Opinions - 19.06.2018

Nouri Kamoun - Enseignement supérieur: Quand une crise peut en révéler bien d’autres

Enseignement supérieur: Quand une crise peut en révéler bien d’autres

Beaucoup de médias ont annoncé la fin de la crise dans les universités suite à l’accord signé entre le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique  et le syndicat IJABA. En fait cet accord n’est qu’une porte de sortie de secours pour un syndicat qui s’est engouffré dans une voie sans issue et pour un ministère qui a très mal géré cette crise.

Néanmoins, cette crise en a révélé bien d’autres:

Une crise de valeurs

Refuser de donner un sujet d’examen  pour évaluer des étudiants  auxquels on a assuré un enseignement est un acte à l’opposé de la déontologie d’un universitaire et des valeurs qu’il devrait défendre et faire véhiculer.

Mobiliser des instances élues pour des causes syndicales est contraire à toutes les traditions universitaires et reflète un manque grave de maturité chez beaucoup  d’élus.
Menacer noir sur blanc dans les communiqués d’IJABA  au cours de cette crise, qu’il fallait  oublier à jamais les  sujets d’examen si on touchait aux salaires des grévistes, reflète un égoïsme  et une insouciance primaires graves de la part d’universitaires.

Ne pas hésiter à perturber toute une année universitaire pour obtenir la reconnaissance du syndicat IJABA par l’autorité de tutelle est une première qui pourrait donner des idées à d’autres actions.

Une crise dans la gestion des  affaires au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique 

Refuser de comprendre pendant 6 mois les raisons profondes du malaise chez les universitaires (grévistes et non-grévistes) et réaliser à quel point la crise est profonde, reflète un défaut d’appréciation assez grave chez l’autorité de tutelle.

La gestion de la crise par le Ministère et les universités était catastrophique. Au lieu de circonscrire le problème dès  le mois de décembre,  de recevoir le syndicat et le raisonner  dans le cadre du  respect  mutuel, il n’ y a eu que des initiatives maladroites regrettables qui témoignent d’une incompréhension profonde de l’université et de ses problèmes.

Il y a eu le courrier menaçant de Janvier du Directeur du cabinet,  puis la minimisationdu problème dans les médias pendant des mois, puis l’annonce tambour battant que la question des examens sera résolue avec des comités pédagogiques  désignées, puis vient  la menace de bloquer les salaires de tous les enseignants  et ce pour  toute institution dont le  Doyen (ou le Directeur ) refuserait de faire son devoir  et de  remettre la liste des grévistes. Et enfin  la meilleure, l’appel aux non-grévistes d’aller se bousculer devant les bureaux d’ordre de leurs universités pour justifier qu’ils ont accompli leurs devoirs.

Monsieur Le Ministre, quelle grande imagination ! Quelle grande considération vous avez pour des universitaires qui ont accompli leurs devoirs  et qui ont dénoncé toutes les perturbations causées par l’appel de ce syndicat.

Signer à la hâte au mois de Mars avec la fédération générale de l’enseignement supérieur, un accord qui est  une humiliation pour les  universitaires: Leur octroyer une prime de rentrée universitaire ou bien faire bénéficier leurs enfants d’une bourse universitaire alors que d’autres étudiants ayant des parents avec des revenus inférieurs n’ont pas droit à cette bourse est un scandale pour toute personne qui a un peu de bon sens.

La meilleure est de voir un ministre se vanter de payer les enseignants-chercheurs  pour chaque article publié. Décider de la sorte, c’est  encourager officiellement la médiocrité. Savez-moi Monsieur Le ministre que suivant les disciplines,  les thèmes et la profondeur des questions traitées, il y a des articles de recherche qui nécessitent des années de travail et de réflexion et d’autres articles qui n’en  nécessitent  que quelques mois.

Le MESRS a déjà expérimenté la prime pour chaque thèse soutenue. On sait ce qu’elle a produit: des milliers de thèses et des milliers de victimes.

Avec de telles  décisions visionnaires, l ’Université Tunisienne a un grand avenir devant elle.

Récompenser le syndicat IJABA, pour avoir réussi à perturber l’année universitaire  en le déclarant  partenaire digne de faire partie des compétences qui vont faire la réforme de l’enseignement supérieur est le comble de l’ironie.

Monsieur le ministre vous auriez pu faire cela au mois de Novembre! c’est vrai à cette date, ils n’ont pas encore fait leurs preuves.

Maintenant c’est bon ,grande sagesse et grand sens de responsabilité sont prouvés!

Réformer l’université ne consiste pas à faire n’importe quoi pour avoir le soutien d’un tel syndicat un jour et faire d’autres concessions le lendemain pour avoir la paix avec l’autre syndicat.

Les problèmes de l’université sont  beaucoup plus profonds et beaucoup plus complexes pour être gérés de la sorte.

Nouri Kamoun
Ex- Doyen de la faculté des Sciences de Monastir