News - 08.01.2019

Tunisie: Plaidoyer pour un compromis socio-économique

Habib Touhami : Plaidoyer pour un compromis socio-économique

En refusant de bloquer les salaires et les prix pour une période déterminée, le premier gouvernement constitué au lendemain du 14 Janvier 2011 porte une immense responsabilité dans la dégradation dramatiqueet rapide des principaux  indicateurs économiques et financiers, la cherté de la vie, la dégringolade vertigineuse de la monnaie nationale et l’introduction au sein de la politique salariale d’une somme considérable d’anomalies et d’incohérences confinant à l’absurde. Cela ne disculpe pas les gouvernements qui lui ont succédé, au contraire.

Sous quelque angle qu’on les observe, les décisions prises au niveau salarial apparaissent comme disproportionnées, inappropriées et discriminatrices. Au lieu de considérer le revenu salarial comme un tout, en y intégrant l’impact de la fiscalité, de l’inflation, des cotisations sociales et des bénéfices inégaux tirés des transferts sociaux (éducation et santé notamment), nos gouvernants se sont focalisés sur le salaire nominal en procédant, qui plus est, par segmentation et saupoudrage. Au lieu de garder un minimum de logique dans une politique salariale déjà mal construite, ils ont choisi la voie de la facilité en cédant aux exigences catégorielles, sans aucun égard pour toute construction d’ensemble. Les augmentations de salaire concédées après le 14 Janvier 2011 ont ajouté des strates d’incohérences aux strates déjà existantes. Mais quand un bac+4 se retrouve mieux payé qu’un assistant hospitalo-universitaire (bac+12) et un bac+3 mieux payé qu’un bac+7 censé le commander, cela devient ubuesque et scandaleux.

Le dialogue social ne résume pas et ne doit pas se résumer aux négociations salariales, quoique les salaires forment le déterminant dominant de l’état du climat social. Il se trouve qu’à part un texte laconique et imprécis datant de 1974, la fixation des salaires et leur évolution n’obéissent à aucune règle précise ou communément admise. En fait, les partenaires sociaux ne se sont jamais accordés réellement sur le mode de fixation des salaires et leur évolution. Des grilles de salaire existent, mais on ne sait toujours pas quelle justification préside à la fixation et à l’évolution du salaire de base à partir duquel la grille est générée. Est-ce la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée du secteur? Est-ce autre chose ? Nul ne le sait. Quel pourrait être le rapport entre le Smig, prérogative du seul gouvernement, et ce salaire sectoriel « générateur » obtenu en principe par voie de négociation? Là aussi, c’est le flou. Quant à l’évolution de la masse salariale nationale en fonction de l’évolution du PIB à prix courants, on est en droit de s’interroger sur sa pertinence en raison de certaines disparités tenant à la taille des entreprises, la productivité ou la VA? 

Tant que ces problématiques ne seront pas discutées et tranchées par les partenaires sociaux dans le cadre d’une vraie politique des salaires, des prix et des revenus, les rapports de force continueront à l’emporter sur la rationalité, occasionnant frustration et troubles. Que vaut le consensus proprement «politique» dans ces conditions ? Rien ou si peu, et c’est très précisément l’avis que j’ai donné dès décembre 2014 quand des instances de Nida m’ont sondé sur la pertinence d’une coalition politique avec Ennahdha. J’ai dit à cette époque et je le répète aujourd’hui que le compromis nécessaire pour remettre de l’ordre dans le pays est d’abord de nature socioéconomique et que le compromis politique ne vaut que par sa contribution à la conclusion de ce type de compromis. La question reste d’actualité car si celui-ci n’est pas trouvé dans les plus brefs délais, la course-poursuite salaires-prix continuera de plus belle pour finir par déclencher une déflagration sociale et financière d’une violence telle que l’avancée démocratique elle-même sera fragilisée.

Habib Touhami

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