News - 03.04.2019

Sommet arabe : Comment Jhinaoui a bien joué son coup... très diplomatique

Sommet arabe : Comment Jhinaoui a bien joué son coup... très diplomatique

La finesse est dans la subtilité des détails. Encore plus en ces temps troubles. La diplomatie tunisienne vient d’en livrer un bel exercice à la faveur de la tenue du Sommet arabe. A plus d’un niveau : du contenu au protocole, des arbitrages à la médiatisation, du discours d’ouverture à la déclaration finale. La chance de la Tunisie est d’avoir à sa tête un ancien chef de la diplomatie épris de cet art, Béji Caïd Essebsi. Auréolé de son élection au suffrage universel en premier président de la République après 2011, et fort de longues et solides amitiés, on viendra aussi pour l'assister au sommet. La chance du président, est de pouvoir compter sur un appareil diplomatique heureux de retrouver ses réflexes développés par Bourguiba et ses compagnons, Mongi et Taieb Slim, Rachid Driss et autres illustres figures. Sous la houlette de Khemaies Jhinaoui, stratégie, dispositifs, équipes, vétérans, jeunes pousses, centrale et postes à l’étranger, ont fait leurs preuves. Coulisses en mots clefs.

Contrat

Dès le départ, l’index de performance a été bien calculé : 

  • parvenir à la plus large représentation possible des Etats-membres de la Ligue arabe, au plus haut niveau. Et de même pour les organisations invitées. 
  • Résultats : 100% des pays représentés au niveau de Rois et Emirs (Arabie saoudite, Jordanie, Koweït, Qatar...), chefs d’Etat (Egypte, Liban, Palestine, Irak, Yémen, Libye, Mauritanie...) et d’envoyés spéciaux représentants personnels (Emirates, Bahreïn, Soudan, Somalie, Oman, Comores, Maroc...). L’Algérie était représentée, en raison du contexte particulier, par le président de l’Assemblée nationale, Abdelkader Ben Salah. Télécharger la liste officielle. Mais aussi, le secrétaire général de l'ONU, celui de l'OCI, le président de la Commission de l'Union africaine et la cheffe de la diplomatie de l'Union européenne...Sans compter d'autres invités de marque.
  • apaiser les tensions, autant que possible, et réunir un consensus sur l’essentiel. D’avance, on savait que l’action arabe commune était difficile à réaliser et que personne ne s’en faisait illusion. Mais, un pas significatif pouvait être franchi. Est-ce par hasard si le président Caïd Essesbi propose comme thème (et devise) du sommet : «Volonté et Solidarité», ce qui nous fait le plus défaut et nous pénalise le plus lourdement. 
  • Résultat : la déclaration finale. Il suffit de lire les résolutions des sommets précédents, notamment le dernier celui de Dharan en avril 2018, pour se rendre compte de la différence. Certes mineures en apparence, mais moins clivantes et riche en nouvelles approches. Pour la première fois, le dialogue des religions (Point 9), le développement durable et la jeunesse (Point 15) y trouvent toute leur place. Il faut dire que d’emblée, BCE en avait fixé les balises dans son discours d’ouverture.

Stratégie

Tout préparer à l’avance, en toute discrétion, en sériant les spécificités, choisissant longtemps à l’avance les personnes qu’il faut pour les missions qu’il faut, associant les grandes figures de la diplomatie tunisienne aujourd’hui à la retraite, impliquant les nouvelles recrues, secrétaires des Affaires étrangères et veillant à une synergie d’ensemble.

Dispositif

D’abord, les structures. Si la Direction générale Monde arabe est en première ligne, les directions de l’Information et du Protocole sont déployées en appui immédiat et l’ensemble des structures du ministère des Affaires étrangères, et postes à l’étranger mis à contribution. 

A titre consultatif, un groupe de travail composé d’anciens ambassadeurs (Mhammed Jnifen, Mohamed Ibrahim Hsairi, Ezzedine Kerkeni, Youssef Mokaddem, Abdelhafidh Harguem, Slaheddine Jammali, Hédi Ben Nasr...) n’a pas manqué d’apporter son concours, précieux.

Une unité centrale d’organisation a été constituée à la Présidence de la République, depuis l’été 2018, et confiée à un logisticien hors-pair, l’ambassadeur Hafedh Bejjar, (rappelé de sa retraite). Enarque de formation, diplomate de carrière, rompu à tant de sommets réussis, longtemps daffeur au ministère, allie sang froid,  sens de l’organisation, compétence et rigueur. Sa mission a été aussi de former de jeunes diplomates pour les hisser en génération de relève. La toute prochaine échéance étant celle du Sommet de la Francophonie à l’automne 2020.

Un Media Center selon les nouvelles normes techniques et logistiques, a été soigneusement conçu et activé une semaine avant le Sommet.

Des hommes et des femmes

En toute discrétion, Khemaies Jhinaoui avait préparé le casting. 

En staff rapproché : deux secrétaires d’Etat, Sabri Bach Tobji, diplomate de carrière (Rome, Madrid, Lyon et ambassadeur à Brasilia...), Hatem Ferjani, avocat, chargé de la Diplomatie économique, un chef de cabinet, Mohamed Ben Youssef, fin connaisseur du monde arabe, dernier poste ambassadeur à Bahreïn, Chafik Hajji, secrétaire général et Fayçal Dhaou, attaché de presse.

En ligne : des chefs de pôle

Ancien ambassadeur à Mascate, puis au Caire (où il avait été auparavant N°2...), chef de cabinet du ministre, Directeur général de l’Inspection, Mahmoud Khemiri avait été maintenu en activité et nommé, il y a près d'un an, directeur général des Affaires politiques et économiques et de la Coopération pour le Monde arabe, les organisations arabes et islamiques. Parfaitement dans son élément, il sera immédiatement opérationnel, sur tous les registres. Journaliste à la base, diplômé de l’IPSI, il fera un excellent porte-parole du Sommet.

Vous l’avez vu installé juste derrière le ministre Jhinaoui, sur le podium de la présidence du Sommet. Chevelure argentée, silhouette fine, attentif à tout, il passait des notes et recueillait les instructions. Tarek Ladab, ancien ambassadeur à Mascate, est directeur des organisations arabes et islamiques, coiffant notamment la Ligue arabe. Il sera la cheville ouvrière du contenu, assisté au premier rang par Adel Ben Abdallah, qui était en poste notamment en Algérie et les différentes 9divisions.

Depuis le Caire, où il officie en tant qu’ambassadeur de Tunisie et Délégué permanent auprès de la Ligue arabe, Nejib Mnif qui avait été auparavant directeur général pour le Monde arabe et ambassadeur à Riyad, puis à Berlin, agit en expert. Dès les premières réunions préparatoires au Caire, puis à Tunis, il sera très actif.

Mohamed Ali Ben Abid, directeur du Protocole diplomatique, contribuera avec le Protocole présidentiel à forger un véritable cas d’école, dans un parcours sans faute. En poste à Rome où il était N°2, il avait observé et expérimenté le protocole d’Etat sous des régimes successifs de majorité et de cohabitation, dans une vieille tradition romaine et une modernité européaniste. Avec l’ambassadeur Mondher Mami, conseiller auprès du Président de la République, chargé des Services du protocole présidentiel, il ne négligera aucun détail. 

Promu directeur de la Diplomatie publique et de l’information (une nouvelle direction dans l’organigramme de septembre dernier), Bouraoui Limam, qui avait fait une bonne expérience à Paris, prendra en charge le Media Center (un millier de journalistes, de 60 pays). Son équipe est bien rôdée ces derniers mois. Renforcée par des diplomates chevronnés en communication rentrés de grands postes (Washington DC, Paris, Prague, Strasbourg, etc.) et de jeunes secrétaires des Affaires étrangères rompus aux réseaux sociaux, elle fera désormais référence. L’appui des cellules Communication de Carthage et de la Kasbah a été déterminant.

En fait, dans cette distribution, comme dans un grand film, ils sont tous des têtes d’affiche : plusieurs dizaines de diplomates et de fonctionnaires étaient en branle. Dans une ambiance et motivation retrouvées, alors qu’on avait failli perdre à jamais.

Ceux qui connaissent bien Khemaies Jhinaoui savent à quel haut niveau il pousse d’un côté la discrétion hermétique et l’exigence totale. En quarante ans de carrière diplomatique, depuis ses premiers postes à New Delhi et Séoul, puis en tant qu’ambassadeur à Londres et Moscou, après avoir été chef de Cabinet du ministre et directeur général pour l’Europe, il en avait fait l’apprentissage et la règle. Sommets et conférences internationales, consultations politiques et élaboration de résolutions, il y avait investi toute une carrière.

Ce Sommet arabe de Tunis, il l’a voulu en consécration, pour le mandat du président Caïd Essebsi, pour son passage à la tête du ministère des Affaires étrangères, pour ses anciens collègues, éminents diplomates, pour ses collaborateurs et pour la Tunisie. Il faut dire qu’il était bien servi par Carthage où il compte un mentor d’exception. Rendre à la Tunisie son éclat diplomatique : mission accomplie.

Les lampions du Sommet éteints, Jhinoaui a une autre bataille à gagner: l'élection de la Tunisie au siège de membre non-permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU. Dès ce lundi, il sera à cet effet à New York, puis à Washington DC...

Taoufik Habaieb