News - 19.08.2018

Mohamed Salah Ben Ammar, Colibe : Pendant ce temps-là, certains rêvent d’immobilisme !

Mohamed Salah Ben Ammar, Colibe : Pendant ce temps-là, certains rêvent d’immobilisme !

Depuis toujours et partout les débats de société ont déchainé les passions et libéré la parole. Ils ont le mérite de faire tomber les masques. Certains se démasquent difficilement, ils polémiquent avec subtilité, driblant, camouflant le fond de leur pensée, d’autres y vont au bazooka, le fait est qu’une société qui ose parler de ses tensions est une société en bonne santé. Celles qui ne le font pas le payeront tôt au tard très cher. Le projet présenté par le Colibe répond à ces règles, je dirais même, devant l’ampleur des réactions internationales, qu’en fin de compte notre société a su aborder ces sujets controversés avec une relative sérénité.

Je ne souhaite pas traiter ici des questions d’héritage qui pour une raison quasi-mystérieuse accaparent presque la totalité des débats. Clairement certains n’ont pas encore digéré le CSP de 1956.

Non, bien des points plus importants ont été abordés dans cet excellent rapport de 235 pages. Ils sont à mon humble avis une des clés d’avenir pour aller vers une nouvelle société plus juste. Je veux parler ici de l’abolition de toutes les formes de discrimination, du droit à la vie, à la dignité, à la liberté de pensée, de croyance et de conscience, à la liberté d’opinion et d’expression, au droit à avoir une vie privée, à la protection des données personnelles, à la sécurité, à l’inviolabilité corporelle, au droit à la confidentialité des correspondances et des données, à la liberté de se déplacer, à la liberté artistique, à la liberté académique… Dans ce foisonnement féerique de propositions rêvées, souhaitées depuis des décennies par les modernistes, deux attitudes ont attiré mon attention.

La première concerne le refus de certains de participer au débat. C’est la pire des attitudes. Nous n’avons pas d’homosexualité dans notre pays avait déclaré un jour un haut responsable iranien donc il n’y pas lieu d’en parler. C’est le propre des sociétés où la pensée unique fait office d’idéologie officielle. C’est tellement plus confortable une pensée unique qui impose ou interdit ! Un dress code, un comportement, que sais-je la barbe, une coupe de cheveux...nous avons tous connu cela. Aujourd’hui la forme a changé mais le fond est resté le même. Par exemple on cherche à figer la société par des interprétations des écrits qui datent de plusieurs siècles. Toutes les sociétés connaissent des conflits entre modernité et conservatisme. Il ne s’agit pas exclusivement de religion, l’exemple le plus proche de nous chronologiquement est peut-être celui de l’ex-URSS. Rendez-vous compte qu’ils en étaient arrivés à nier l’existence de la génétique car elle s’opposait à leur conception du socialisme ! Les homosexuels étaient envoyés au Goulag, les opposants envoyés dans des asiles psychiatriques.

D’autres encore aujourd’hui rejettent la théorie de l’évolution des espèces. Que de contorsions ont été imposées pour nier l’évidence, que de manœuvres pour ne pas voir la réalité sociale, que de mensonges pour rester dans un cadre politiquement correct ! Que de morts et de malheurs provoqués par l’entêtement de ceux qui déclarent détenir un savoir. « Les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires » écrivait Georges Orwell, évidemment ! Avoir étudié, avoir des compétences, maitriser une langue donne un pouvoir. Le pouvoir de ne pas laisser la communauté évoluer. C’est les ancêtres de ces esprits étriqués qui ont jugé Galilée. Ils savaient pertinemment qu’il avait raison, mais il ne fallait pas que ça soit lui qui dise les choses. Ils voulaient être les seuls à pouvoir dire « la vérité » leur vérité. Galilée n’a pas été condamné pour ses découvertes, non il a été jugé, condamné et exécuté parce qu’il refusait de se taire. Ceux qui veulent fixer les limites du débat sociétal sont exactement dans cet état d’esprit. La liberté de penser n’accepte aucune limite.

Le second point commun au débat soulevé par le rapport du Colibe est l’acceptation du principe d’autonomie dans notre société. Le rapport prône la liberté individuelle mais aussi la responsabilité. Après les horreurs de la seconde guerre mondiale ce principe a pris une importance primordiale dans les sociétés européennes et nord-américaines. A partir du moment où les individus respectent les règles de vie communes ils peuvent vivre et faire leur choix de vie individuellement sans l’intrusion d’une tierce personne et encore moins d’un parti ou d’un pouvoir politique. Emmanuel Kant définit l’autonomie comme étant à la fois le fondement des devoirs éthiques et la raison première du respect dû aux personnes humaines. C’est le fondement des droits de la personne humaine.

On pourrait débattre de la relativité de cette notion qui varie d’une société à l’autre. Certes nos sociétés ont été par leur histoire, l’environnement aride où est née la culture arabo-musulmane, ont été plus orientées vers la solidarité tribale, familiale que l’autonomie des individus. C’était une condition sine qua non pour survivre. Cette solidarité qui a restreint l’autonomie individuelle s’effrite de jour en jour. Et même si elle est restée une valeur cardinale dans l’imaginaire commun, elle n’existe réellement plus. Hypocritement certains refusent de voir la réalité. Ils mettent sciemment en avant des valeurs qui n’ont plus cours dans nos sociétés, pour mieux étouffer les ajustements nécessaires à la bonne santé de la société. Les conflits générationnels sont la règle depuis que l’homme vit en société, mais les innovations ont toujours fini par l’emporter, là n’est pas le débat.

Ceux qui rejettent le droit à l’autonomie doivent réaliser qu’il est inéluctable. De façon non surprenante celle des femmes semblent leur poser le plus de problème. Sachez Messieurs que l’autonomie n’est pas synonyme de débauche ou de non-respect des règles sociales, c’est simplement la suite logique de l’éducation des masses, de l’ouverture vers les autres cultures, des voyages, des réseaux sociaux…C’est un épanouissement. D’ailleurs cela a été vite compris par ces penseurs d’un autre temps qui détruisent les écoles, interdisent l’éducation des filles, bloquent les réseaux sociaux et les voyages…plus dangereux sont ceux qui le font insidieusement, de façon plus enrobée, à l’aide d’une dialectique bien rodée, parfois assez convaincante, ils jouent des tensions entre le nord et le sud, les riches et les pauvres, entre les cultures, les religions, tout y passe, le racisme, le communautarisme, les réflexes les plus primaires sont flattés bref in fine le but est le même, capter l’esprit puis enfermer l’intelligence dans un carcan anachronique. Ouvrons les yeux, il n’y a jamais eu un modèle de société figé.

Refuser de débattre d’une réalité sociale parfois délicate parfois douloureuse, ce n’est pas protéger la société mais au contraire c’est ajouter aux malheurs du monde et ils sont suffisamment nombreux pour ne pas les aggraver. Reproduire sous d’autres motifs ce que les idéologies officielles et les visions uniformisées de la société ont causé comme malheurs dans le passé n’est plus tolérable. Il nous faut admettre que notre structuration sociale change rapidement. Aucune idéologie, ni force ne peut arrêter l’évolution. Il faut y voir une chance et non pas une menace.

Accepter l’idée que les individus sont libres, autonomes dans leur choix n’est pas une concession faite mais un droit, la liberté de vivre ses choix ne veut nullement dire rejet de notre culture ou de nos traditions, bien au contraire c’est de l’épanouissement des individus que dépend l’épanouissement de nos sociétés.

Mohamed Salah Ben Ammar