News - 22.04.2019

''Tunisie : La longue marche vers la modernité'', le nouveau livre de Noureddine Ketari

''Tunisie : La longue marche vers la modernité'', le nouveau livre de Noureddine Ketari
Depuis qu’il avait quitté, il y a plus de 40 ans, le gouvernement Hédi Nouira, il avait pratiquement disparu des radars de la politique. Noureddine Ketari, ancien secrétaire d’Etat à la Formation professionnelle et l’Emploi, après avoir été grand commis de l’Etat, et député, a préféré renoncer, depuis l’avènement du gouvernement Mzali, puis des suivants, à toute charge publique. Sans pour autant abandonner tout intérêt pour la chose publique. Suivant de près l’évolution de la situation de la Tunisie, durant les dernières années du règne de Bourguiba, puis sous Ben Ali, il n’a repris espoir que dès le 14 janvier 2011. Sans se précipiter et en toute sérénité, à son accoutumée, Noureddine Ketari, Enarque, économiste et chef d’entreprise, nous livre une lecture pertinente de ce qui se passe dans le pays. Dans un livre intitulé « Tunisie : La longue marche vers la modernité » qu’il vient de publier aux éditions Nirvana, il revient d’abord aux origines du parcours tunisien, s’attardant sur des ancrages profonds tout au long de l’histoire, avant de balayer du revers tant de « chimères » (le socialisme destourien prôné par Ben Salah), s’attaquant à l’obscurantisme islamiste. Sa conclusion est un plaidoyer pour « faire barrage à l’obscurantisme et poursuivre la modernisation.»
 
En préface, le Pr Abdelmajid Charfi, président de l’Académie tunisienne des Sciences, des Lettres et des Arts « Beït El Hikma » écrit : « Son livre, fruit de la liberté de pensée et d’expression acquise après le 14 janvier 2011, vient enrichir toutes une série d’essais et de témoignages qui éclairent notre passé récent et lointain, nous mettent en face des défis majeurs du présent, et tentent de baliser le futur. A ce titre, il nous est agréable de féliciter Noureddine KETARI pour la clairvoyance et l’audace dont il fait preuve. Puisse son ouvrage alimenter la réflexion et l’action salvatrices dont notre pays a grand et urgent besoin. »
Bonnes feuilles.

Pourquoi ce livre ?

L’idée d’écrire ce livre a germé dans mon esprit le jour où j’ai entendu un écrivain égyptien dire, lors d’une interview radiophonique, que ceux qui ont eu le courage ou le temps d’écrire ce qu’ils pensaient ne représenteraient qu’une infime minorité par rapport à ceux qui auraient eu quelque chose à dire. Un grand nombre de livres n’ont  donc pas eu le temps d’être écrits. 
Je ne me prends ni pour un historien ni pour un romancier ni pour un philosophe. Je pense néanmoins qu’ayant vécu essentiellement sous le règne de la pensée unique, la liberté d’expression a pour moi une saveur particulière. Bien des choses ont  été passées sous silence ou n’ont été dites qu’à moitié….
La deuxième motivation pour écrire ce livre réside dans mon souci de laisser à mes enfants et surtout mes petits-enfants mon témoignage sur des faits que j’ai vécus. Ma version me semble parfois différente de celle admise un peu partout dans la littérature conformiste des acteurs de l’épopée Bourguiba. J’ai essayé de dire ou d’expliquer certains faits sans la langue de bois traditionnelle et en quelque sorte d’une manière peu conventionnelle. Certains en seront choqués.
J’ai eu la chance de séjourner en Europe, et de voyager très fréquemment pendant près de 25 ans à travers le monde, le plus souvent pour des raisons professionnelles. Je suis membre du comité fondateur du Club International des Grands Voyageurs. J’ai rencontré des gens extraordinaires, et j’en garde le meilleur des souvenirs. J’ai constamment comparé ce que je voyais dans les pays que je visitais avec ce qui se passait chez moi….C’était par moments difficile.
Je suis Musulman, Arabe, Tunisien, Maghrébin et Africain. J’essaye de ne jamais l’oublier car je serais immédiatement rappelé à l’ordre sur un ton qui dépendra de mon interlocuteur. Mon pays est une ancienne colonie de l’Empire Français et s’efforce encore d’échapper à l’emprise de la colonisation. Je suis témoin d’une transition entre le statut du colonisé que j’ai connu enfant et adolescent, et de l’homme libre et moderne que je m’efforce d’être.
J’ai été témoin de plusieurs avancées en Tunisie sur la voie de la modernité. Elles ont rendu les Tunisiens fiers, très fiers. J’ai toujours rappelé à mes interlocuteurs que La Tunisie avait en effet aboli l’esclavage en 1846 c’est à dire avant la France, les États unis et l’Empire Ottoman. Après l’Ahd el Amen (Le Pacte de paix sociale -1857) par lequel elle reconnaissait les droits des minorités, la Tunisie fut le premier pays arabe à se doter d’une constitution.
En 1957 La Tunisie de Bourguiba abolissait la polygamie et adoptait un code du statut personnel qui modernisera la famille et la société.
Le projet moderniste de Bourguiba a été mis en œuvre entre 1954 et 1964. Ce furent les 10 années glorieuses du Bourguibisme. A partir de 1964 Bourguiba confiait les projets de développement économiques à ses collaborateurs. Il se consacrera à la mise en œuvre de ses réformes. Il se fera « monarque » et comptera sur le temps…
La réussite de ses collaborateurs pour le développement économique sera cependant relative… Certains seront davantage tentés par la succession et  tenteront même des déviations politiques ou culturelles…
Sur les pas de Bourguiba, et sur la route du jasmin, une nouvelle constitution (2014) ouvre le chemin à de nouvelles acquisitions sociales au niveau des libertés… La Commission des Libertés (Colibe) dresse une «road map» pour les avancées prochaines qui ne sauraient tarder. Celles-ci feront tâche d’huile sur tous les pays musulmans. Nécessairement.
Mais je suis également témoin de résistances au progrès dont certaines sont imputables à notre propre culture, à nos traditions et croyances, tandis que d’autres aux interminables interventions des anciennes puissances coloniales érigées et organisées en «Communauté Internationale».
Ceux qui refusent «l’Islam des Lumières», qui militent pour l’immobilisme et qui oscillent entre Pan- islamisme et Pan- Arabisme baignent encore dans la chimère et l’illusion.
Nous devons essayer de revenir au monde du savoir et de la recherche. Notre histoire récente montre que nos efforts sont très peu efficaces car nous n’avons pas encore renoué avec « le Rationnel » que nous avons abandonné au XII e siècle lorsque les musulmans brulaient leurs écrits scientifiques et philosophiques.
Alors qu’ils étaient les maitres du Savoir universel et qu’ils vivaient ce que l’on appelle encore aujourd’hui l’âge d’or de l‘Islam, ils auraient été pris de panique devant les avancées philosophiques d’Averroès entre autres…
Renouer avec le rationnel, sera la seule issue pour les musulmans…tous les musulmans. Avec sa révolution du jasmin, la Tunisie a la prétention de montrer le chemin, de donner le la, pour de multiples avancées, grâce à ces indicateurs qu’elle émet régulièrement, malgré son apparent chaos révolutionnaire. Un long combat…
Par leur hégémonie culturelle, économique, politique et militaires, les puissances coloniales de leur côté ne cessent de consolider leur supériorité, perpétuer leur domination. Elles s’appliqueront à empêcher les progrès économiques de différentes façons et par de multiples moyens.
Alors que les révolutions technologiques et économiques se succèdent, se cumulent, et s’accélèrent, un nouveau concept, nous envahit comme un Tsunami: il s’appelle « To morow  is now ». Demain, c’est maintenant. Ce concept initié par Eleanor Roosevelt date pourtant de 1963. «C’est aujourd’hui que nous devons construire le monde de demain» (éditions Pingouin).
Musulmans, Arabes, Africains, Tunisiens… Nous n’avons plus le temps.
Cette conviction est la troisième raison qui m’a incité à écrire ce livre. C’est en somme mon cri d’alarme pour tous les tunisiens et pour tous ceux qui aiment le jasmin.
Noureddine Ketari