News - 25.02.2019

Mohamed Kilani: Mustapha Filali, une vie riche et altruiste

Mohamed Kilani: Mustapha Filali, une vie riche et altruiste

A près de 98, Mustapha Filali, l’une des figures politiques et syndicalistes, mais aussi littéraires tunisiennes de proue nous a quittés, dimanche 20 janvier dernier Dans un peu plus deux ans, le 5 juillet 2021, il aurait été centenaire. Jusqu’à tout récemment, il était resté toujours actif, revigoré après le 14 janvier 2011, participant à tous les débats, déclinant toute charge à la tête de l’Etat ou du gouvernement.Pendant  quelques heures, il a été le chef du gouvernement qui a fait l’unanimité. S’il s’était rétracté, c’était suite à une détérioration fulgurante de l’environnement tant au niveau des réseaux sociaux que de l’égocentrisme de certains partis influents. Ainsi Mustapha Filali est resté fidèle à sa philosophie de vie, à l’éducation qu’il a reçue et à son ancrage  rural que la vie citadine n’est jamais parvenue à pervertir.  Il  faisait même partie de ceux qui cherchaient la lumière pour mieux voir et non pour briller comme c’est le cas de la nouvelle génération d’hommes publics. C’est ainsi qu’il est demeuré sa vie durant un homme simple, humble et, surtout,  disponible et accessible. Mais dès que vous engagez avec lui une discussion, vous découvrez un esprit vif, doté d’une érudition qui met son interlocuteur dans l’obligation d’observer un minimum de rigueur pour tenir la route. Mais tous ceux qui l’ont côtoyé peuvent témoigner: Mustapha Filali a une capacité d’écoute impressionnante car, d’une part, il aime se transformer à chaque instant en apprenti, qui est la qualité des grands et, d’autre part, il cherche à connaître son vis-à-vis pour mieux cerner sa personnalité et le classer dans la catégorie intellectuelle ou cognitive qui lui sied. C’est donc un homme rationnel et pragmatique qui ne se laissait pas tromper par les préjugés. Cela concernait l’homme, mais le personnage avait plusieurs statuts et plus d’une corde à son arc puisqu’il est établi que tout homme est complexe et multiple et que chaque catalyseur peut dégager une facette de sa personnalité.
Voyage dans le passé de cet homme que les Tunisiens ont découvert sur le tard à la faveur d’une révolution qui traîne encore et qui ne semble pas prête à livrer son verdict.

Parcours

Mustapha Filali est né le 5 juillet 1921 à Adhla, un village situé à dix kilomètres de Sidi Ali Ben Nasrallah. Après un court passage à l’école primaire, il poursuit sa scolarité au collège Sadiki grâce à la bienveillante tutelle de son oncle maternel Mohamed  Foudhaili, magistrat à la Driba de Tunis. Mais la guerre interrompt brusquement ses études en 1940, baccalauréat en poche. Son père désire le promettre dans le corps des kalifats (délégué) mais la fonction n’emballe pas le bonhomme qui ne se sent pas prêt pour cette notabilité servile et qui aliène son élan vers d’autres paliers du Savoir. Il tente même une traversée clandestine vers l’Europe mais sans succès. Un premier emploi à la radio en 1943 lui permet de parcourir le pays en tant que reporter mais un sous-préfet malveillant, officiant chez lui à Nasrallah, lui cause du tort en lui collant un délit imaginaire pour plaire aux Français et réduire à deux ans la carrière de ce jeune Tunisien vif et dynamique. Douze ans après, il savourera sa revanche en revenant à la radio en tant que directeur. Le mariage en 1944 dans l’intimité et l’austérité est son grand premier événement existentiel avant de s’envoler pour Paris et comprimer en deux ans ce qui exige habituellement quatre années pour l’obtention d’une licence à la Sorbonne en lettres arabes.

Avide d’apprendre, il assiste à toutes les joutes culturelles dans le Quartier latin où se côtoient le Collège de France, la Sorbonne, le Panthéon, soit autant d’institutions qui éveillent l’étudiant sur les arguments de la grandeur de la France et sur les conditions de la réussite tant individuelle que collective. C’est alors qu’il fait la connaissance à Pau du plus illustre des Tunisiens, Moncef Bey, auquel il a rendu visite en compagnie d’Ahmed Ben Salah. Il en profite pour mesurer la dimension de l’homme et saisir la réalité tunisienne sous d’autres latitudes.Le retour en Tunisie le confronte à une réalité amère : la France qui a suscité son admiration et parachevé sa formation est la même qui maltraite ses concitoyens en tant que colonisateur ne concédant que très peu à la souveraineté du Bey ou du gouvernement. Il retrouve Sadiki mais en tant qu’enseignant et choisit le syndicat pour se lancer dans le combat politique; sa rencontre avec Farhat Hached génère une amitié frôlant la complicité.

Le 5 décembre 1952, c’est chez Mustapha Filali à Radès que se rend le grand syndicaliste pour y laisser son fils aîné Noureddine avant son rendez-vous avec la mort quinze minutes plus tard, le reste de la famille étant à Sousse. C’est un drame qui aiguise chez Mustapha Filali la rage de revanche avec tous les moyens dont il peut disposer pour honorer la mémoire de son prestigieux ami. A l’Ugtt, il se déploie à fond et côtoie des hommes de qualité : Mahmoud Messaadi, Lamine Chebbi, Abdallah Farhat, Mahmoud Khiari, Ahmed Ben Salah, etc. Au congrès du Parti destourien en novembre 1955 quand, à la faveur d’une confusion inattendue, la présentation du programme économique lui échoit en sa qualité de représentant de l’Ugtt au fait de la réalité socioéconomique du pays, il réalise qu’il a un grand rendez-vous avec l’Histoire.

Il passe une nuit blanche pour structurer et rédiger le projet, mais quand on lui demande de le présenter, il préfère simuler l’improvisation, impressionnant ainsi l’auditoire et surtout Habib Bourguiba qui retient son nom pour les besoins d’une cause imminente. Quelques mois plus tôt, il était nommé premier directeur tunisien de la radio là où il avait connu ses débuts professionnels avec la mésaventure qui a failli briser son avenir. Cette fois, c’est un test grandeur nature qui va révéler son savoir-faire et son sens politique.

Bonjour la République

Le 15 avril 1956, Mustapha Filali figure donc très naturellement dans le premier gouvernement de la Tunisie indépendante, ce qui dépasse de loin le projet initial du géniteur. D’abord pressenti aux Finances, il atterrit à l’Agriculture, Bourguiba l’ayant nommé à ce poste pour son ancrage régional qui doit l’avoir imprégné sur les mécanismes du secteur, tout en lui faisant confiance pour son bagage intellectuel qui doit le secourir aux moments difficiles. De Gaulle disait à juste titre: «Il y a des problèmes qu’on résout grâce à la culture générale.» Le jeune ministre est confronté d’emblée à la plus vaste invasion de sauterelles. La protection du patrimoine végétal contre les acridiens s’organise dans des conditions d’une sévère pénurie financière. Filali fait également face à des difficultés complexes découlant de la mainmise des colons, des problèmes de financement, d’exploitation, de distribution et de modernisation, sans entraver la question de l’emploi. Vaste programme qui nécessite une stratégie, des moyens et de la patience. Mais l’homme ne durera pas à son poste et doit suppléer le départ précipité de Béchir Ben Yahmed de l’Information* (en réalité, c’est Abdallah Farhat qui assure l’intérim du 20 septembre au 1er octobre 1957). Cette nouvelle fonction le mettra devant des situations autrement plus délicates en raison des motivations du Président dans son ascension politique et des libertés consommées par la presse internationale. Quant à la presse locale, elle ne présente pas de menaces majeures par le mécanisme pervers de la nomination et de la dissuasion. Dans ce contexte, Mustapha Filali doit trouver le bon équilibre et gérer les humeurs de Bourguiba autant soucieux de son image que de son autorité. Cela doit durer un an car l’inéluctable finit par se produire puisque son remplacement s’imposait. En présentant sa démission, il tenta de sauver son amour-propre sans signifier au président la moindre insubordination. Il se retrouve alors en charge des Domaines de l’Etat au Premier ministère à la faveur de l’expérience acquise au ministère de l’Agriculture.

Ce fut sans doute la plus difficile mission à laquelle un responsable se trouve confronté: conjuguer la récupération d’un peu plus d’un million d’hectares du patrimoine foncier spolié avec la sauvegarde du potentiel de production agricole. C’est une bonne préparation pour une fonction nouvellement créée: la banque agricole  (1960-62). Mais c’est ensuite qu’il doit durer dans une fonction qui va l’éveiller sur la réalité du pays : la direction des études économiques et sociales à l’Université de Tunis. Pendant cinq ans, il dirige et côtoie une population avisée de chercheurs et d’universitaires aux prises avec les statistiques, les tendances et les contraintes tant des gouvernants que des gouvernés.  Au même moment, son compagnon à Paris, à l’Ugtt et au gouvernement, Ahmed Ben Salah, doit se déployer au-delà de la capacité d’un seul homme pour relever un défi insensé et improbable: ancrer le coopérativisme en Tunisie. Ses dispositions psychologiques, malgré son dévouement au service du pays, ne sont pas au meilleur niveau. Mais il affectionne de combattre le scepticisme de la réflexion par l’optimisme de l’action. A l’Assemblée nationale où il siège depuis 1956, il a parfois le sentiment de ramer à contre-courant tellement les supposés élus du peuple ont dans leur grande majorité abandonné leur liberté d’esprit au profit du Parti et du Combattant suprême.

Lui refuse de vendre son âme et ne songe pas un moment à céder sur les principes pour une éphémère nomination qui ne figure pas dans ses aspirations essentielles, méprisant au passage tous les thuriféraires, les hypocrites et les opportunistes comme le montre une croustillante chronique figurant dans son livre Les tables de l’Inchirah où il relate des péripéties de l’abandon du calendrier hégirien. C’est que l’homme avait juré allégeance à la nation sans manquer de loyauté envers Bourguiba. Il ne reviendra plus au gouvernement n’étant pas un homme capable de démagogie pour exalter les vertus et les choix du chef de l’Etat. Il a le sentiment d’être un homme seul mais en sauvant son âme, il est en mesure de savourer sa solitude; même ses adversaires, dans leur for intérieur, lui concèdent une respectabilité inversement proportionnelle à sa taille.  L’Organisation internationale du travail vient à son secours, en 1967, pour lui offrir l’opportunité de vivre une autre expérience et de s’expatrier à Alger avec une navette régulière sur Genève. Pendant cinq ans, il se délecte d’un travail qui le promène à travers ses domaines de prédilection tout en s’enrichissant de rencontres d’un grand acabit et de divers horizons. Et c’est à Alger qu’il se lie d’amitié avec deux Tunisiens de marque: Drs Ali Okbi et Saadeddine Zmerli. Il ne revient en Tunisie que lorsque Bourguiba le rappellera à son bon souvenir pour lui confier la direction du Parti, un an et demi après avoir jeté en prison son ami Ahmed Ben Salah. Mustapha Filali vit un véritable dilemme et craint d’être qualifié par son ami d’infidélité pour avoir accepté de coopérer avec le bourreau. Mais quelle marge peut-il avoir avec un président gagné par l’ivresse du pouvoir?

Au PSD, il doit gérer les dégâts collatéraux du congrès de Monastir (11-15 octobre 1971). Durant quinze mois, il vit des situations et des scènes qui l’éveillent sur l’impossibilité d’instaurer la démocratie en Tunisie; ni Bourguiba ni les membres du Bureau politique ne sont enclins à concéder au peuple pouvoir ou privilèges. En partant le 31 décembre 1972, il a le sentiment de se défaire d’un fardeau plus lourd que sa capacité d’endurance, sortant définitivement du giron national. Sa carrière se poursuit à l’échelle maghrébine en sa qualité de représentant de la Tunisie au sein de la commission consultative maghrébine (1973-89), ce qui l’habilitera à devenir le secrétaire général de l’UMA pendant deux ans (1990 et 91). Cette expérience l’édifie sur le potentiel de la région; mais également sur les occasions manquées en raison des blocages politiques découlant de l’ego surdimensionné des dirigeants de la région et de leur lâcheté envers leurs peuples respectifs. Mustapha Filali en parlera avec amertume lors du 17ème anniversaire de l’UMA (voir encadré). Mais c’est le 7 novembre 1987 qu’il vit une sensation étrange: en tant que député, il doit accepter le nouveau président, sans préjuger de la capacité de Ben Ali à s’élever à la hauteur de sa fonction. Le naufrage de Bourguiba l’écoeure sans le surprendre; il ne peut s’empêcher de conclure que «la politique est cruelle, elle ne fait grâce à personne, même pas à ses enfants gâtés.» (Françoise Giroud)

La Révolution ou la seconde vie

Après deux coups du sort durs à traverser, —le décès de sa fille puis celui de son épouse—, Mustapha Filali  retrouve une autre vie à la faveur d’une révolution qui l’a surpris par sa vitesse. Du coup, il occupe sa place dans l’espace public jusque-là verrouillé et réservé exclusivement aux thuriféraires des anciens régimes. Ses prestations à la télévision le révèlent au grand public grâce à autant de démonstrations de sagesse et de perspicacité. Son approche ne néglige aucun aspect des exigences de la matérialisation dans les actes de la rupture avec un régime fondé sur l’oligarchie et les privilèges. Il souffle même l’idée d’un toilettage à apporter à la Constitution pour installer le pays dans la stabilité. Sollicité par le président par intérim Foued Mebazza, il prend l’initiative d’y associer ses compagnons Ahmed Ben Salah et Ahmed Mestiri, estimant que le trio peut avoir davantage de poids. Une initiative candide qui fera avorter le projet d’un Conseil républicain annoncé puis démenti en raison des réticences occultes de ceux qui souhaitent jouer un rôle politique et qui y sont parvenus plus tard. Le 15 mars, il se retrouve membre de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. A quatre-vingt-dix ans, il est encore reconnu capable de servir son pays. S’il en est flatté et rassuré, il n’est pas moins contrarié par le déroulement des séances plénières tant la passion a le plus souvent dominé les débats. En tant que doyen de cette instance, il s’emploie à faire prévaloir la voix de la sagesse au cœur d’un tumulte symptomatique des frustrations du passé. Il se contentera de vivre cette expérience inespérée avec l’espoir qu’elle servira à baliser la voie de la démocratie. Son action touche également au domaine associatif et culturel sans infléchir son programme habituel fondé sur la lecture et l’écriture. Il est sollicité par les médias, les associations et certains hommes politiques désireux de s’inspirer de son expérience à défaut de l’embrigader. Il affiche une disponibilité tout en prenant ses distances d’autant qu’aucune formation politique n’a pu répondre à ses exigences. Après les élections du 23 octobre 2011, son rôle se modifie par la force des choses: l’équilibre des forces bascule dangereusement en faveur de la rue. Cela lui inspire une chronique très chargée: «Y a-t-il encore un Etat en Tunisie?», publièe par Assabah le 31 mai 2012. Il y développe, faits à l’appui, la fâcheuse tendance de la déliquescence de l’Etat, tout en tirant la sonnette d’alarme pour mettre les gouvernants devant leur responsabilité historique. Son inquiétude croît à mesure que déferlent les traversées clandestines sur l’Europe synonymes de désespérance. Il reprend sa plume pour fustiger à Assabah le 5 septembre 2012 «Les embarcations de la mort» les pouvoirs publics pour leur passivité, à la limite de la complaisance, voire de la complicité, tant le fléau est devenu flagrant et monstrueux. De son côté, le projet de loi visant la protection de la révolution l’interpelle et l’indigne. Il brode un réquisitoire d’une grande pertinence mettant en garde sur les menaces que pourrait induire ce projet de loi qualifié à juste titre «La loi de la sédition» (Le Maghreb—version arabe—, 4 décembre 2012). Il rejoint ainsi l’analyse développée sept ans plus tôt par Hélé Béji dans son ouvrage Une force qui demeure: «C’est une société bien inhumaine que celle qui cultive l’amalgame, qui oublie l’humain pour le générique et englobe la moitié de l’humanité dans le cycle de sa vendetta». Devenu prolifique par la force de l’habitude et la richesse du répertoire intellectuel, il présente sa vision lors du second acte du débat national organisé par l’Ugtt qui impressionne tout le monde sans toutefois connaître de suite malgré la présence du président de la République, de Rached Ghannouchi, etc. Ce dernier aura plus tard le privilège de recevoir une lettre ouverte («C’est à vous, Cheikh») sur les colonnes d’Achourouk du 28 juin 2013 de ce même Mustapha Filali qui le renvoie à ses chères études. En la circonstance, l’expéditeur puise dans le référentiel du leader d’Ennahdha, c’est-à-dire le Coran et la Sunna, les arguments irréfutables pour mettre à nu les choix et pratiques conduisant a priori à l’impasse et à la discorde. Dans la foulée, il contribue à la détente des travaux de la Constituante par une proposition qui fera du chemin: la constitution d’une commission paritaire pour dénouer les litiges nés de l’élaboration du projet de Constitution, d’autant qu’il a assisté à une plénière houleuse qui ne pouvait le laisser indifférent. Mais un autre chantier requiert tout son intérêt: quel mode de société convient pour la Tunisie au vu des derniers développements de tous ordres? En constituant un groupe de penseurs qui s’attellent à la tâche pour ébaucher un projet d’avenir pour le pays, il entend livrer un combat d’une autre nature dont les dividendes dépendront de l’écoute et de l’humilité de tous les destinataires de ce travail. Lui, il se contentera de satisfaire sa conscience en s’acquittant de ses devoirs, convaincu qu’«entre le passé où il y a notre mémoire et le futur où réside notre espoir, il y a le présent où il y a nos devoirs.» Mustapha Filali, en homme infatigable et déterminé, se consacrera jusqu’à son dernier souffle à servir. Il ne peut concevoir la vie que sous l’angle de l’utilité pour autrui. Et là ce ne sont pas les actions qui manquent, partant de ses réalisations à Flailia, à Nasrallah, jusqu’à Radès, pour ne citer que les fiefs qui ont abrité ses tranches de vie et auxquels il n’a cessé de ressentir de la gratitude avec ce qu’elle doit induire comme devoirs.S’appropriant les frustrations et les souffrances de tous les Tunisiens, il se charge aujourd’hui de leur traitement tout en procédant à une savante hiérarchisation entre le principal, l’accessoire et le dérisoire pour éclairer ses concitoyens sur les conditions et les instruments du salut tant individuel que collectif. Citant souvent Chatibi, l’un des quatre grands imams sunnites, il s’inspire de son commandement qui stipule que l’homme doit tant protéger:

1- le soi (l’âme);

2- la religion;

3- le cerveau (la raison);

4- le patrimoine;

5- la réputation.

"حفظ النفس والدين والعقل والمال والعرض" Comme il lui plaît d’évoquer Mawardi, l’un des oulémas chaféites, qui subordonne le bonheur collectif à six conditions concomitantes, à savoir : une religion observée, un gouvernant (sultan) puissant, une justice générale, une sécurité ambiante, un bien suffisant et un espoir vaste "دين متبع وسلطان قاهر وعدل شامل وأمن سابغ ورزق بار وأمل فسيح".

C’est que l’ancrage arabo-musulman est très fort chez un homme authentique qui se présente également comme un chantre de la modernité pour incarner l’ouverture qu’il a cultivée depuis son enfance grâce à l’influence de son oncle, de ses maîtres à Sadiki, notamment Ali Belhouane, à La Sorbonne et au Collège de France qu’il fréquentait en tant qu’auditeur libre. C’est suffisant pour qu’il clame aujourd’hui haut et fort: «Cessons de nous entretuer. La discorde peut condamner le pays ainsi que plusieurs générations. La Tunisie est une terre de tolérance et d’hospitalité. Musulmans et non-musulmans ont toujours cohabité en totale intelligence dans la concorde.» Chercher à rompre cet équilibre reviendrait, selon lui, à pervertir l’histoire et à souiller un pays qui a traversé et charrié trois mille ans de civilisation et qui ne mérite pas de se retrouver confronté à des écueils au-dessus de ses forces. Mustapha Filali est, de l’avis de tous, la voix la plus sage qui réunit la lucidité, la sincérité, le détachement et le désintérêt. Le jour où l’écoute du pays sera nette, attentive et dynamique, l’on pourra alors entrevoir la fin du tunnel. En mars 2014, il ouvre un nouveau chantier en convoquant chez lui une brochette d’amis de diverses appartenances professionnelles et intellectuelles pour plancher sur un thème qui lui est très cher car salutaire : le génie du travail.  A l’évidence, c’est la détérioration de cette valeur précieuse qui lui a inspiré cette dernière action qui doit visiblement accaparer l’essentiel de son temps et de son énergie. Admirateur  d’Appolinaire, il aime souvent déclamer le Pont Mirabeau pour se représenter son refrain : «Vienne la nuit sonne l’heure.  Les jours s’en vont, je demeure». Mustapha Filali doit demeurer l’éclaireur dans l’imaginaire collectif, et surtout dans la conscience des gouvernants, si conscience il y a.

Mohamed Kilani

Post scriptum: Ce portrait a rencontré pour sa publication une résistance farouche de la part de Mustapha Filali de son vivant. Très pudique, il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de le mettre sous les projecteurs des médias. Il a fallu le convaincre, avec parfois une certaine violence intellectuelle, pour l’amener à adhérer et à coopérer.