News - 18.10.2018

Fatma Marrakchi Charfi : la loi de finance 2019 pour l’entreprise et pour l’investissement

Fatma Marrakchi Charfi

Une loi de finance dessine les contours de la politique budgétaire et fiscale de l’autorité publique et elle est en même temps un instrument de politique économique qui permet à l’Etat d’orienter l’activité économique du pays en encourageant un ou plusieurs secteurs par des incitations financières et/ou fiscales dans le cadre d’une vision économique globale. C’est aussi un moyen de redistribution des revenus par le biais des impôts pour des raisons d’équité en vue d’assurer une cohésion sociale au sein de la population. Ainsi, la loi de finances (LF) n’est autre qu’un instrument qui concrétise ces orientations.

Les hypothèses du projet de la LF 2019

Pour pouvoir chiffrer les différents postes du budget qui découle de la LF, il faut baser cette dernière sur des hypothèses concernant le taux de croissance, le taux de change et le prix du baril du pétrole prévus. Le projet de LF 2019, soumis à l’ARP se base sur un taux de croissance de 3,1%, sur un cours moyen du baril du pétrole pour l’année 2019, de 75 dollars, par contre, aucune information sur le taux de change USD/TND n’est donnée (est-ce un oubli ou une omission ?).

Concernant les hypothèses disponibles, un taux de croissance prévu de 3,1% pour 2019 est tout à fait atteignable, puisque la croissance a repris pour l’année 2018 et a tendance à se consolider. Le FMI, qui a prévu un taux de 2,4% pour 2018 et conforté par les taux de croissance du premier semestre, a relevé son estimation à 2,6% pour 2018 (IMF Country Report No. 18/291, October 2018 ).Ainsi, si le volet sécuritaire ne nous fait pas défaut et s’il y a une stabilité politique, le taux prévu sera tout à fait réalisable. Pour ce qui est de l’hypothèse de 75 USD pour le prix du baril, il s’agit d’un paramètre exogène qui dépendra notamment de la situation géopolitique et des conflits entre les USA, l’Arabie saoudite, l’Iran etc. Si la situation se complique, le prix du baril augmentera au-delà des 75 USD.

Cette donnée est très importante pour le budget et ce à plus d’un titre. En effet, le prix du baril impactegrandement les dépenses gouvernementales et le budget de l’Etat, notamment par le biais des subventions énergétiques qui ont explosé en 2018. Il faut savoir que, toute augmentation de 1 USD dans le prix du baril augmenterait le montant des subventions de 128 MD. Déjà, ces derniers jours le prix a dépassé le taux de 75 USD et est probablement appelé à augmenter, à moins que le gouvernement ne se couvre contre les fluctuations du prix du baril au moins partiellement. Par ailleurs, cette même augmentation du prix du baril fera pression sur la demande de devises et impactera le dinar à la baisse. La baisse du dinar à son tour, renchérirait le service de la dette exprimé en monnaie locale et gonflerait encore plus le montant des subventions énergétiques. Concernant le taux de change, bien qu’il ne soit pas spécifiédans le projet de LF 2019, sa variation affectera nécessairement le budget de l’Etat. En effet, nous savons que toute augmentation de 10 millimes dans le prix d’un dollar génèrerait 40 MD de subventions supplémentaires dans le budget de l’Etat.

Par ailleurs, la réduction du déficit budgétaire à 3,9% en 2019 contre 4,9% en 2018 semble être un objectif primordial de ce projet de LF ainsi que la réduction du recours à l’endettement semble être une contrainte très serrée dans son élaboration. En effet le projet de LF 2019 prévoit un taux d’endettement de 70,9% du PIB contre 71, 7 % en 2018. Ces objectifs restent fortement tributaires du prix de l’énergie. Il va sans dire qu’une LF est censée aussi assurer les équilibres budgétaires, composante essentielle des grands équilibres macroéconomiques et le choix de recourir de moins en moins à l’endettement se défend si on considère le critère de soutenabilité de la dette publique.

Les orientations globalesdu projet de la LF 2019

Le projet de LF 2019 s'inscrit dans une logiquequi consiste à adopter de normes internationales en matière fiscale, à satisfaireles engagements internationaux de la Tunisie, à encourager les investissements et à participer à l’appui à la compétitivité des entreprises. Ce projet de LF viseaussi à participer activementà la promotion du site Tunisie en tant que destination attrayante pour les investissements, à poursuivre la réforme du système fiscal, à élargir la base d’imposition, à s’attaquer à l’évasion fiscale et à œuvrer à un decashing. Ce sont les principes sur lesquels se base ce projet de LF tel qu’énoncé dans ses premières pages. Ce sont d’ailleurs, des orientations globales qui visent à protéger le tissu industriel d’une part et à éviter le « blacklistage » relatif au blanchiment de l’argent et au financement du terrorisme dont a souffert la Tunisie, durant l’année 2018.

Une première lecture de ce projet de LF, montre que la relance économique et l’encouragement des entreprises est un élément central pour 2019. En effet, les mesures proposées sont fortement imprégnées des propositions faites par les différentes parties prenantes que ce soit dans les médias ou dans la conférence organisée par la Présidence du Gouvernement sur les orientations économiques et sociales de la LF 2019 ou dans les conférences ou tables rondes organisées par la société civile, notamment celle organisée par une banque de la place sur le thème. Il est clair que le gouvernement privilégie la stabilisation de la fiscalité de l’entreprise pour la pérennité des sociétés existantes et pour encourager les nouveaux investisseurs. La logique générale de ce projet de LF est de ne pas acculer encore plus l’entreprise qui a déjà largement participé à renflouer le budget de l’Etat les années passées.

En effet, les partenaires sociaux, dont principalement l’UTICA et la CONNECT ontappelé à un « moratoire fiscal » pour les entreprises, dans le sens où l’environnement de l’entreprise doit être prévisible et stable et ont appelé l’Etat à s’engager à ne pas surcharger les entreprises de taxation supplémentaire. Cette prévisibilité permettra à l’entreprise qui est non seulement en concurrence avec l’étranger mais aussi en concurrence avec le secteur informel qui ne paie pas de taxes, de continuer d’exercer et d’exister même dans un environnement difficile et aussi de maintenir les emplois. Aujourd’hui, l’objectif est certes, de créer de nouveaux emplois mais surtout mais ausside sauvegarder etde protéger les emplois existants. Si on sait par ailleurs, que les entreprises sont négativement impactées par l’augmentation du taux directeur de la BCTet par là le TMM, alourdissant ainsi, les charges financières de l’entreprise, l’engagement de l’Etat à ne pas les surcharger ne peut qu’être salutaire pour nos entreprises.

Quelques mesures phares du projet de LF 2019

Le projet soumis à l’ARP, prévoit un taux unique d’imposition des entreprises on shore et off-shore, pour certains secteurs exportateurs et potentiellement exportateurs tel que les secteurs des industries mécaniques et électriques(IME), des câbles, des textiles de l’habillement, de l’agroalimentaire, de l’industrie pharmaceutique, le secteur des services dans l’innovation technologique et le développement des logiciels (communément nommé le secteur des TICs) etc. Cette mesure qui prévoit un taux d’imposition unique dans le cadre de la convergence des taux d’imposition entre l’offshore et l’on-shore de 13,5% constitue une convergence vers la réglementation européenne dont le non-respect nous a valu d’être « blacklisté »en 2018.Cette mesure soulage aussi les charges des secteurs cités plus haut et qui sont exportateurs ou potentiellement exportateurs et abaisse leur taux d’imposition de 25% à 13,5%.

La LF doit refléter les orientations de l’Etat en termes de choix et d’orientations sectoriels.Etant conscient de l’importance et du poids de la facture énergétique, que ce soit sur le budget de l’Etat ou sur le déficit commercial, l’Etat se devait d’encourager les investissements dans le secteur des énergies renouvelables. Pour cela, le projet de la LF 2019prévoit la réduction des droits de douane sur l’importation des panneaux solaireset une réduction de laTVA dans ce secteur. Pareillement, l’Etat ambitionne de s’orienter de plus en plus vers le digital et le développer (digitalisation de l’administration, paiement électronique en remplacement du cash etamélioration de la traçabilité des opérations),et d’encourager les jeunes pousses « star-uppers » dans ce domaine. Pour cela, le projet de la LF 2019 prévoit aussi de faire bénéficier le secteur des TICs et du développement des logiciels de la convergence au taux de 13,5%, tout en soulignant que le secteur des TICs est aussi un levier de développement pour les autres secteurs.

Le projet de LF 2019 se veut être un accélérateur de l’investissement et de l’exportation comme principaux leviers de croissance. L’encouragement de la création d’entreprises est tout à fait perceptible à travers l’extension de l’exonération des impôts sur les revenus et sur les sociétés sur une période de 4 ans pour les entreprises créées en 2020 en plus de celles créées en 2018 et 2019. Ceci donne plus de visibilité et plus de stabilité à l’environnement dans lequel vont opérer les entreprises nouvellement créées.Pour ce qui est des exportations, le projet de LF 2019 prévoit un doublement des allocations allouées au fonds de promotion des exportations passant de 40 à 80 millions de dinars. Il faut souligner que le doublement des fonds est une très bonne initiative mais encore faut-il pouvoir orienter ces fonds à la lumière des expériences des fonds plus anciens. Faudrait-il évaluer et quantifierle rendement des fonds qui sont déjà alloués et utilisés, les années passées ?

Sans pour autant passer en revue toutes les mesures, certaines méritent d’être soulignées telle que la proposition de la réévaluation des immobilisations physiques qui reflèterait la vrai valeur des entreprises et lui permettrait de calculer des montants d'amortissement supplémentaires en fonction de nouvelles valeurs comptables nettes.Cette mesure pourrait donner une bouffée d’oxygène à certaines entreprises.

Autre mesure phare consiste à rationaliser les transactions en espèces. Cette mesure augmentera la traçabilité des opérations et réduira le marché parallèle et la contrebande. En effet, la mesure proposée liera l’octroi des services administratifs notamment les services de la signature légaliséeet l’enregistrement des différents contrats que ce soit sur l'immobilier, lescontrats commerciaux oules contrats sur les véhicules de tous types, à l’inscription explicite dans ces contrats du mode de paiement bancaire ou postal. Cette procédure sera appliquée aux contrats validés à partir du mois de janvier 2019, qui comptent des paiements supérieurs à 10 000 dinars.Par ailleurs, l’idée est de drainer les liquidités du marché informel vers le formel et à réduire la taille du marché parallèle.

Une levée du secret bancaire liée aux comptes bancaires et postaux au profit des services de recouvrement est aussi une mesure phare qui permet d’améliorer le recouvrement des impôts sur une base plus transparente.

Est-ce suffisant ?

Le projet de la LF 2019, insiste sur la sauvegarde du pouvoir d’achat du citoyen. Or, il y a certes des mesures en faveur des familles les plus démunies, mais rien n‘est prévu, pour une classe moyenne qui voit son pouvoir d’achat fondre sous une inflation de plus en plus pesante, hormis les voitures populaires bon marché à défaut d’avoir un système de transport en commun bien développé.

En outre, la création d’une banque des régions à l’instar de ce qui existe en Allemagne, est à mon sens peu opportun, puisque nous n’avons pas besoin d’une banque supplémentaire, étant donné que nous sommes un pays sur-bancarisé par rapport à des pays comparables à nous. D’ailleurs, la BTS ou la BFPME pourrait jouer ce rôle.

Nous avons besoin de maîtriser les dépenses explosives des subventions qui est un poste « budgétivore » et qui d’ailleurs, profitent plus aux plus riches qu’aux plus démunis. C’est pour cela qu’il est très important d’avancer dans la réforme des subventions qui ne semble pas être d’actualité pour l’année 2019 puisque les subventions programmées sont de 1800 MD pour les produits alimentaires, 2100 MD pour les produits énergétiques et de 450 MD pour le transport.Or, nous avons besoin de dégager des ressources pour financer les investissements prioritaires dans les infrastructures (transport, santé, éducation etc …) et de rétablir la confiance pour que le secteur privé réinvestisse de nouveau car c’est à lui qu’incombe la tache de créer la richesse et les emplois.

Globalement, toutes ces mesures sont encourageantes pour les entreprises par rapport aux lois de finances des dernières années. Est-ce que c’est suffisant pour consolider la reprise économique ? La réponse est surement pas !! Mais quand on se trouve contraint par la nécessité de la préservation d’un équilibre budgétaire entre recettes et dépenses et si on doit alléger la fiscalité de certains secteurs, il faut bien récupérer des moyens de financement ailleurs.

Au total, ce projet de LF n’impose pas de nouvelles mesures d’imposition des sociétés et des personnes physiques, ce qui a tendance à soulager le citoyen d’une manière générale et à assurer environnement stable avec une plus grande visibilité et une prévisibilité pour l’entreprise et l’investisseur.Ainsi, si on doit donner un titre à ce projet de LF, c’est une LF pour l’entreprise et pour l’investissement.

Fatma Marrakchi Charfi
Professeure universitaire

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