News - 24.12.2018

Climat : comme la Pologne est loin de la Tunisie !

Climat : comme la Pologne est loin de la Tunisie !

Après deux longues semaines d’âpres débats, le rideau vient de tomber sur la COP 24 convoquée par l’ONU à  Katowice, en Pologne.
Dans cette ville, 197 nations ont discuté de la façon d’appliquer les décisions prises dans l’accord de Paris en 2015 et d’écrire le règlement à suivre pour donner corps à ce texte unanimement accepté.
António Guterres, le Secrétaire Général des Nations Unies, n’a pas mâché ses mots en s’adressant aux délégués à Katowice : ne pas prendre des décisions fermes et fortes en matière de changement climatique serait « immoral et suicidaire » a t-il martelé. (The Guardian, 16 décembre 2018)
A en croire le commissaire européen Miguel Cañete : « C’est un bon accord. Il nous reste encore beaucoup à faire mais nous pouvons aller de l’avant maintenant. » Quand à Nicholas Stern, l’auteur d’un rapport-phare sur l’économie du changement climatique, il juge : « Cela a encore été un autre sommet d’âpres négociations mais, au final, il a atteint le but fixé : parvenir à un règlement pour mettre en musique l’accord de Paris. »

L’année qui fait perdre la tête aux politiciens

Pris dans les turbulences créées par le mystère de la Chambre Noire, les  règlements de compte florentins, les fuites à l’anglaise, la patente du fils, la rébellion de Brutus et l’âge du capitaine, les Tunisiens n’ont guère eu le loisir de s’intéresser, pour la plupart, ce qui se passait à Katowice, si loin, là-bas au nord !
Oubliées les inondations de Nabeul ! Evacuées la sécheresse et les coupures d’eau de cet été ! Et à l’heure où l’Europe décide de réduire les émissions de CO2 des voitures neuves de 37,5% d’ici 2030 (Le Monde Eco, 19 décembre 2019, p. 1), le gouvernement tunisien veut réduire, lui, le prix des voitures populaires mais abandonne à leur lamentable état les transports publics et notamment le ferroviaire. Pour ne rien dire de ces louages fous du volant qui dépassent et doublent comme bon leur semble avec les drames qu’on connaît. Nos décideurs oublient-ils ces atroces tragédies et le nombre de morts record  de la route que compte hélas le pays ?

Nul n’est dupe. L’année électorale 2019 ne doit pas permettre tous les coups bas d’un populisme à la petite semaine qui ne grandit pas ses auteurs lesquels ne visent qu’à  gagner des suffrages et après moi le déluge ! 

Non ! Les Tunisiens ont besoin de transports sûrs et fiables mais la solution ne consiste ni  à augmenter la pollution ni le nombre des victimes de la route.

Une crise de civilisation et un enjeu vital

Aujourd’hui pourtant, notre gouvernement et tous nos responsables doivent réaliser que le réchauffement climatique constitue non seulement une crise pour la civilisation mais aussi une crise pour la vie même sur terre.

En octobre dernier, des savants au-dessus de tout soupçon nous l’ont dit sans détours : il ne nous reste plus qu’une poignée d’années - douze exactement - pour limiter les catastrophes que causera le changement climatique comme la sécheresse, les inondations, la montée des eaux de la mer, les vagues de chaleur, la baisse de la productivité agricole. Ils nous ont avertis: le réchauffement climatique ne doit pas dépasser un maximum de 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle si nous voulons limiter les dégâts. Pour atteindre ce but, les émissions de gaz carbonique - provenant des fuels fossiles - doivent chuter de 40% d’ici 2030. La catastrophe est assurée si nous atteignons les 2°C.

Autre certitude : ce sont les pays comme le nôtre qui souffriront le plus du changement climatique. Un écrivain américain n’y va pas par quatre chemins : « Quand un endroit devient inhabitable, ils [les riches] ont les moyens de s’en échapper… Les pauvres, comme toujours, restent sur place, au moins pendant un temps. Les inquiétudes environnementales concernent bien l’inégalité et l’injustice. Ce sont les plus défavorisés qui souffrent le plus. » (Ron Rash, « Aimer le monde ou mourir », Le Monde, 23-24 décembre 2018, p. 20) Les Grecs disaient : les Dieux aveuglent ceux qu’ils veulent faire périr. En 2018, les émissions de CO2 ont battu des records ! Pour l’ONU, 2018 figurera au top des quatre années les plus chaudes jamais enregistrées mondialement depuis 1880. 2015, 2016 et 2017 occupent les premières positions. En fait, sur les dix-huit années les plus chaudes jamais enregistrées, dix-sept l’ont été au XXIème siècle.

On a réalisé à Katowice que la plupart des pays - Etats Unis et Union Européenne inclus - ne sont pas parvenus à donner corps aux chétifs engagements pris. Pas d’effort collectif. L’accord de Paris est l’ombre de lui-même… à cause de sa propre architecture, à cause de sa conception imposée  par les Etats Unis et la Chine.

Face au changement climatique, M. Donald Trump est le plus gros obstacle à l’heure actuelle. Au moment même où les négociateurs discutaient de la réduction des émissions carbonées, les représentants du président américain dévoilaient deux schémas de promotion des fuels fossiles. Ce qui a encouragé d’autres à emprunter cette voie hasardeuse et notamment l’Arabie Saoudite qui a tout fait pour empêcher la conférence d’adopter toutes les conclusions du rapport du GIEC. Ce faisant, le royaume wahhabite a trouvé des soutiens du côté russe, américain et koweïti. De son côté, l’Australie a rejoint le chœur américain chantant l’hymne du charbon et le Brésil du président élu Jair Bolsonaro a marqué son scepticisme climatique en retirant son offre de recevoir la conférence sur le changement climatique l’an prochain.

Face à ce front du refus, une poignée de pays développés et de nombreux pays en développement - y compris les plus pauvres et les plus vulnérables - ont clairement affirmé leur volonté  de tout faire pour suivre les recommandations du GIEC et de limiter le réchauffement à 1,5°C.

La question centrale à Katowice a été celle du renforcement des réductions des émissions. Si l’on continue sur la lancée actuelle, nous allons tête baissée vers les 3°C. Nous allons donc vers le désastre. Pas d’accord sur ce point alors que les querelles sur le crédit carbone ont contraint à prolonger d’un jour la conférence… sans résoudre l’épineux problème posé par les forêts du  Brésil, renvoyé à la prochaine rencontre. Il n’en demeure pas moins que le charbon et le pétrole continuent à faire tourner malgré tout l’économie mondiale. Pourtant, l’énergie propre fait de notables progrès et plus vite qu’escompté. Il faut maintenant surmonter les obstacles pour accélérer la transition vers l’énergie non-carbonée.

Solidarité ou compétition ?

Les négociations sur le climat souffrent d’une maladie congénitale : dès le départ, elles ont été vues comme des négociations économiques et non environnementales. Adieu la coopération ! La compétition seule tient le haut du pavé. Or, le cœur de l’accord de Paris est enraciné dans la coopération globale : a) les Etats décident de réduire leurs émissions de carbone ; b) Les Etats doivent rendre des comptes à travers des mécanismes de surveillance et c) les pays riches doivent fournir aux plus démunis des fonds pour permettre une transition vers une économie libérée du carbone dans un proche avenir.
Ce bel échafaudage est aujourd’hui grandement miné par le nationalisme de droite qui rejette la solidarité globale, obligatoire, si on veut éviter la catastrophe planétaire. De plus, Donald Trump croit que la réduction des émissions gênera l’économie américaine et profitera à celle de la Chine. Il pense aussi à ses propres électeurs des mines de charbon dans les Appalaches et ailleurs et a décidé de se retirer de l’accord de Paris. La Chine, le plus gros pollueur mondial à l’heure actuelle, ne s’est encore jamais engagée à une quelconque réduction de ses émissions… même si Beijing étouffe et qu’il y fait nuit à midi.
Mais Trump n’est pas en phase avec ses concitoyens car 80% des Américains -  y compris la plupart des Républicains - pensent que le changement climatique est réel et est en cours (The Guardian, 12 décembre 2018). Des milliers de manifestants ont défilé à Bruxelles pour soutenir le meeting de Katowice. L’Allemagne a versé sa quote-part en faveur de la transition énergétique des pays les plus pauvres.

A Katowice, on a fixé le prochain rendez-vous l’an prochain au Chili pour mettre la dernière main au règlement de l’accord de Paris.

Mais ne nous faisons aucune illusion : l’accord de Paris n’a rien de contraignant. Chaque pays fixe ses NDC (contributions déterminées au plan national) et s’il échoue à les concrétiser, il ne se passe rien.  L’accord de Paris est basé sur la bonne volonté des Etats.

La conférence décisive aura lieu cependant en 2020 car les pays devront alors prouver les réductions réalisées et annoncer les buts à atteindre en 2030 et au-delà. L’Italie voudrait accueillir cette manifestation mais la Grande Bretagne formule aussi la même proposition pour affirmer sa présence sur l’échiquier mondial après les hauts et les bas du Brexit et les  avanies infligées au Premier Ministre Mme Theresa May.   Quel que soit l’hôte, il y aura de rudes montagnes diplomatiques à escalader… au vu de ce qui s’est passé en Pologne au cours de ces deux longues semaines..

Pensons à la Tunisie

A l’ouverture de la conférence de Katowice, Sir David Attenborough, 92 ans, biologiste, membre de la Royal Society, apporta la voix de la Science et de la sagesse. Attention, dit-il, à l’effondrement de la civilisation si le changement climatique se poursuit sans entrave : « A l’heure actuelle, nous faisons face à un désastre de dimension globale, un désastre fait de la main de l’homme. Il s’agit de la plus grande menace depuis des milliers d’années : le changement climatique. Si nous ne faisons rien, l’effondrement de la civilisation et l’extinction de la majeure partie de la Nature pointent à l’horizon. »
En Tunisie, nous devons nous rendre à cette vérité: Réduire les émissions et augmenter la croissance n’est plus incompatible.
Les coûts des technologies comme les batteries, les équipements super efficients et les réseaux intelligents baissent rapidement et ils sont déjà compétitifs avec les technologies aux fuels fossiles auxquelles nous sommes accros.

Aujourd’hui,  dans le monde, 80% de l’énergie vient du charbon, du pétrole et du gaz. Nous sommes ainsi en train de détruire cette planète. Le salut est dans les technologies zéro carbone. Pour sauver nos vies et celles de nos descendants !

Réfléchissons-y... avant de construire des châteaux en Espagne et de nous  lancer, ridicules comme Don Quichotte, à l’assaut du moulin de Carthage ! Prenons bien note de ce qui s’est passé en Pologne. Nous sommes tous à bord du  même bateau.

Mohamed Larbi Bouguerra