Opinions - 23.06.2010

Une fiscalité équitable

Kamel DimassiLes nouvelles mesures fiscales prises par le Chef de l’Etat lors du conseil ministériel tenu mardi le 22 Juin 2010, revêtent une importance majeure qu’il convient d’analyser point par point :

En matière d’équité fiscale : 

La recherche incessante d’une meilleure répartition de la charge fiscale et d’un acquittement de l’impôt sur la base de l’équité constitue une orientation sociale incontournable à laquelle aucune autorité ne peut déroger dans toute société soucieuse d’instaurer un climat fiscal dépourvu de discrimination, souvent source de tension entre groupes sociaux et cause de fraude et d’évasion  fiscales. Posé par l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, le principe d’égalité en matière fiscale revêt une importance particulière en ce sens  que l’égalité apparaît de plus en plus comme l’une des conditions premières de l’équité. Le principe d'équité figure expressément parmi les principes généraux qui justifient la  logique des  impositions. Il s’agit  en outre d’un  principe constitutionnel consacré en Tunisie par l’article 16 de la constitution du 1 er janvier 1959 qui dispose que «le paiement de l'impôt et la contribution aux charges publiques, sur la base de l'équité, constituent un devoir pour chaque personne». L’équité est considérée comme un facteur essentiel du respect volontaire de la loi fiscale. En effet, L’impôt c’est à la fois le cauchemar et le rêve du citoyen et c’est cette double et paradoxe qualité qui rend le consentement  volontaire  indispensable», ce consentement passe par une condition incontournable qui est le sentiment chez le contribuable  qu’il est imposé équitablement en fonction de sa capacité contributive et non en lui imposant un impôt hasardeux et injuste. 

En matière d’encouragement des PME :

Le conseil des ministres a décidé de faire bénéficier les petites et moyennes entreprises d'un abattement de l'assiette de l'impôt au cours des trois premières années d'activité, selon un taux dégressif:

  • 75% la première année,
  • 50% la deuxième année, et
  • 25% la troisième année.

Cette mesure s’inscrit dans le cadre général de la «La  personnalisation de l’impôt, une théorie conforme à la conception  moderne de la justice fiscale, qui veut que l’on tienne compte, pour le calcul de l’impôt, de la situation économique et sociale du contribuable» (Docteur Habib Ayadi). Pour établir un  impôt  personnalisé, la loi fiscale doit  prévoir  des mesures de déduction qui prennent en compte les particularités de chaque contribuable. En Tunisie, comme dans la plupart des pays du monde, la  personnalisation  constitue l’un  des principes clés qui sous-tendent l’impôt sur le revenu des personnes  physiques. Cette mesure est de nature à étendre cette personnalisation à l’impôt sur les sociétés et touche un point capital de l’économie Tunisienne : c’est les PME. En effet, personne ne doute l’importance des petites et moyennes entreprises comme moteur de l’économie Tunisienne. Cette mesure vient renforcer les différents avantages donnés aux PME et les acquis du programme présidentiel avant-gardiste pour «la Tunisie de demain» 2004-2009, et plus particulièrement l'objectif quantitatif qui y est fixé (70.000 entreprises ou projets nouveaux).

Il est à noter également que la réduction des taux d’imposition pour une catégorie bien déterminée de société est très bénéfique pour le trésor public et pour l’économie, car outre le fait que trop d’impôt  freine l’activité économique conformément à l’adage « les  taux  abattent les totaux », ceci  ne  fait  qu’accentuer les inégalités entre les contribuables. En effet,  comme en théorie  financière, on distingue deux  types de contribuables : 

  • Des  contribuables ayant  une préférence pour le risque, pour qui la fraude est le premier recours pour échapper à une imposition lourde. 
  • Des  contribuables averses à la fraude qui, quoi qu’il arrive, accomplissent  leurs obligations fiscales avec honnêteté. 

Donc plus l’imposition est lourde, plus les contribuables ayant une préférence pour  le risque dissimuleront leurs bénéfices et recourront à la fraude et l’évasion au détriment des contribuables honnêtes. 

En Matière d’octroi d’avantages spécifiques à l'exportation directe et délimiter la notion fiscale de l'opération d'exportation

Cette mesure est de nature à encourager les entreprises nationales à exporter leurs biens et services à l’étranger et vient renforcer l’arsenal des avantages fiscaux accordés par le législateur aux entreprises exportatrices. La délimitation de la notion fiscale de l’opération d’exportation est des natures à accorder aux textes fiscaux d’avantage de précision, considérée comme amplement utile pour l’investisseur. En effet la définition fiscale de l’exportation a toujours véhiculé un certain nombre d’interrogations et d’imprécisions. La législation tunisienne définit les entreprises totalement exportatrices comme étant les entreprises dont la production est destinée totalement à l'étranger ou celles réalisant des prestations de services à l'étranger ou en Tunisie en vue de leur utilisation à l'étranger. Sont également considérées totalement exportatrices, les entreprises travaillant exclusivement avec des sociétés totalement exportatrices ou avec les sociétés établies dans les parcs d’activités économiques, ainsi qu'avec les organismes financiers et bancaires travaillant essentiellement avec des non-résidents, les entreprises Agricoles et de pêche qui exportent au moins 70 % de leurs productions.

La délimitation de la définition de l’exportation est de nature à donner plus de simplicité des textes fiscaux. En effet, « l’existence  de  textes  fiscaux clairs, explicites, sans piège et respectueux  des principes  fondamentaux  du  droit  et  d’instructions  administratives conformes  aux  textes réglementaires  facilement  accessibles  par  tous,  est  de  nature  à  accroître le  sentiment  de sécurité et d’équité  fiscales » (Abdérraouf YAICH : «Théorie Fiscale» - Editions Raouf YAICH  -2002- Page 23.)  A  contrario, une loi complexe outre  l’inconvénient évident de rendre le système difficilement compréhensible… ouvre la voie à la fraude et à l’évasion fiscale et alourdit considérablement la tâche de l’administration fiscale ainsi que le coût pour le contribuable du respect volontaire de la législation.  Dans ce cadre, M. Strauss Kahn, l’ex-ministre français de l’économie, des finances et de l’industrie a affirmé « la complexité fiscale crée l’iniquité fiscale : je ne veux plus de ces ‘’astuces’’ qui sont en pratique réservées aux gros et qui sont donc payées par les petits ».

En matière de regroupement de l'ensemble des textes fiscaux dans un code unique en vue de faciliter leur exploitation

Cette mesure est extrêmement utile pour le contribuable. Il est à noter qu’actuellement les textes fiscaux sont répartis entre plusieurs sources: Code de l’impôt et de l’IR, Code des droits d’enregistrement et de timbre, code de la TVA, code d’incitations aux investissement, code des droits et procédures fiscaux les notes communes… Le code unique est de nature à faciliter la lecture des textes fiscaux, de  sorte  qu’elle  ne  laisse aucune  place  aux  interprétations arbitraires et  ne suscite  aucune  incertitude  chez  les utilisateurs.   

En matière de création d’un centre d'information fiscale à distance chargé d'orienter les personnes assujetties, via le téléphone, dans une première étape, et via Internet, dans une étape ultérieure

Cette mesure est de nature à orienter le contribuable par l’octroi de réponses claires, précises et sans retard. Il est démontré l’information et l’orientation du contribuable limite la fraude fiscale : il s’agit, indirectement, de renforcer l’esprit civique du citoyen. En effet, dans la mesure où « pour être payés, les impôts doivent être acceptés et compris», il est essentiel de faire apparaître l’impôt aux yeux des contribuables, non comme une spoliation ou une privation de ressources, mais comme un emploi de ces ressources au profit de la collectivité toute entière, ainsi que comme une modalité de participation à la  vie politique. Dans ce domaine, la Tunisie a été avant-gardiste du fait que le Xème  Plan de développement a également évoqué ce point en stipulant que les réformes préconisées pour  poursuivre  la  modernisation du système fiscal devront s’articuler autour de plusieurs axes  entre  autres «le renforcement des opérations de sensibilisation et de vulgarisation ayant trait aux droits et aux obligations fiscales » .

En matière de promotion des TIC dans le domaine fiscal

Aujourd’hui, pour maximiser l’efficacité  la fiscalité,  l’administration  se trouve face à des impératifs de modernisation et d’adaptation aux  nouvelles technologies de l’information. En effet, l’OCDE stipule que «les pays devraient veiller à ce que des systèmes appropriés soient en place pour assurer le contrôle et  le recouvrement  des impôts». Dans ce contexte, plusieurs  administrations fiscales de divers pays ont implémenté ou  projettent  d'implémenter des outils de data mining afin d'exploiter  au mieux les potentialités des bases de données dont elles disposent”. Le data mining repose sur des techniques issues de  la  théorie de  l'information, de la statistique et de la modélisation; il vise à mettre en évidence, des relations jusque là inconnues. Il s'agit, par exemple, de vérifier l'ensemble des données (fiscales, sociales, patrimoniales, comptables, etc.) recueillies à propos  d'un  contribuable par différents départements administratifs et de les confronter. Le data mining permet à moindre coût  d'optimiser la détection des situations de  fraude, de mieux  cibler les contrôles (c'est-à-dire « les réorienter vers lescontribuables à risque »), de dégager, à partir d'une opération frauduleuse, la chaîne des contreparties également  frauduleuses qui en découlent, voire de  renforcer l'équité du système fiscal en réduisant les inégalités catégorielles face au contrôle fiscal.

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Expert comptable mémorialiste
Enseignant à l’IHEC Carthage