News - 27.02.2019

Cinq recommandations d’un rapport de Washington pour encadrer l’émergence d’un homme fort en Tunisie

''La démocratie tunisienne à la croisée des chemins’’

‘’Huit ans après le Printemps arabe, les Tunisiens sont frustrés par les échecs de la démocratie, offrant ainsi la possibilité à un homme fort d’émerger.’’ C’est ce qui ressort d’une analyse politique publiée par Sharan Grewal dans la revue américaine Foreign Policy proche du Département d’Etat. Sous le titre « La démocratie tunisienne à la croisée des chemins », il recommande «cinq mesures avant les élections de 2019 pour aider à prévenir une prise de contrôle par un homme fort.» Il s’agit de:

1 - hâter le choix des membres restant de la Cour constitutionnelle et sa mise en place,

2 - renforcer le pouvoir de l’ARP pour qu'elle exerce son contrôle sur l’exécutif, relavant que le partage de l’initiative des lois est inégal, et mentionnant que 96% des projets de loi votés en 2017-2018 ont été élaborés par le gouvernement, et non par le parlement,

3 - amender la législation en vigueur relative aux qualifications d’offense à agent public, d’outrage et de diffamation,

4 - réserver la justice militaire uniquement aux affaires impliquant des militaires et non des civils non directement concernés,

5 - s’attaquer aux facteurs sous-jacents du désenchantement pour la démocratie, en agissant avec le concours de partenaires étrangers de manière décisive pour relancer l'économie et conduire les réformes.

Texte intégral

Résumé

(Traduction non officielle)

La Tunisie est devenue l'un des succès des soulèvements du printemps arabe de 2011. Alors que la Libye, le Yémen et la Syrie ont sombré dans la guerre civile et que l’Égypte est devenue une dictature militaire, la Tunisie a plutôt opté pour la transition et le maintien de sa démocratie. Sa transition a bénéficié de plusieurs avantages structurels, notamment une population homogène, une armée politiquement faible, une société civile forte et un rapport de forces relatif entre islamistes et laïcs. La transition tunisienne reste toutefois fragile. Ces dernières années, le public tunisien a été déçu de la démocratie pour son incapacité à améliorer l'économie. Entre-temps, les élites dirigeantes ont adopté une série de lois et de mesures problématiques indiquant un retour en arrière démocratique. Ce document cherche à faire le point sur la démocratie tunisienne huit ans après la révolution en répondant à trois questions. Premièrement, dans quelle mesure les Tunisiens sont-ils désillusionnés par la démocratie? Deuxièmement, si la démocratie tunisienne devait s'effondrer, comment cela pourrait-il se produire et quelle serait la probabilité de chaque scénario?

Et troisièmement, de cette analyse, quelles leçons pouvons-nous tirer pour éviter une telle défaillance ? Je trouve que la forme la plus probable d'effondrement démocratique en Tunisie serait la montée d'un homme fort populaire, par opposition à un coup d'État militaire ou à une guerre civile. Étant donné le désenchantement croissant à l’égard de la démocratie, les élections de 2019 pourraient offrir une occasion idéale d’émerger de tels chiffres. Un homme fort potentiel pourrait par la suite s’appuyer sur deux tendances récentes inquiétantes pour consolider son autorité : premièrement, l’augmentation des pouvoirs de la police et, deuxièmement, l’usage politisé des tribunaux pour s’attaquer aux opposants politiques. Pour contraindre un futur homme fort, la Tunisie devrait mettre fin aux procès militaires de civils, former la Cour constitutionnelle et renforcer les pouvoirs du parlement en prévision des élections de 2019.

Recommandations de politique

La Tunisie devrait prendre cinq mesures avant les élections de 2019 pour aider à prévenir une prise de contrôle par le titulaire. La première est de finir de choisir les membres de la Cour constitutionnelle. La Cour, créée sur papier dans la constitution de 2014, n'a toujours pas vu ses 12 membres approuvés plus de cinq ans plus tard. Il existe un organe judiciaire intérimaire, mais il ne peut qu'évaluer les projets de loi et ne peut, par exemple, régler les différends entre les pouvoirs du président et du premier ministre. Une cour constitutionnelle, en particulier si elle est composée de juges professionnels favorables à la démocratie, pourrait constituer un moyen de contrôle crucial pour le futur président qui cherche à consolider le pouvoir.

Une deuxième mesure consiste à renforcer le pouvoir du parlement d’exercer un contrôle sur le président. Actuellement, le parlement est paralysé par un manque de capacité. Selon Al-Bawsala, 96% des projets de loi votés en 2017-2018 ont été élaborés par le gouvernement, et non par le parlement, alors que 83 projets de loi sont tout simplement en attente d'approbation 36. Son incapacité à examiner, encore moins à être ébauchée, la législation découle en partie de sa faible capacité: elle ne dispose pas de centre de recherche, de bureaux individuels pour les députés, ni de fonds pour leur permettre d’embaucher du personnel spécialisé. Les États-Unis et les autres partenaires internationaux de la Tunisie feraient bien d’investir dans les capacités du Parlement et de l’aider ainsi à remplir son rôle constitutionnel en tant que branche égale de l’exécutif.

Troisièmement, le parlement tunisien devrait éliminer ou au moins limiter le crime d '«insulte» à des agents publics. Ces clauses comprennent les articles 67, 125, 128 et 245-247 du code pénal, l’article 86 du code des télécommunications et l’article 91 du code de la justice militaire. Ce faisant, la Tunisie peut supprimer la possibilité qu'un futur homme fort utilise ces clauses de diffamation comme substitut au silence de la liberté d'expression.

Quatrièmement, le parlement tunisien devrait mettre fin aux procès militaires de civils. En 1998, un rapporteur spécial des Nations unies a noté que «le droit international dégage un consensus sur la nécessité de restreindre radicalement, voire d'interdire cette pratique». L'article 110 de la Constitution tunisienne de 2014 stipule que les procès militaires ne sont que des crimes militaires. L'article 149 transitoire autorise de tels procès pour les civils jusqu'à ce que le code de justice militaire soit modifié conformément à la constitution. La Tunisie doit agir rapidement pour exclure les civils des tribunaux militaires.

Cinquièmement, et peut-être plus important encore, la Tunisie doit s’attaquer aux facteurs sous-jacents du désenchantement pour la démocratie. Le gouvernement tunisien, avec l'aide de ses partenaires internationaux, doit agir de manière décisive pour relancer l'économie. Parmi les réformes importantes, citons l'amélioration de l'accès au crédit, l'augmentation de l'investissement public et de la fourniture de services dans les régions intérieures et la fin du traitement différencié des entreprises qui produisent des biens destinés à un usage domestique ("onshore") et à l'exportation ("offshore"), et par conséquent, le soutien public accru à la démocratie contribuera à limiter la capacité d'un futur homme fort à consolider son contrôle. Assurer le succès de la démocratie naissante en Tunisie aurait plusieurs conséquences importantes. Les enquêtes suggèrent qu'une Tunisie prospère et démocratique pourrait inspirer les citoyens des pays voisins à considérer la démocratie d'une manière plus positive, contribuant peut-être à faire reculer la répression grandissante dans la région. En Occident, entre temps, un «modèle tunisien» permettrait de contrer les récits récurrents selon lesquels le monde arabe ne serait pas prêt pour la démocratie. Plus important encore, une démocratie dynamique avec une économie florissante fournirait enfin aux Tunisiens le pain, la liberté et la justice sociale qu’ils méritent.