News - 02.08.2018

Monji Ben Raies : Toute filière est bonne pour qui sait choisir!

Monji  Ben Raies : Toute filière est bonne pour qui sait choisir!

Toutes nos grosses têtes, entendez par là ceux qui, tant bien que mal ou avec brio, ont décroché leur laisser-passer pour l’Université, sont en train d’essayer de se projeter vers l’avenir, sans savoir vraiment comment faire. En effet ils vont quitter l’enfer sécurisant des années collèges et des années lycées et vont être lâchés dans la nature sans autres atouts que leur premier vrai diplôme.

Il est un phénomène que l’on désigne comme le paradoxe de l’Archer. Au moment où la flèche quitte l’arc, elle ne va pas droit, car la hampe se tord et vibre en traversant pour éviter le manche de l’arc. Elle doit trouver sa fréquence de résonnance dans l’air qui l’entoure et pour atteindre sa cible, elle doit pouvoir corriger sa trajectoire au moment opportun. Les jeunes sont nos flèches lancées vers le futur. Ils sont au début de leur vie, et viennent à peine de se lancer. Avant de corriger leur trajectoire et atteindre leur cible, il va leur falloir un peu de temps. Ils possèdent tous un don et ils repenseront au séjour qu’ils auront passé à l’Université, comme un moment clef dans leur parcours. Avant d’être libérés, ils vont devoir montrer qu’ils ont appris quelque chose. Pour cela ils doivent faire confiance à leur sensation et doivent ressentir cet enjeu qu’est leur avenir dans le monde des hommes. Les meilleurs d’entre eux suivront leur instinct sans compter sur les facilitateurs que peuvent être l’approximation ou des biais peu recommandables. Compter sur ces facilitateurs, c’est comme s’ils comptaient sur autre chose qu’eux-mêmes. Leur instinct est enfoui en eux. Ils doivent réussir à distinguer sa voix parmi tous les autres sons comme la colère, la pitié et les autres sensations brutales, toutes les choses qui peuvent empêcher de l’entendre. Quand ils auront réussi à atteindre l’objectif de tout cela, ils n’auront plus besoin de leurs instructeurs et pourront partir dans la nature sauvage.

Depuis plus d’une cinquantaine d’années, la dynamique d’orientation est au centre des préoccupations sociales, politiques et éducatives. De nombreux déterminants sont à l’oeuvre dans l’élaboration des choix d’orientation adoptant un point de vue sociologique avec le modèle de reproduction sociale, ou la dimension psychologique du processus d’orientation, avec notamment l’apport de la notion de projet de carrière ou de projection dans l’avenir. Rare sont les jeunes qui se projettent réellement dans l’avenir et qui en passant leur Baccalauréat ont déjà un profil défini et un parcours déterminé à réaliser. Dans ce cadre, il est inutile de concevoir des modèles simplement pour expliquer des comportements et des tendances lorsque ces modèles ne débouchent pas sur de vraies propositions d’amélioration de l’existant. Un modèle explicatif des choix d’orientation au moment de l’entrée dans l’enseignement supérieur et des poursuites d’études, se fonde sur l’influence du rapport au savoir, sur les choix des étudiants. Ce vaste domaine du choix d’orientation à l’entrée en Université dépend en grande partie de l’interrelation de variables socio-biographiques, telles que la qualité du cursus antérieur, le genre ou l’origine sociale, et de variables subjectives, notamment le rapport au savoir spécifique et une information adaptée. Autrement dit, l’interrelation entre ces deux classes de variables permet de saisir le rapport au savoir singulier en jeu dans les processus d’orientation et de poursuite d’études. En adoptant un plan longitudinal sur trois ans après l’inscription dans l’enseignement supérieur nous pouvons espérer mettre en évidence des spécificités de rapport au savoir, explicatives des choix d’orientation et des poursuites d’études.

A partir d'une analyse de la situation universitaire actuelle, de l'échec important en premier cycle, des difficultés rencontrées par les jeunes pour s'orienter et s'insérer nous pouvons constater que les objectifs de réussite estudiantine, d'orientation et d'insertion professionnelle se sont récemment imposés à l'Université comme normes de qualité, des standards à mettre en place à l'occasion d'une évolution institutionnelle forte. Les notions de réussite, d’orientation et d’insertion constituent de nouveaux axes stratégiques forts pour l’Université. Réussir, pour l’étudiant, c’est être reçu aux examens et d’obtenir un diplôme, en vue d’être inséré socialement et professionnellement. S’orienter consiste à apprendre à se repérer dans un espace éducatif et socioprofessionnel alors qu’orienter désigne les moyens mis en oeuvre pour guider, mettre une personne sur une voie une direction donnée, par exemple vers une formation et un métier. La notion renvoie également à l’institution qui s’occupe de l'orientation qu’elle soit scolaire ou professionnelle. L’insertion, plus complexe s’est construite au coeur du débat politique, sans faire l’objet d’une véritable conceptualisation. Elle n’est apparue que lorsqu’elle a fait problème, et que s’insérer socialement est devenu une difficulté sociétale majeure. Occuper un emploi étant l’un des passages obligés de l’insertion sociale, et par là l’intégration professionnelle, cette notion a fini par désigner, le moment charnière durant lequel s’opère la transition entre le système éducatif et le monde du travail. Cette transition, qui se faisait jusque dans les années 1960-1970, de façon naturelle, dans un contexte d’adéquation entre la formation et l’emploi, connaît aujourd’hui des défaillances parfois durables. L’échec à l’Université, qui constitue l’une des failles principales de notre système universitaire, fragilise considérablement les possibilités d’insertion des jeunes. Obtenir son diplôme n’est cependant pour l’étudiant qu’un élément de la réussite et il faut ensuite qu’il s’insère professionnellement.

L’Université détachée de la sphère professionnelle et économique

L’université constitue aujourd’hui par son effectif imposant, sa diversité de populations et de spécialités d’enseignements, un tremplin essentiel et important pour la vie socio-professionnelle, et pour l’emploi. Il est indéniable que la formation des jeunes, reçue à l’université, est une étape déterminante vers l’accès à l’emploi et une étape initiatique de promotion sociale et personnelle importante, tant il est vrai que s’opère à ce stade une prise de décision majeure, qui influe sur l’avenir socio-professionnel de la population estudiantine. Aujourd’hui, démocratie oblige, on assiste à l’avènement d’un enseignement supérieur de masse. Mais la démocratisation de l’éducation tant secondaire que supérieure, a entraîné une massification des effectifs disposant des mêmes diplômes, mais qui laisse percevoir des inégalités de chances, fondées sur le principe de la Sélectivité naturelle, dues à la diversité de l’offre de formation et à la hiérarchisation des filières proposées. Par ailleurs, l’Université semble produire des diplômés aux connaissances théoriques remarquables, aux capacités intellectuelles poussées, mais sans connaissances pratiques sur les métiers et le monde du travail, monde aux exigences de plus en plus importantes et précises, du point de vue de la personnalité et de la professionnalité. L’Université paraît donc détachée de la sphère professionnelle et économique, et l’étudiant inscrit à l’université n’est plus assuré pleinement d’une insertion professionnelle à un poste hautement qualifié et correspondant à ses diplômes à la fin de ses études, comme autrefois. Des questions persistent donc, quant aux processus d’orientation, aux motivations, aux parcours et aux perceptions d’une population qui se perd dans la massification de l’Education et qui s’approche sans assurance, du monde de l’emploi. L’orientation à l’Université se caractérise pour la grande majorité des bacheliers aux résultats moyens, par une orientation par défaut ou une position d’attente de nouvelles opportunités. On assiste de plus en plus à un phénomène d’orientation subie, un phénomène de résignation d’une partie importante de la population étudiante, qui entraîne des abandons, des échecs, des réorientations, sans oublier les problèmes psychologiques ressentis par ces étudiants et parfois leur décrochage. Il faut y ajouter le problème de la faiblesse des taux de réussite et le fait que les étudiants ont de plus en plus de difficultés à obtenir normalement leur diplôme. Il semblerait donc que les élèves bacheliers en mal d’information, en raison de la pression des délais et de l’entourage familial, n’arrivent pas à déterminer ce qui leur plaît, et ce dans quoi ils ont les meilleures chances de réussir. Ils sont livrés à eux-mêmes en matière d’orientation par la société et le système et se trompent souvent de parcours, après s’être faits des illusions face à l’attrait de certaines disciplines universitaires enseignées. Les futurs étudiants se font donc des représentations souvent faussées parce qu’on ne leur a pas au préalable, expliqué ou donné les informations suffisantes sur les caractéristiques des formations et des métiers ou parce que les parents ont exigé que leur enfant suive telle voie ou encore parce que le score obtenu ne permettait que cela. On peut alors constater des parcours subis conduisant à des impasses, des étudiants inscrits dans une filière qui ne leur correspond pas, et bien d’autres situations du même type. Aussi, faut-il mettre l’accent sur la nécessité, pour les praticiens de l’insertion et orientation professionnelles des jeunes, de se mettre au courant de l’évolution du marché du travail et des nouvelles politiques, ainsi que de maintenir des contacts avec différents acteurs locaux et experts du développement.

En Tunisie, l’orientation post baccalauréat a gardé le caractère de processus de répartition des élèves, en référence à des taux et des procédures fixés par l'État et fondés sur la seule performance scolaire traduite par la notation et la moyenne au baccalauréat. Il s’agit pourtant d’un processus, qui par ces simples aspects, est largement inéquitable, notamment en fonction des genres et des catégories sociales, déconsidéré et qui ne fonctionne que dans le cadre d'une régulation politique étatique. L'orientation éducative cherche encore sa voie entre nécessité, contradictions et contraintes, entre le besoin de créer des outils de travail, les questions de formation des personnels d'accompagnement et la visibilité à donner à ce secteur du système éducatif. Par ailleurs, l'enseignement supérieur tunisien se caractérise par une grande diversité institutionnelle et par un poids très important de l'enseignement privé, surtout ces dernières années. Il a été le cadre de réformes nombreuses, concernant notamment les modalités d'accès à l'Université et la création d'une procédure d'évaluation au terme de l'enseignement secondaire. Aussi, en cours d'études, les étudiants peuvent être confrontés à des difficultés d'orientation, en raison de l'absence d'une réelle information professionnelle, qui peuvent se résoudre par des abandons nombreux. La politique d'orientation scolaire et universitaire tunisiennes, a constamment obéi à une priorité, le contrôle et la planification des flux quantitatifs d'élèves, sans tenir compte du souci de faciliter la construction du projet personnel de l'élève, ni sa réalisation. L'évolution des décisions des gouvernements successifs à l'égard du processus d'orientation traduit leurs hésitations entre ces deux politiques. En outre, alors que se renforçait l'autonomie des acteurs locaux, notamment privés, les services d'orientation ont été rejetés à la périphérie du système éducatif, ouvrant sur les dysfonctionnements et insatisfactions inévitables vis-à-vis des processus d'orientation-répartition dont le rôle essentiel reste tenu par les examens nationaux. A la suite de l’obtention du Baccalauréat, le candidat se voit remettre un guide, sous la forme d’une banale brochure sans attrait particulier, à partir duquel on lui demande d’arrêter ses choix d’avenir. Ce guide, qui n’en a que le nom, ne permet réellement en aucune façon d’être renseigné sur quoi que ce soit, ni en référence aux institutions ni sur les parcours ouverts, ni sur les débouchés, ni sur la réceptivité sociétale. Un ensemble de tableaux et de chiffres ou de scores exigés qui, au-delà d’être rébarbatifs à consulter et ennuyeux, ne renseignent sur rien. S’ajoute à cela le fait que l’on enferme les choix à formuler dans des délais si courts, qu’il est impossible de faire la tournée des forums informatifs, qui fleurissent à ce moment là un peu partout, comme il est impossible de consulter efficacement qui de droit pour obtenir une information en temps réel. C’est de cette façon qu’est réglée chaque année cette impasse du choix d’études et de carrières des élèves. De la même façon, on nous dit, comme des ministres, comme des communs, dans tous les media, ‘’le système d’orientation est mauvais’’, ‘’il faut le réformer’’ et bien d’autres choses encore ; mais la bête existe toujours et ces déclarations ne sont, pour ceux dont elles émanent, qu’une manière de se donner bonne conscience et de se faire de la publicité politicienne. Il n’existe en Tunisie aucun vrai guide de l’orientation qui permette une aide à la décision et au choix, tout comme nous n’avons pas d’annuaire national des métiers, ni de projections sur les métiers de demain. Aucun responsable n’a le courage de remettre le système en cause et d’envisager son remplacement.

Comment faire le bon choix?

Le choix des études universitaires mérite une réflexion sérieuse de la part non seulement des bacheliers, mais aussi de toutes les instances concernées. Si répondre aux critères demandés par les filières proposées par le guide est nécessaire, cela peut se révéler insuffisant lorsque la personnalité du bachelier, sa vocation et ses prédispositions n’est pas en accord. Réussir avec mention à l’examen du baccalauréat ne constitue pas une obligation pour un élève de poursuivre des études longues, débouchant sur un doctorat. Son choix peut se porter sur une filière courte, s'il se sent moralement mieux capable d'aller au bout, si elle correspond à ses ambitions ou si ses capacités physiques ne lui permettent pas d'effectuer des études universitaires plus longues. Les vocations artistiques ou artisanales, si elles émanent des aspirations de l’élève, peuvent représenter une option professionnelle tout aussi honorable que les métiers faussement anoblis. En raison de la pression sociale, nombre de bacheliers, ayant parfois obtenu de bons scores, optent pour des filières qui ne coïncident pas avec leurs aptitudes ou avec leurs ambitions ou encore avec leur endurance ; d'autres dont le score ne permet pas de répondre à de vrais choix, se retrouvent par défaut dans des filières non souhaitées. Dans ces deux cas, les bacheliers mal orientés se découragent rapidement, s'ennuient et abandonnent dès les premiers mois de l'année universitaire, attendant une éventuelle réorientation. Il y a même ceux qui voyagent à travers les filières, gaspillant un temps précieux en raison d'un mauvais choix de départ. Les Universités devraient démarcher dans les lycées pour répondre à toutes les questions des bacheliers et leur donner tous les détails sur les profils et les perspectives des différentes filières proposées dans l’offre de formation. Leur rôle étant pédagogique et informatif, ils doivent proposer aux futurs étudiants des solutions qui leur permettent d'aborder la vie universitaire avec confiance et en toute connaissance de cause. Le contact direct peut souvent être d'un grand secours pour informer sur les débouchés de filières qui garantissent un épanouissement personnel, un savoir et un savoir-faire correspondant aux sollicitations des entreprises et aux exigences évolutives du monde du travail. Il y a aussi les parents des bacheliers, qui interviennent dans le choix de leurs enfants, et ordonnent encore à leur enfant : « Tu seras médecin ! » ou « Je veux que tu deviennes avocat ! ». Le bachelier est rarement réaliste et a souvent des réticences à assumer la responsabilité de ses choix. Il doit être capable de faire coïncider ses compétences propres et les profils requis pour accéder aux filières de formation proposées en l'absence d'un accompagnement approprié, rapproché et individualisé, avec un manque flagrant d'information sur les filières universitaires surtout les nouvelles. En effet, les dépliants et brochures sommaires distribués lors des salons et forums ne délivrent qu'une information succincte et insuffisante et le corps de conseillers d'orientation universitaire, qui est plus que jamais une nécessité, surtout suite à la complexification des parcours engendrés par la réforme LMD, est absent et démissionnaire devant l’ampleur de la tâche. Enfin, l'orientation est devenue une opération de manutention, une simple gestion de flux quantitatifs, où l'institutionnel dicte les règles du jeu sans qu’il y ait associé, un accompagnement pour aider les élèves à construire un projet d’avenir réalisable et viable, qui leur correspond. Pour ce faire, il faudrait se donner plus de moyens, mieux former plus de conseillers, mettre au service des élèves et des familles des centres de documentation et d'information décentralisés au niveau régional et/ou au niveau local, mettre en place un organisme spécialisé dans la conception d’outils d'information pertinents pour les élèves, leurs familles et les spécialistes de l'orientation.

Depuis plus de vingt ans, le marché de l’emploi tunisien ne parvient pas à absorber les nouveaux diplômés, qui ne cadrent pas en qualité et en nombre avec ses exigences. Chaque années, l’orientation universitaire s’opère en totale déconnection des attentes réelles des entreprises, des employeurs potentiels et des besoins du marché du travail. Le système d’orientation informatisé tunisien donne la priorité des filières dites nobles et prisées aux candidats ayant enregistré les meilleures moyennes au bac, mais pour les moins bonnes, ils se voient imposer des filières sans issue ou sans débouché en Tunisie. Finalement ces candidats sont contraints à des études supérieures dans des disciplines qu’ils n’ont pas choisies et qu’ils n’aiment pas. Pourtant il est irrationnel de fonder tout un avenir sur un évènement localisé sur une courte période de temps. Ne sont pas pris en compte les accidents qui peuvent survenir aux examens ni les artifices qui peuvent être utilisés par certains candidats. Il y a aussi le fait de pénaliser les candidats qui réussissent à l’examen de contrôle, quand bien même les résultats et les scores de certains d’entre eux seraient meilleurs que certains de ceux ayant réussi à la session principale. Les notes sont survalorisées et ne sont en aucun cas révélatrices du niveau de compétences.

La démocratisation à marche forcée des lycées et de l’Université, faite sans réflexions préalables sur les parcours, notamment les programmes enseignés, et sans modification substantielle des méthodes pédagogiques, a conduit à une forme d’impasse. En effet, elle a exercé un profond effet de désenchantement et de désillusion à l’égard de l’école dans les familles populaires qui dorénavant hésitent à pousser leurs enfants vers des études longues. Elle a aussi fortement contribué à restituer une vision strictement ‘’adéquationniste’’ de la relation formation/emploi dans l’enseignement supérieur, engageant ainsi l’Université dans une sorte de fuite en avant professionnalisante qui ne correspond pas à son histoire et pour laquelle elle n’est pas la mieux armée.

Cette vision recyclée du rapport formation/emploi ressort du constat que, si en Tunisie nous avons 300 000 chômeurs diplômés, il y a aussi 120 000 emplois vacants dans tous les secteurs de l’économie et des métiers, notamment dans celui des technologies de l’information et de la communication et du numérique. Tous les secteurs d’activité demandent de plus en plus de spécialistes capables de penser la complexité sociétale. De la formation aux compétences strictement techno-numériques la réflexion globale doit s’étendre aux compétences nécessitées par "l’ère digitale" toute entière que sont, par exemple, les capacités d’anticipation, l’esprit critique, l’imagination ou la créativité. Notre système d’enseignement supérieur se voit adresser le double défi de former plus de diplômés aux métiers de demain, et d’adapter l’ensemble des formations dispensées aux réalités d’une société vivant à l’ère, non plus de la simple connaissance, mais surtout du savoir-être et du savoir-faire. Ce n’est donc pas une N -ème réforme du système éducatif qui est exigée, mais une véritable révolution qui permettra de résoudre nombre de ses maux dont, la massification, la défaillance du processus d’orientation, le décrochage universitaire, la rénovation et l’accroissement de la qualité des modèles pédagogiques, l’insertion professionnelle des étudiants, le renforcement de l’attractivité des établissements d’éducation publics.
Dans les décennies à venir, la performance sociale et économique de notre pays sera largement tributaire de notre capacité à mettre en oeuvre une révolution technologique résultant d’une stratégie éducative ambitieuse, associée à un capital humain formé en conséquence. De nouvelles compétences en informatique avancée (concernant les systèmes à intelligences artificielles), en cybernétique, en électronique et en robotique seront nécessaires si nous voulons réussir cette révolution. De la même manière en médecine, en biologie, en droit aussi pour encadrer ces domaines. Mais pour former ces compétences, encore faut-il qu’il y ait des demandeurs pour ces filières, des gens intéressés et attirés et non des gens à qui on imposerait ces formations. Il faut donc renverser la logique de l’orientation universitaire. En effet, le système d’orientation post-Baccalauréat est un système de tri par l’échec dont les procédures manquent de transparence puisque même les enseignants sont insuffisamment impliqués. Sont mises en avant, pour une élite bien désignée, les filières dites nobles et réservées, alors que les filières professionnelles sont encore et toujours dévalorisées et réservées au commun. Du collège à l'Université, la chaîne de l'orientation académique opère un véritable tri social parmi les élèves. Certaines formations deviennent des fourre-tout dans lesquelles sont affectés tous ceux que l’on ne peut caser ailleurs.

L'orientation post scolaire est, par la force des choses, devenue une question particulièrement importante et sensible aujourd'hui, étant donné qu'elle détermine fortement, pour un bachelier, ses chances d'insertion professionnelle réussie sur le marché du travail, devenue de plus en plus difficile. Les familles l'ont d'ailleurs bien compris puisqu'elles s'intéressent, souvent avec une grande anxiété, à l'orientation de leurs enfants. Aujourd'hui, la situation semble, à cet égard, plus préoccupante, puisque le système de l'orientation, fortement contesté sur la place publique, même par les officiels, révèle nombre d'inégalités et de dysfonctionnements et relativise l’égalité des chances. On voit d'ailleurs se développer, en réponse à ces défaillances, un marché privé venant creuser encore plus les inégalités sociales et accroître le discrédit du service public de l'Education. Lorsqu’un candidat n’obtient pas l’orientation visée, les familles matériellement aisées, court-circuitent le système en faisant en sorte que leur enfant soit inscrit dans la branche choisie, dans une institution universitaire privée ou à l’étranger. Un véritable marché parallèle de la réorientation s’est ouvert dans le privé en marge du système public, tout comme certains organismes promeuvent les études à l’étranger, notamment dans les pays de l’Europe de l’Est. Pour les autres, ceux qui n’en ont pas les moyens, ils sont obligés de se contenter des branches qu’on leur a imposé dans l’enseignement public. Ainsi le pouvoir de l’argent relativise gravement l’orientation universitaire et accentue l’hémorragie des cerveaux que subis gravement notre pays. Tous s'accordent donc, aujourd'hui, sur la nécessité de moderniser, d'optimiser et de rendre plus juste le système actuel, mais là encore les postures envisagées divergent et tournent rapidement en querelles de salons.

Toutes les études menées aboutissent au constat du lien entre passé scolaire et choix d’orientation. À ce titre, le type de bac obtenu ainsi que la mention au bac sont particulièrement illustratifs du passé scolaire des étudiants. Sur le plan démographique, les femmes sont très nettement majoritaires au sein de l’université, représentant environ 60 % des effectifs étudiants, avec une répartition au sein des composantes et plus particulièrement des filières universitaires inégale. Les choix seraient donc socialement construits et doublés d’un enjeu identitaire fort dans le cadre d’un système normatif féminin/masculin. La féminisation de la société montre que les femmes, petit à petit, investissent tout l’espace social et même si certains secteurs restent très masculins, le fait qu’il n’existe plus de bastion exclusivement masculin, change la représentation globale de la société sur les femmes et les rapports sociaux de genre. Mais les choix d’orientation sont aussi à mettre en lien avec les débouchés professionnels et certaines filières d’études sont jugées plus élitistes dans les représentations sociales, menant vers des secteurs professionnels plus rémunérateurs ou vers des postes à plus grandes responsabilités.

Pour lutter contre l’échec et la fréquence des réorientations en début de parcours dans le supérieur, ainsi que contre les inégalités sociales d’accès aux diplômes, la Tunisie doit focaliser son attention sur le défaut de transition, au moment du baccalauréat, dans le passage de l’enseignement secondaire à l’enseignement supérieur. De nombreux étudiants rencontrent énormément de difficultés pour s’orienter vers une formation dans laquelle ils auraient de réelles chances de réussir, en raison de la rupture de la continuité des enseignements de part et d’autre de la frontière. Pour y parvenir, des enseignements modulaires devraient être mis en place aussi bien avant qu’après le baccalauréat, permettant aux élèves et aux étudiants de construire à la carte leur parcours de formation, en fonction de leurs aspirations et des compétences qu’ils acquièrent et de certifier ces modules au fil des cursus suivis. Les questions de travail, d’emploi, de compétitivité et de révolution numérique ont toutes mis en évidence un déficit tunisien en matière de compétences ainsi que de profondes inégalités en matière d’accès à l’enseignement supérieur et de capacité à y obtenir des diplômes. Ce handicap est manifeste au vu des enquêtes internationales (PISA qui mesure les acquis des élèves du secondaire, PIAAC qui mesure les compétences des adultes du supérieur et de la vie active).

Comment réduire les taux d'échec des étudiants

Au-delà des efforts à accomplir en matière d’enseignement scolaire et de formation pour les adultes, notre pays doit impérativement améliorer la capacité des élèves à poursuivre des études supérieures. En effet, les taux d’échec d’étudiants ayant commencé des études supérieures demeurent à des niveaux trop élevés. Or les conditions d’insertion sur le marché du travail sont directement liées au niveau de formation atteint par les jeunes en général et par les diplômés du supérieur en particulier. Les bacheliers qui poursuivent leurs études dans l’enseignement supérieur semblent ne pas être pourvus des compétences nécessaires pour y réussir et y acquérir un diplôme. Les taux d’échec et de réorientation suggèrent des défaillances de l’orientation et de la sélection qui font que nombre d’étudiants ne sont pas bien informés ou ne prennent pas le chemin le plus approprié pour valoriser leurs compétences. Quitter le cadre du lycée (avec ses disciplines et ses enseignants uniquement dédiés au second degré, attachés à un groupe-classe pour une année entière) pour celui du supérieur (avec notamment amphithéâtres, cours magistraux, travaux pratiques, travaux dirigés, MOOC, disciplines nouvelles, enseignants-chercheurs dont la mission pédagogique n’est pas très valorisée…) entraîne Une rupture dans les méthodes pédagogiques et un risque de décrochage potentiel pour les étudiants les moins autonomes dans leur travail et pour ceux dont les bases méthodologiques sont les moins assurées. Le passage du lycée au supérieur est une transition sans gouvernance, étant donné qu’il n’est pris en charge en tant que tel par aucun acteur institutionnel et qu’à ce jour aucune solution structurelle n’est construite.

Ces difficultés traduisent aussi le caractère très hiérarchisé de notre système éducatif. Dès le début du lycée, l’enseignement est segmenté en plusieurs branches, entre lesquelles les mobilités sont limitées. Cette hiérarchisation se retrouve ensuite dans l’enseignement supérieur, notamment entre les filières sélectives et non sélectives, et elle continue de limiter les passerelles permettant aux étudiants de se réorienter facilement d’un parcours à l’autre. La sélection étant réservée à certaines filières, les difficultés se concentrent davantage dans les filières non sélectives des universités. Pour rendre la transition lycée-enseignement supérieur plus fluide et pour limiter les risques de décrochage dans les premières années des études supérieures, ainsi que la fréquence des réorientations, il convient d’organiser la transition secondaire-supérieur, en repensant d’abord l’information et l’aide à la décision des étudiants et des familles. L’absence ou l’inadéquation de l’information est en effet un facteur important d’échec et d’inégalité sociale entre les initiés et les autres. Pour y remédier, une priorité immédiate est de construire, en s’appuyant notamment sur les dispositifs numériques et une plateforme qui apporte aux utilisateurs des informations transparentes et exhaustives sur les formations et les parcours, les prérequis pour chaque formation, les procédures d’affectation, les chances de réussite selon les filières d’origine et les perspectives d’insertion professionnelle associées aux différents diplômes. Au-delà, en raisonnant sur un horizon de dix années, il est possible de dessiner deux stratégies de transformation de l’architecture du système éducatif pour une meilleure articulation du lycée et du supérieur.

L’orientation des futurs étudiants est une mission qui relève tant de l’éducation nationale que de l’Université. Elle comporte un devoir d’information sur le déroulement des études, sur les débouchés et sur les passerelles possibles d'une formation à une autre, ainsi qu’un devoir d’accueil, et d’orientation des étudiants à partir de leur réussite aux épreuves du baccalauréat, à leur entrée à l’Université et tout au long de leur cursus universitaire. Elles doivent, en outre, assurer un suivi de l’insertion professionnelle des étudiants diplômés, en établissant des relations avec le monde des métiers. Le système éducatif tunisien manque d’un trait d’union entre le lycée et l’Université, un véritable outil de communication de l’Université en direction des étudiants et des lycéens qui aspireraient à y entrer. La notion d’insertion, le fait de “devoir s’insérer” en essayant de trouver du travail, à la sortie de l’école ou de l’université, est une notion politique. La question de l’insertion est apparue au cours des années 1960 pour viser les jeunes en situation de handicap ou d’inadaptation. Avec la crise économique des années 1970, qui engendre la montée d’un chômage dont les jeunes sont les premières victimes, l’insertion s’impose progressivement, la question de l’adéquation entre la formation dispensée dans les différentes structures du système éducatif, et les besoins du marché et de l’économie, se fait jour. A partir des années 1980, l’insertion des jeunes devient une obligation nationale partout dans le monde et on reproche au système éducatif de proposer des formations trop théoriques, alors que le monde de l’emploi nécessite la mise en oeuvre de savoirs pratiques. Le concept d’insertion s’impose et devient synonyme d’intégration, par opposition à la notion d’exclusion. Dans les années 1990 émerge le concept d’employabilité pour tenter d’expliquer la capacité à occuper un emploi, l’inemployabilité permettant d’expliquer la persistance du chômage. Auparavant, l’accession à l’emploi était plus immédiate, mais avec la crise de la fin des années 1980, l’insertion est devenue un parcours long, difficile et semé d’embûches, emprunté forcément par les diplômés à leur sortie du système éducatif. La question de l’insertion des diplômés demeure, depuis les années 2000, préoccupante dans tous les pays du monde, témoignant d’un certain malaise des jeunes, face à la précarisation de leur statut social.

Selon l’OCDE, le groupe des 18-24 ans connaît le plus fort taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Les jeunes, étant surreprésentés parmi les candidats à l’embauche, représentent une catégorie très sensible aux fluctuations de l’économie. Enfin, à la sortie du système éducatif, la probabilité pour eux d’occuper un emploi stable est moindre, alors que celle de passer par une période de chômage plus ou moins longue y est plus forte. L’une des réponses de la classe politique, au chômage des jeunes, a toujours été d’incriminer la formation et le niveau d’instruction déclaré en baisse systématique. Mais c’est en réalité l’inadéquation entre les dispositifs de formation et les besoins de l’économie qui est souvent le thème privilégié, pour expliquer le chômage des jeunes diplômés, et dans ce domaine, l’Université est toujours mise en accusation. Toutes les politiques publiques relatives à l’éducation et l’insertion ont tenté, en vain, de résorber cette rupture entre la possession d’un diplôme et l’accès à un emploi d’un niveau lui correspondant. Cette situation induit aujourd’hui une mise en concurrence des institutions de certification (délivrant des diplômes) à l’image de la concurrence qui caractérise le marché, que ce soit entre les institutions d’enseignement supérieur ou entre celles-ci et les centres de formation professionnelle. En effet, le taux de chômage des jeunes issus des filières de formations professionnelles est nettement inférieur à celui des diplômés de l’Université. Dans ces conditions, l’Université fonctionnerait à la manière d’un réducteur d’ambition, une institution qui ne parvient à assurer une formation professionnelle de ses étudiants et à leur assurer un avenir social. Les jeunes, qui sortent des universités, ont de plus en plus de mal à occuper un emploi correspondant à leur niveau d’études, ce déclassement des diplômes étant lié à la massification des diplômés du supérieur et à l’inadéquation des parcours de formation à la clé. Sous un sceau démocratique, le fait que le plus grand nombre aient le même diplôme, ce que l’on appelle la massification, a eu un effet pervers que l’on n’avait pas prévu à savoir la dépréciation de ce-dit diplôme. Une vulgarisation qui s’est faite sans que l’on ait adapté les formations et sans que l’on ait réfléchi aux débouchés de tous ces diplômés lancés sur le marché, ni aux compétences dont on les avait vraiment dotés, ni d’ailleurs à la capacité d’absorption du marché de cette masse de diplômés. Alors, même si la valeur relative des diplômes existe bien, leur valeur intrinsèque ne suffit pas ou prou à l’insertion de son possesseur sur le marché du travail.

En y réfléchissant, les maux de l’Université tunisienne comme de ses homologues dans le monde, sont d'abord liés à son histoire fondée sur l’idée d’égalité de tous devant l’instruction, ce droit perçu alors comme un des leviers de promotion sociale. Dans ce contexte, où l’obtention du baccalauréat s’est généralisée, le passage par l’enseignement supérieur a donc constitué un mécanisme de différenciation, qui ne se définit plus comme une ambition mais plutôt comme une nécessité sociale et un passage obligé. Il s’ensuit que l’augmentation du nombre de bacheliers a produit une augmentation du nombre d’étudiants, lequel n’a commencé à se stabiliser que vers 2010. Une nouvelle hiérarchie scolaire s’est établie de facto, opposant les secteurs de l’enseignement supérieur entre eux, les filières entre elles, les formations entre elles, les universités entre elles, et bien sûr, les étudiants entre eux, selon l’héritage dynastique, le capital social, culturel et économique dont ils disposent. S’est ainsi constitué un marché scolaire, régi par la loi de l’offre et de la demande qui a tôt fait d’être investi par le privé. La massification des effectifs étudiants s’est accompagnée d’un changement dans leur rapport au savoir et à l’université. On passe ainsi des « héritiers » aux « nouveaux étudiants », c’est-à-dire d’un groupe relativement restreint et homogène issus de familles disposant d’un capital culturel et scolaire les prédisposant à la réussite d’études supérieures à un groupe hétérogène et nombreux, rencontrant des difficultés en tout genre et ne parvenant pas à décoder les prérequis implicites de l’enseignement universitaire, c’est-à-dire les pratiques, les méthodes, les traditions et les fonctionnements de l’Université. La réussite à l’université dépend toujours, et alors, de la capacité de l’élève à devenir étudiant et de maîtriser les techniques de base nécessaires pour suivre les enseignements dispensés.

Le paysage universitaire tunisien, remodelé depuis 1976 par la mise en place du système LMD, a été transformé en profondeur en redéfinissant les libertés, les responsabilités et les missions des universités : La formation initiale et continue, la recherche scientifique et technologique, la diffusion de la culture et de l’information scientifique et technique, la coopération internationale, l’orientation et l’insertion professionnelle, ainsi que la participation à la mondialisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les failles du système d’orientation chargé de guider les futurs étudiants dans leur parcours de formation seraient à l’origine de l’échec important à l’université. L’interface entre le secondaire et le supérieur défaillante doit donc être renforcée, afin de rendre les étudiants qui intègrent l’université véritables acteurs de leur choix et responsables de leur parcours. La mise à disposition d’une information exhaustive et clarifiée est un support nécessaire de l’orientation, pour éviter les parcours fondés sur l’erreur du sens commun et de fausses évidences. La Tunisie doit passer par une réinitialisation des missions du système éducatif tout entier, et ce à l’échelle nationale pour redéfinir la notion de savoir et y ajouter celle de compétences, notion issue du monde économique et de l’entreprise. En effet, Former des individus compétents exige désormais un type d’éducation moins centré sur l’accumulation de connaissances et plus tourné vers l’amélioration des capacités à agir, à réagir et à s’adapter aux situations évolutives et aux changements. Le système éducatif, auparavant conçu pour l’élaboration du savoir et de sa transmission, est désormais interrogé sur sa capacité à insérer ses diplômés dans le monde de l’emploi, et donc à mettre ses enseignements en adéquation avec les impératifs socio-économiques de la société de l’information et de la communication intelligentes. Seule une refonte du système éducatif permettrait aux jeunes de ne plus sortir du système, sans avoir des notions de culture générale (histoire, géographie, économie, sociologie et psychologie) et sans savoir rédiger, argumenter, analyser un problème, exposer, s’auto-documenter, utiliser les outils informatiques courants, ou encore parler correctement des langues étrangères.

Les effets pervers de la démocratisation de l'enseignement

Nous sommes à la croisée des chemins conduisant à la modernité et l’avenir ; mais que peut être l’avenir dans un contexte d’abandon scolaire et universitaire et d’échec important en premier cycle dans les Universités, où l’insertion professionnelle des jeunes fait problème, où le système de l’orientation scolaire est accusé de défaillance. L’Etat ne peut pas ne pas se préoccuper de la réussite, de l’orientation et de l’insertion des jeunes. Les enjeux sont loin de se limiter aux simples mutations du système éducatif national. Dans le cadre de la société de l’information et de la communication, selon une optique de mondialisation, les compétences de base nécessaires à l’employabilité des individus ont évolué pour s’intégrer dans une mosaïque internationale planétaire. L’éducation, qu’elle soit alphabétisation, instruction ou universitaire, doit rayonner et permettre une visibilité, car elle est appelée à se positionner dans le système de la formation et de l’orientation mondiale, tout au long de la vie de l’humanité.

Les pouvoirs publics ont déjà tenté de développer des actions pour en faire des outils de réussite, mais sans qu’elles aient été systématisées à l’intérieur d’une offre globale. Or favoriser la réussite du système ne se borne pas à fournir des places de travail aux diplômés. Ils ont un véritable rôle à jouer en matière d’orientation et d’insertion professionnelle, sur le plan de leur politique de services. Il est évident que, sans une évolution favorable des moyens dévolus à la communication et l’information, des méthodes d’éducation et d’enseignement, de la pédagogie scolaire et universitaire, sans une réelle intégration des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) dans les équipements pédagogiques aux côtés des enseignants, ces derniers auront du mal à développer une politique cohérente, relativement aux nouvelles missions définies, nécessaire pour lutter contre le cloisonnement des services et la pesanteur des structures scolaires et universitaires.

La démocratisation de l'éducation n'a pas été sans conséquences. Il s’en est suivi une dévalorisation de certains diplômes sur le marché du travail, la hausse d'effectifs d'étudiants dans certaines spécialités, une baisse dans d'autres, phénomènes qui poussent les bacheliers à s'interroger sur la valeur et l’intérêt des formations assurées par l'université et du diplôme qu’elles délivrent et les spécialistes sur la cohérence et la cohésion du système. Le marché de l'emploi déconnecté, émet des réserves sur la qualité de la formation assimilée par les élèves et les étudiants et oppose une fin de non-recevoir. La formation universitaire doit être la locomotive de l'économie et du marché de l'emploi surtout si elle est partie intégrante d'un projet sociétal global mais pour cela, il faut qu'elle réponde dans son contenu aux besoins réels de ce projet en matière de progrès et de développement. Ce n'est pas aux entreprises de dicter le contenu de la formation, cette dernière est d'intérêt public et elle a une dimension globale alors que les entreprises ne représentent que des intérêts limités. Certes, la synergie entre les intérêts des uns et des autres est souhaitée. Mais, le secteur de l'entreprenariat doit émettre avec précision ses besoins en connaissances académiques et contribuer directement au financement du système éducatif sans intervenir dans le mode d'attribution des diplômes, qui demeure du ressort du monde de l'enseignement et de la formation, comme c'est le cas dans les pays développés.

Il ne faut pas banaliser l'excellence qui donne systématiquement droit à un traitement particulier. Ailleurs il n'est pas évident d'obtenir une orientation universitaire, sans compter les charges exorbitantes d'inscription dans certains créneaux de formation universitaire. En Tunisie, avoir une place à l'université est non seulement un droit mais c'est une demande sociétale pour laquelle des générations ont donné leur vie depuis la fin du XIXème siècle.

Monji  Ben Raies
Universitaire, enseignant et chercheur en Droit public et Sciences politiques
Université de Tunis El Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis