Opinions - 09.02.2019

Mohamed Adel Chehida : Le sursaut nécessaire à notre Tunisie

Mohamed Adel Chehida : Le sursaut nécessaire à notre Tunisie

La dernière affaire de l’école coranique clandestine est riche d’enseignements. J’ai vu et entendu les parents et ceux qui les accompagnaient. La réaction de ces parents, avocats, députés est encore plus inquiétante. Est-ce un cas isolé ?

J’ai vu les images de la manifestation des salafistes  le 14 janvier de cette année Av. Habib Bourguiba. On croit rêver, des barbus avec des tenues Afghanes qui réclamaient le retour du Califat ! Et que dire des femmes qui s’étaient rassemblées sur les marches du théâtre municipal pour réclamer le retour de la polygamie !

Je me souviens d’un délirant qui tout juste après la révolution avait déclaré qu’il était le fils naturel de Ben Ali. La presse et les chaines de TV et de radio, les réseaux sociaux se sont emballés, de pages de dissertation et d’hypothèses toutes plus folles les unes que les autres.

C’est un état d’esprit qui reflète un profond malaise sociétal. La violence, l’argent facile, la dissimulation, préserver les apparences et la fuite vers l’extrémisme des signes qui trompent rarement.
Mais que peut-on attendre d’animateurs médiocres parachutés et d’émissions vulgaires ou le voyeurisme et la manipulation des affects se font sans scrupules ? Chocco le trafiquant de drogue qui aime sa maman très fort est devenu un modèle pour notre jeunesse et on peut gagner le salaire d’une vie de travail en choisissant la bonne boite et Oueled Moufida vivent avec nous. Voilà les valeurs en vogue.

Il n’est pas rare de voir dans certains quartiers de grandes villes, certains villages des scènes qui vous glacent. Des jeunes en tenues afghanes avec les tennis de rigueur et les pantalons courts, les cheveux longs, la barbe sans la moustache, des femmes totalement voilées en noir, gants compris. Mais pourquoi aller si loin à l’université du côté du campus et dans certaines administrations, au tribunal… personnellement cela me soulève le cœur à chaque fois. Qu’est ce qui se passe dans la tête de ces jeunes ? Ont-ils la moindre idée de la réalité historique des modèles qu’ils magnifient ? Des intrigues, des meurtres et des massacres d’innocents le plus souvent musulmans d’ailleurs, voilà ce que leur apprendrait l’histoire s’ils voulaient seulement de donner la peine d’être objectifs.

L’intolérance et l’hypocrisie sont de règle. Boire un verre d’eau dans un café durant le ramadan vous expose à la vindicte populaire et au regard méprisant des passants en revanche fumer un joint après la rupture du jeune…C’est de bonne guerre.

On exige le port du voile de sa femme, sa sœur et même de sa mère mais on regarde en douce des films pornographiques. La sexualité refoulée s’exprimera d’une façon ou une autre et pas toujours comme un épanouissement pour le moment les apparences sont préservées.

Les rencontres de football ne peuvent plus se dérouler sans bagarres et scènes de vandalisme, même entre supporters de la même équipe, beaucoup sont sous l’effet des drogues mais attention jamais d’alcool même pas une bière !

Evidemment l’argent coule à flot et des joueurs sont payés des millions pour jouer dans un championnat sans saveur, mais d’où vient cet argent ?

Nous avons ouvert la boite de Pandore et nous réalisons la profondeur du mal.Des siècles de mensonges et de dénis remontent à la surface. L’erreur du marxisme était de croire que du passé on pouvait faire table rase. Les mauxde nos sociétés sont anciens et multiples et bien malin celui qui pourra en déterminer avec certitude les causes profondes.

Certains pourraient se demander pourquoi avoir évoqués des exemples sans aucun lien. A mon sens ils découlent tous d’un même processus de déculturation très ancien. Combien de tunisiens maitrisent bien une seule langue ? L’arabe et/ou le français ? Très peu mais tous maitrisent le tunisien. Pourtant très rares sont les publications en tunisien.

Mais laissons un instant de côté ce que j’appellerai l’aspect caricatural des exemples cités plus haut, revenons à notre quotidien.

Faisons dans le soft, dans les cercles familiaux, professionnels, entre amis, les réflexions racistes, sexistes, les clichés régionalistes méchants sur les sahéliens, sfaxiens ou encore 08 ne choquent personne. La corruption soft, 5 dinars par-ci, 10 dinars par là pour faciliter une demande est devenue la règle. L’employé de la société de téléphone ou d’électricité vous proposera de venir réparer la panne sur ses heures de repos, sinon vous pouvez toujours courir. Le professeur de vos enfants que vous payez si cher en cours particuliers sera plus compréhensif avec eux, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui vous font accepter de vous saigner pour le payer, peu importe que cela se fasse au détriment d’autres élèves. Ce professeur qui a construit avec l’argent des cours particuliers sa maison et a même rajouté récemment un deuxième étage, illégalement cela s’entend, il s’apprête à faire une Omra pendant le mois de Ramadan avec son épouse. Que c’est touchant. Il faudra aller le féliciter à son retour. Combien de livres avez-vous lu la dernière année ?

Il ne s’agit pas de faire la morale mais juste de souligner l’absurdité de nos comportements. Une société qui refuse de se regarder en face, d’assumer son histoire, d’avoir une langue écrite et d’affronter ses mutations et ses démons est condamnée. Nous sommes peut-être une chance dans notre région de la méditerranée du sud mais le temps nous est compté. Nous avons raté plusieurs marches et des opportunistes se sont emparés des médias, de la politique, du commerce, des fortunes se sont constituées en 5 ou 6 ans, les romantiques et les naïfs ont été laminés, refoulés dans leur coin et pourtant je persiste à croire que tout n’est pas perdu, peut-être les élections de 2019 seront notre dernière chance ?

Dr Mohamed Adel Chehida