News - 11.02.2019

Mps1 : l’histoire d’une cible thérapeutique pour des formes agressives de cancers

Mps1 : l’histoire d’une cible thérapeutique pour des formes agressives de cancers

Le cancer est un vrai problème de santé publique dans le monde, et notamment en Tunisie. Il se place en deuxième position après les maladies cardiovasculaires et avant les accidents de la route comme première cause de mortalité. L'absence d'infrastructure et de moyens de dépistage, mais aussi de culture de dépistage augmente l'incidence et la mortalité du cancer dans notre pays. Le cancer du sein est la première cause de décès pour les femmes, suivi du cancer du colon et du col de l’utérus. Pour les hommes, le cancer des poumons est la première cause de décès, arrivent ensuite les cancers de la vessie, du colon et de la prostate. Le cancer du colon est donc une forme commune pour les 2 sexes et reste l'une des premières causes de mortalité notamment du fait de métastases (c’est à dire la propagation de la tumeur de l'endroit où elle est apparue à une autre partie du corps).

Une des causes de chimiorésistance et d’échec thérapeutique des cancers colorectaux reste la mutation de la protéine p53 et l’instabilité génomique. La protéine p53 joue un rôle primordial dans le contrôle du bon fonctionnement de la machinerie cellulaire. Elle décide notamment de la vie ou de la mort des cellules défectueuses. C’est pour cette raison que p53 est mutée et non fonctionnelle dans la moitié de tous les cancers. L’instabilité génomique est définie entre autre par la perturbation de la quantité d’ADN dans la cellule. Une cellule cancéreuse peut avoir plus ou moins le nombre physiologique normal de chromosome et donc la quantité normale d’ADN. Cette propriété est très répandue dans les cancers de colon. La chirurgie couplée à la chimiothérapie est le traitement principal du cancer colorectal mais malgré les progrès réalisés dans ce domaine, le risque de récidive de la maladie, due à ces formes résistantes, reste un obstacle majeur.

C’est dans cette optique que nous nous sommes investi avec mon équipe de thèse de doctorat mais aussi pour mes travaux de recherches post-doctorales dans l’identification d’agents pharmacologiques capables de tuer spécifiquement ce type particulier de cellules de cancer de colon résistantes.

Nous avons commencé par mettre au point une technique de criblage à haut débits de molécules bioactives pour pouvoir cibler assez rapidement les tumeurs résistantes. C’est une technique qui couple la vidéo-microscopie et des marqueurs de mort cellulaire. Le but consiste à filmer les cellules et enregistrer le comportement de leur ADN en présence de drogues. Il a fallut optimiser cette technique révolutionnaire pour pouvoir cibler plus de 500 drogues différentes en un temps court et pouvoir étudier leurs effets toxiques sur des cellules normales, des cellules tumorales avec ou sans les mutations de p53 et l’instabilité génomique. J’ai pu donc identifié 2 molécules qui tuent d’une façon préférentielle les cellules de cancer résistantes (Instabilité génomique + mutation de p53). J’ai entrepris alors une étude pour comprendre comment ces 2 molécules ciblent les tumeurs résistantes. J’ai montré que le traitement engendre l’apoptose (le suicide de la cellule). La cellule commence un programme de suicide et s’autodétruit. Ce qui marque aussi ce traitement c’est l’effet induit sur le cycle de la cellule c’est à dire sa capacité de se diviser. En effet, les cellules traitées synthétisent et accumulent de plus en plus d’ADN, mais au moment de se diviser, sautent cette étape et recommencent un nouveau round de synthèse d’ADN. Ceci engendre des cellules géantes qui finissent par se suicider pour avoir amassé des défauts de division cellulaire (dite dans le jargon scientifique mitose). Cette nouvelle forme de suicide cellulaire est baptisée catastrophe mitotique.

Je me suis focalisé sur cette nouvelle forme de suicide cellulaire. J’ai étudié les cibles intracellulaires des 2 molécules que j’ai identifié et j’ai montré qu’ils avaient une cible commune dans la cellule, engendrant la catastrophe mitotique. Cette cible commune est une protéine appelée Mps1. A voir de plus près, Mps1 est une protéine majeure du control du bon déroulement de la division cellulaire. Sa désactivation engendre une panoplie de défaut de la mitose ainsi que l’accumulation de l’ADN. Le cancer qui se définie entre autre comme étant une multiplication non contrôlé des cellules semble avoir trouvé un talon d’Achille. La désactivation de Mps1 pousse ce non-contrôle à son paroxysme et donc vers un suicide des cellules. J’ai démontré cette tendance dans les cancers résistant p53 mutée et surtout ayant de facto une instabilité génomique.

Cette découverte fondamentale a engendré une collaboration entre notre laboratoire de recherche et une firme pharmaceutique de renommé internationale  pour le développement de nouvelles molécules qui ciblent plus précisément la protéine Mps1. J’ai travaillé sur ces drogues de nouvelle génération et montré leur efficacité à petite doses sur les tumeurs et comment elles induisent la catastrophe mitotique. La combinaison des ces molécules avec un autre agent utilisé couramment en chimiothérapie (le taxol) un montré une grande synergie ouvrant la voie à son utilisation à faible dose et donc réduire de potentiels effets toxiques secondaires. Nous somme passé après cela à l’expérimentation animale et nous avons montré l’efficacité de ce traitement chez la souris. Cette étape essentielle dans l’élaboration du nouveau médicament précède celle de son expérimentation chez l’homme. Le traitement est actuellement en essaye clinque 2.L’essaye clinique 2 est l’ultime phase d’essaye d’un nouveau traitement avant sa validation et commercialisation. Il y a donc de grands espoirs que les inhibiteurs de Mps1 soit validés comme nouveaux agents anticancéreux et ainsi devenir un outil supplémentaire dans la lutte contre les cancers résistants.
(https://clinicaltrials.gov/ct2/results?cond=cancer&term=Mps1&cntry=&state=&city=&dist).

Bien entendu toutes ces découvertes en fait l’objet de plusieurs publications scientifiques et brevets à l’échelle internationale. Tous récemment, la fondation suédoise royale de physiologie m’a octroyé un prix pour appuyer mes recherches sur Mps1 dans les neuroblastoma, une forme agressive de tumeur pédiatrique.

Remerciements

Je remercie tous mes formateurs et collègues qui ont contribué au développement de ce projet, en particulier le Professeur Guido Kroemer (Centre de recherche les cordeliers, Université Paris Descarte), Ilio Vitale (Université Tor Vergata, Rome) et Nathalie Morin (Centre de recherche en biologie cellulaire de Montpellier)ainsi que le Cancéropôle île-de-France IDF, La fondation de recherche médicale FRM et la ligue nationale contre le cancer en France.

Références

Jemaà Mohamed et al, Oncotarget. 2016
Whole-genome duplication increases tumor cell sensitivity to MPS1 inhibition.

Jemaà Mohamed et al, Cell Death Differ. 2013
Characterization of novel MPS1 inhibitors with preclinical anticancer activity.

Jemaà Mohamed et al, Cell Cycle. 2013
Transgenerational cell fate profiling: a method for the graphical presentation of complex cell cycle alterations.

Jemaà Mohamed et al, Cell Cycle. 2012
Preferential killing of p53-deficient cancer cells by reversine.

Jemaà Mohamed et al, EMBO Mol Med. 2012
Selective killing of p53-deficient cancer cells by SP600125.

Jemaà Mohamed et al, Combinations for the treatment of cancer.
International patent. (Application No WO 2014020041 A1 and WO 2014020043 A1, application date 06.02.2014)

Auteur

Mohamed jemaà. PhD
Chercheur en cancérologie
Faculté de Médecine, Université de Lund, Suède
Co-fondateur du réseau mondialdes Jeunes Chercheurs Tunisiens en Biologie YTRB Network (https://ytrbiology.weebly.com/)

Biographie

Docteur Mohamed Jemaà a étudié la biologie en Tunisie à l’institut de biotechnologie de Monastir avant de décrocher une bourse d’excellence du Cancéropôleîle-de-France IDF en 2008. Il a décroché une thèse en cancérologie de l’université Paris Sud en 2012 avant d’enchainer des post.doc à l’Institut Gustave Roussy IGR à Paris, puis à Montpellier au Centre de recherche en Biologie Cellulaire CRBM, à l’institut de physiologie de l’Université de Tübingen en Allemagne avant de s’installer au Medicon Village et l’Université de Lunden Suède depuis 2017.