Opinions - 22.10.2018

Mohamed Abdellatif Chaïbi: 15% des salaires en PIB, c’est notre PIB qui est faible

Mohamed Abdellatif Chaïbi: 15% des salaires en PIB, c’est notre PIB qui est faible

Il faudrait se réapproprier le Dinar

Que l’on ne se disperse pas inutilement dans le décaching et le taux élevé de l’argent. Pour le moment, nos problèmes essentiels sont loin d’être l'inflation, le niveau du refinancement. Encore moins la circulation de la monnaie fiduciaire hors banques qui est, bien au contraire,plutôt à soutenir.

Singulièrement ; c’est de la faiblesse du niveau de notre PIB en absolu qu'il s’agit. En 1990 le PIB Tunisie, dans les 12 Milliards $ US, était équivalent à ceux de pays tels que le Grand-Duché du Luxembourg, la Slovaquie, l’Ethiopie, Oman, la Cote d’Ivoire, l’Ouzbékistan. Une trentaine d’années après, en 2017, il fut dépassé sinon rejoint par tous les PIB de son Groupe des 10 pays de départ.Ce constat ne montre pas uniquement que notre économiea stagné. Plus encore, plus alarmant, elle a régressé et perdu en valeurs compétitives de PIB par rapport à la concurrence internationale.

Une telle stagnation, couplée avec un niveau initial faible, ne conduit qu’à un PIB de plus en plus incapable de répondre aux besoins des tunisiens en termes de pouvoir d’achat et de meilleure qualité de vie. Nos mouvements sociaux tragiques, tristement périodiques, ne sont que l’expression sociale d’un PIB maintenu atrophié.

Raisonnons inflexion du PIB et non croissance

Cette situation déstabilisatrice et appauvrissante que nous vivons depuis des décennies ne se corrigera qu’en provoquant une inflexion économique qui doublerait, au plus vite, le niveau du PIB. En effet, raisonner en termes de taux croissances comme nous continuons à le faire,des objectifs de croitre à 3 ou à 4%, à 5%,n’aboutirait qu’à perpétuer le sous dimensionnement de notre PIB.A titre illustratif, il nous faudrait 20 ans, avec +5% de croissance continu, pour espérer atteindre le niveau des 100 milliards $US en PIB (ou 200 milliards de Dinars). Ironie de l’arithmétique, il suffit de faire 3% au lieu de 5, en une ou en deux années pour que le délai des 20 ans se rallonge et se fait insaisissable !

Or, à taux de change $ et de cherté de vie constants et d’aujourd’hui, c’est ce niveau de PIB à 100 milliards $ dont la Tunisie a réellement besoin. C’est lui lepoint d’inflexion PIB0 qui nous donneraitun équivalent de 20 000 $ US en Parité de Pouvoir d’Achat par tunisien, par an. Soit le double de notre niveau actuel des 11 000 $ PPA. Niveau certes encore compétitif en Afrique, mais en perte de valeur, et qui est loin d’être nationalement sécurisant dans notre significatif environnement méditerranéen.

Avantageons le marché intérieur par rapport à l’export

Réinitialiser le PIB0 à un équivalent de 200 milliards de Dinars est certainement le délicat projet dont l’économie tunisienne a besoin. Y arriver c’est êtreenfinen phase avec le riche potentielque nous avons et quiest tant souligné par les analystes de référence, Banque Mondiale et autres grandes maisons d’analyses et de modélisations.

Atteindre rapidement, en 2 à 5 ans, un PIB de 200 milliards, ce n’est rien d’autre que de rattraper vite nos retards et multiples manquements en termes de financement de l’économie et en termes d’attractivité des réglementations. Avec de meilleurschoix publics, un meilleuret conséquent modèle d’économie comportementale, notre PIB aurait progressé au moins à la vitesse moyenne de son Groupe. Soit, entre les années 1990-2017, à +529% au lieu du faible +228%réalisé. On l’aurait fait, on aurait alors atteint ou même dépassé les tailles des 200 milliards de Dinars, 100 milliards $, évoquées.

Réinitialisations donc nos choix publics. Une politique monétaire autour d’un taux BCT tendant vers 0, le financement de l’habitat par des émissions hypothécaires à taux réduits, lanécessaire réduction des incitations à l’export par rapport au marché intérieur, et tout cela mènera rapidement, fut-il tardivement, au point d’inflexion salutaire et de début de paix sociale :PIB0= 200milliards TND.

Mohamed Abdellatif Chaïbi
Banquier, Statisticien ISUP-Paris