet, devant tant de méconnaissance et tant de mépris de la chose politique dans la rue. Je rencontre notre femme de ménage, femme affable, qui élève seule ces trois enfants. Tu est inscrite lui dis-je ? bien sûr me répond elle et je voterai pour khalil Tounes. Pourquoi? lui dis-je? c’est le seul qui a compris nos souffrances et a répondu aux besoins des nécessiteux alors que nous n’avons que mépris et dédain de la part de nos dirigeants qui profitent de notre argent.

Que se passe-t-il dans la tête des Tunisiens? Pour qui vont il massivement voter? quel candidat sera capable de se dégager de la masse compacte des prétendants?
Il me parait évident, vu la situation économique actuelle, auccun candidat du sérail politique classique, majorité ou opposition comprises ne sera capable d’obtenir la majorité nécessaire à moins que les médiocres ténors des partis actuels ne fassent de grosses entailles dans leur égos pour se réunir sous des bannières unifiées.
Le peuple en veut au gouvernement, qui n’a pas été capable d’expliquer clairement son action, de convaincre de son bienfondé, et d’être resté loin du cœur de la masse. Il est loin le temps de Bourguiba qui expliquait discours après discours ses objectifs, le fondement de sa politique et la nécessité de sacrifice si besoins. Le peuple en veut à l’opposition, et le triste spectacle qu’elle a offert à l’assemblée des représentants du peuple des années durant. Le peuple en veut à l’UGTT qui est accusée d’avoir représentée un frein à l’investissement et à la prospérité tout en aggravant le chômage.

Le peuple a besoin d’hommes d’action, d’hommes forts capables de relever les défis du quotidien, de régler les questions brulantes de la santé, de l’éducation, de la sécurité, comme le relève le sondage de TAACHE TOUNES. Le Tunisien est anxieux, il a peur. Jamais l’incertitude du lendemain n’a été aussi forte, aussi tenace. Les psychiatres le constatent de façon nette dans les discours de leurs patients. Ceux qui le peuvent envoient leurs enfants à l’étranger et ceux qui le peuvent quittent en masse le navire Tunisie. Huit ans de tangages, d’hésitations, de non-gouvernance et de non-planification ont mis à rude épreuves les nerfs de Tunisiens. Ce n’est plus seulement les classes défavorisées qui sont les plus touchées mais désormais les classes moyennes et même la petite bourgeoisie. La révolution de la dignité s’est transformée en révolution de la mendicité, tellement notre endettement est devenu pléthorique. Les questions cruciales de l’emploi et de la corruption n’ont pas été traitées mais au contraire ont été aggravées. Le Tunisien a fait connaissance avec le terrorisme, le discours radical, le rejet de l’autre et le repli identitaire. Il a appris par la grâce de l’UGTT à réclamer des salaires toujours plus importants sans travailler d’avantage et même quand on regarde la situation des mines de phosphates sans travailler du tout.

Toute cette bérézina, fait le lit du vote populiste, du vote irréfléchi et émotionnel. C’est souvent dans les moments de grandes frayeurs ou de grands désespoirs qu’on se tourne vers Dieu ou vers le Diable.

Sofiane Zribi