News - 11.05.2019

Sofiane Zribi – Et demain sera fait de quoi ?

 Sofiane Zribi – Et demain sera fait de quoi ?

Aujourd’hui, alors que le Tunisien et la Tunisienne se préparent dans quelques mois à se rendre aux urnes pour renouveler l'Assemblée des représentants du peuple et le président de la République, l’incertitude reste grande sur les choix qu’ils vont faire.

Les récents sondages d’opinion s’ils s’avèrent pertinents, démontrent un désaveu flagrant de la population envers le figures et partis politiques qui ont émergé après la chute du régime de Ben Ali. Les citoyens semblent plutôt diriger leur attention vers des figures sans passé politique et sans expérience du pouvoir, comme le populiste Nabil Karoui ou des hommes supposés forts et intègres comme Kaies Saïd, révélé aux citoyens par la Télévision.

Des hommes politiques de premier plan ont été effacés de manière énergique du paysage médiatique et de la préoccupation des citoyens, à une vitesse extraordinaire.

Des partis politiques nouveaux, certains n’ont que quelques mois d’âge, des femmes et des hommes politiques sans vrai histoire militante, ou encore des cadres de l'ancien parti destourien arrivent paradoxalement et de manière souvent forte, sur la scène du combat politique en se proposant au choix des citoyens.

En l'espace de cinq années le paysage politique tunisien a énormément changé. Les partis politiques formés à la suite des évènements du 14 janvier 2011 sont tous à la peine mis à part le parti islamiste, fort d’une base électorale limitée mais fidèle.

Il nous appartient de réfléchir et de se questionner sur les raisons qui poussent le citoyen à se détacher de la classe politique actuelle, et chercher refuge chez ces nouvelles figures, qui, dit-on, inspirent plus de sécurité et de confiance dans l'avenir.

Est-ce une sanction collective pour les gouvernements passés et actuel? Est-ce une perte de confiance dans les rouages de la démocratie ?

Est-ce le témoin d’un mal être et un mal vivre croissant ? Ou bien encore, une perte des repères classiques de la perception d’un état longtemps vécu comme maternant, et aujourd’hui incapable de jouer d’avantage ce rôle ?

Si une telle situation se présente aujourd’hui, elle ne peut découler uniquement de la situation de marasme économique dans laquelle est plongée la Tunisie, bien qu’elle y contribue pour beaucoup, mais surtout de l’incapacité des dirigeants actuels à insuffler l’espoir et la confiance dans le lendemain.

Les crises, la Tunisie moderne en a connu plusieurs, celle de 1969 après l’expérience collectiviste d’Ahmed Ben Salah, celle des évènements du 28 Janvier 1978 avec l’UGTT, celle de 1984 avec l’augmentation du prix du pain, mais jamais le rejet de l’Etat n’a atteint de tels sommets.
Même sous l’ancien régime, les Tunisiens, bien que dégoutés des agissements crapuleux de la famille régnante du président Ben Ali, s’étaient habitués, depuis bien longtemps en fait, à un état fort et efficace. Alors que la corruption avait pris déjà des proportions alarmantes, le citoyen lambda se savait en sécurité s’il ne dépassait pas certaines bornes. Les petits business fleurissaient et les créations d’entreprises se faisaient à un rythme soutenu, mais hélas, insuffisant pour absorber le nombre grandissant de jeunes qui arrivaient sur le marché du travail.

La chose politique intéressait jusque-là peu ou pas. Chacun vaquait à ses préoccupations et une atmosphère de société gérée par un capitalisme assumé et triomphant régnait sur le pays. Les services sociaux tels que l’éducation et la santé, vigilamment encadrés par les membres du parti au pouvoir commençaient à se délabrer mais assumaient tant bien que mal la fonction à laquelle elles étaient dévolues. Mieux, à la fin de son règne, Ben Ali a mis en place la CNAM qui ouvrit les portes de la santé privée, jadis réservée au plus nantis, à tous les salariés.

Cet état de semblant de sécurité et de prospérité, de confiance dans le futur, de « Tunisian’s Dream » en quelques sortes, va dramatiquement et progressivement se délabrer après le 14 Janvier.

Les gouvernements successifs furent pris à la gorge par des revendications sociales anciennes jadis étouffées et nouvelles nées par le vent de liberté que soufflait le printemps arabe.

Plutôt que favoriser le travail et la productivité, ils embauchèrent à la pelle et remplirent les sociétés étatiques et les ministères de fonctionnaires qui n’avaient rien y faire. Ils répondirent aux exigences de la centrale syndicale par des augmentations successives et excessives de salaires, sans que le rythme des grèves en soit pour autant atténué et sans aucun contrôle sur l’inflation. L’endettement devint problématique et le dinar plongea devant l’Euro et le Dollar, renchérissant les biens importés aggravant d’avantage l’inflation. La Tunisie se trouvaient piégée dans un cercle économique vicieux à l’image d’un système de Ponzi.

L’éducation et la santé étatique, fierté de l’ère Bourguibienne, s’en ressentirent les premiers avec une dévaluation rapide de leur qualité suivie par les services de transports dont le triste visage actuel de Tunis Air en est un des reflets.

Le secteur bancaire, qui a massivement misé sur la déchéance de l’état et l’incapacité d’une politique folle à faire face à des revendications sociales non moins erratiques, en sort bénéficiaire et engraine les gains avec une croissance à deux chiffres, qui profite avant tout à leurs gros actionnaires.

La corruption est devenue le moyen facile de gagner de l’argent. Les trafics se font avant tout avec les produits subventionnés, les carburants et les importations sauvages. Dans les banlieues huppées de Tunis, une Mercedes n’est plus qu’une voiture banale comparée aux Porsche, Maserati, Lamborghini et autres tout terrain coutant plus d’un demi-million de dinars, alors que l’écrasante majorité de la population ploie sous le renchérissement de la vie, la pénurie des moyens et le rétrécissement des horizons.

Que ce soit sous la Troïka, alliance contre nature entre un parti islamiste, un parti socio-démocrate et le parti revanchard de Moncef Marzouki, ou après les pacte de Carthage entre le parti Ennahdha, Nida Tounes et plusieurs autres petits partis, les politiques sociales, monétaires et les modes de gestion des crises furent radicalement les mêmes : mettre partout des rustines là où il y a urgence, remettre à demain tous les plans de développement, fermer les yeux sur la décadence croissante de la Tunisie dans les classements internationaux, s’endetter, servir des salaires et surtout rester au pouvoir. Le réveil de l’état se faisant seulement de manière cyclique à chaque attentat terroriste.

C’est peut-être dans ce contexte qu’il faut classer l’étonnant coup de tête de Youssef Chahed contre l’ordre régnant ou contraignant qui perdure depuis 2011. En aura-t-il les moyens de convaincre ? Nul ne saurait le dire tant les Tunisiens sont perplexes et tant ils sont déçus par la classe politique dans son ensemble même s’ils font assumer au duo Ennahdha Nidaa l’essentiel de la responsabilité.

C’est aussi le carburant qui propulse vers des sommets inespérés le parti d’Abir Moussi, petite avocate intelligente et ambitieuse formée à la vie politique dans le sillage de Ben Ali, qui fait du rejet du parti islamiste une cause, un objectif et marche pied vers un pouvoir qui ne peut être qu’autoritaire.

D’autres candidats à la présidentielle, forts d’une auréole que leur donne leurs propres télévisions, font tantôt de l’abbé pierre médiatique et tantôt du misérabilisme télévisuel espérant gagner le cœur d’un citoyen considéré comme crédule et immature par définition.
Alors que l’urgence est à l’économie, la santé, l’éducation, les candidats en ligne semblent totalement incapables de proposer, d’imaginer et de construire une vision de l’avenir. Ils semblent hypnotisés par le poste et non par le service qu’il implique. L’intelligentsia Tunisienne ne devrait pas s’accommoder avec cet état de fait et il est probable que les jours à venir verront émerger des nom connus ou non mais qui apporteront certainement à cette campagne qui débute, la hauteur et la qualité que notre pays mérite.

S.Z