News - 05.06.2018

Football et mondialisation: Le business florissant de la FIFA

Football et mondialisation: Le business florissant de la FIFA

«Aujourd’hui, si vous voulez peser sur la scène internationale, il est plus important d’être reconnu au Comité international olympique qu’à l’Organisation des Nations unies.» Cette formule, dont la paternité revient à l’ancien émir du Qatar, Cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, pourrait tout aussi bien s’appliquer à la Fifa. Le football et l’olympisme sont aujourd’hui devenus d’incomparables moyens de rayonnement. Et les autorités qui les contrôlent, le CIO, et, plus encore, la Fifa, des puissances à part entière. Les Qataris l’ont bien compris. Ils n’ont pas hésité à investir des milliards dans le sport, au point de remporter l’organisation de la Coupe du monde de football 2022, au nez et à la barbe des Etats-Unis, du Japon et de l’Australie (excusez du peu).
La Coupe du monde de la Fifa a consacré l’avènement des BRICS, les nouveaux pays industrialisés : l’Afrique du Sud (Mondial 2010), le Brésil (Mondial 2014), la Russie (Mondial 2018). Course aux profits (pour la Fifa) et course au gigantisme (pour les organisateurs) vont d’ailleurs de pair : l’édition brésilienne a coûté la bagatelle de 8 milliards de $, suscitant d’ailleurs une grogne inattendue dans « la patrie » du football. Le Mondial russe devrait laisser une ardoise oscillant entre 10 et 13 milliards de $. Et l’édition 2022, au Qatar, fera exploser les compteurs.

Assise sur un véritable trésor de guerre (1,65 milliard de $ de réserves), la Fifa est officiellement une ONG… à but non lucratif. Elle a commencé à prendre son essor dans les années 1960, dans le sillage des premières retransmissions télévisées des Coupes du monde et est devenue une puissance à part entière dans les années 1980, sous le règne du Brésilien Joao Havelange (voir encadré 1). Son président actuel, le Suisse Gianni Infantino, élu en 2016, jouit d’un statut comparable à un chef d’Etat: il intervient au forum mondial de Davos, est reçu par le secrétaire général des Nations unies et par les grands de la planète. Outre l’organisation de la plus importante compétition sportive mondiale (la Coupe du monde, qui lui assure 82 % de ses revenus, estimés à 5,7 milliards de $ pour le cycle 2015-2018), la Fifa se consacre au développement du football et à sa gouvernance. Refusant toute forme d’ingérence politique en vertu de «l’exception sportive», elle n’hésite pas à user de son pouvoir de sanction : elle peut aller jusqu’à suspendre un pays, c’est-à-dire le priver de compétitions. Un bouclier bien utile pour les fédérations nationales, quand celles-ci sont aux prises avec leurs ministères de tutelle...

Jalouse de ses prérogatives et toute-puissante, la Fifa fait l’objet de critiques récurrentes. Elle ne rend de comptes à personne. Ses détracteurs l’assimilent à une « république bananière ». Il est vrai que son président est omnipotent : il exerce un contrôle sur l’ensemble des activités de l’organisation, des plus grandes aux plus petites. Son ascendant sur le Conseil, la nouvelle dénomination du comité exécutif, qui compte désormais 37 membres, dont 8 vice-présidents, est indiscutable. Longtemps, ses caciques se sont mutuellement protégés. Le scandale de corruption qui a fini par emporter le Suisse Sepp Blatter, en 2015, a provoqué un début de ménage, et un vrai renouvellement dans la composition des instances dirigeantes du foot mondial. Mais le système a-t-il changé pour autant ? Les observateurs avertis en doutent. Les deux coprésidents du comité d’éthique, dont l’action avait permis de faire la lumière sur certains agissements de la clique de l’ancien président, n’ont pas été prolongés dans leur mandat lors du Congrès de Manama, en mai 2017…

Marchandisation du sport et surcharge du calendrier

Les scandales et les soupçons de corruption(*) ne sont pas la seule raison de l’impopularité de la Fifa. L’organisation est accusée de contribuer et d’entretenir la tendance à la marchandisation du sport-roi. Le passage à un format de 48 équipes, contre 32 actuellement, qui sera effectif lors de la Coupe du monde 2026, a suscité un flot de critiques. A force de multiplier les épreuves et les matchs, et de vendre les droits aux plus offrants, ne risque-t-on pas de finir par tuer la poule aux œufs d’or ? L’argument est repris, avec une pointe d’hypocrisie, par l’Uefa, la Confédération européenne de football, organisatrice de l’Euro mais aussi des très lucratives compétitions européennes de clubs (Ligue des champions et la Ligue Europa). Une rivalité féroce oppose ces deux acteurs majeurs du football-spectacle, qui s’explique avant tout par des intérêts divergents. Les Européens ont tenté, à plusieurs reprises, mais en vain, de s’emparer de la citadelle Fifa. S’appuyant sur les petites fédérations des Caraïbes, d’Océanie, d’Afrique ou d’Asie, Sepp Blatter a toujours réussi à contrecarrer leurs desseins. Dans le système Fifa, l’île de Montserrat, et ses 5 000 habitants, pèse autant que l’Allemagne, et ses 4 Coupes du monde remportées. La manne considérable reversée par la Fifa aux fédérations affiliées (263 millions de $) constitue, à cet égard, un extraordinaire moyen de persuasion…

Fragilisée par la désastreuse séquence de 2015, la Fifa, sous la houlette de Gianni Infantino, a repris la main et multiplié les innovations et les réformes visant à accroître l’attractivité et la profitabilité de ses compétitions. Outre le passage, déjà souligné, à 48 équipes en 2026, l’instance zurichoise a réussi à forcer la main au très conservateur International Board, le gardien du temple des lois du jeu, pour autoriser la possibilité d’un quatrième remplacement au cours des prolongations, et, surtout, la possibilité du recours à l’arbitrage vidéo, dès juin 2018. Réclamée de longue date, tant les erreurs d’arbitrage, souvent au détriment des pays africains, ont défrayé la chronique, cette rupture risque néanmoins de créer son lot de polémiques. Matchs hachés, rythme des rencontres dénaturé, la vidéo, expérimentée dans le championnat italien, a produit des résultats contrastés. L’Uefa, d’ailleurs, n’en veut pas pour sa Ligue des champions.

25 milliards de dollars pour une Coupe du monde des clubs?

Mais la grande affaire du moment qui pourrait révolutionner le visage des compétitions internationales de football se déroule à bas bruit, dans une opacité totale, dans le plus pur style Fifa. Un mystérieux consortium d’investisseurs arabo-asiatiques a présenté au président Infantino une offre de 25 milliards de $ pour prendre le contrôle de deux compétitions estampillées Fifa, l’une existante, la Coupe du monde des clubs, et l’autre à créer, une Ligue des nations. Cette somme astronomique équivaut, à titre indicatif, à deux fois le budget annuel de l’Etat tunisien et cinq fois le budget quadriennal de l’instance du football international. Sollicité en mars, Infantino en a informé le conseil de la Fifa lors d’une réunion extraordinaire convoquée le 10 avril. Une fois n’étant pas coutume, les membres du «gouvernement de la Fifa» ont bronché, et exigé de leur président qu’il apporte plus de détails sur l’offre. La Coupe du monde des clubs est un vieux serpent de mer. L’épreuve actuelle, un tournoi de huit équipes organisé sur une dizaine de jours, en décembre, manque d’intérêt sportif et se résume en réalité à un match de prestige entre le champion d’Europe et le champion d’Amérique du Sud, pour le titre honorifique de champion du monde des clubs. Ses recettes sont anecdotiques. C’est une source de frustration pour la Fifa, qui continue à tirer l’essentiel de ses recettes d’une seule compétition n’ayant lieu qu’une fois tous les quatre ans. La proposition du consortium vise à organiser, dès l’automne 2021, tous les quatre ans, une compétition rassemblant non plus 8 mais 24 équipes (dont 12 histoire européennes). L’autre proposition consiste en une Ligue mondiale des nations, jouée tous les deux ans, par huit sélections, qui viendrait alourdir un peu plus un calendrier déjà bien chargé.

Les négociations s’annoncent cependant ardues: le 16 mai, le président de l’Uefa, Alexander Ceferin, a opposé une fin de non-recevoir au projet d’Infantino, qu’il jugeait prématuré. Il a exigé, à son tour, plus de précisions à la fois sur la nature des compétitions et l’identité des investisseurs. Seule certitude: le consortium, qui comprend la holding japonaise Softbank, est pressé. Il souhaite acheter les deux compétitions, qui deviendraient sa propriété, en  échange de colossales royalties reversées à la Fifa. Les analystes doutent qu’un tel investissement puisse être amorti, même en douze ans. Son action est-elle dictée par d’autres considérations, mêlant géopolitique et quête de prestige ? La présence, au sein du tour de table, d’investisseurs chinois et saoudiens est un secret de Polichinelle. La Chine ne cache pas sa volonté de devenir une puissance qui compte dans le monde du football. Cette ambition passe notamment par l’organisation de grandes compétitions sur son sol. Mayasoshi Son, le charismatique patron japonais de Softbank, est au mieux avec Pékin : il détient en effet 30 % du géant Alibaba, l’équivalent chinois d’Amazon. Il est aussi très impliqué en Arabie Saoudite : son groupe va développer, en partenariat avec le Fonds souverain saoudien, créé par le Prince héritier Mohammed Ben Salman, un mégaprojet de centrale solaire dans le royaume wahhabite. Le projet de Coupe du monde n’est peut-être que le énième avatar de la féroce rivalité qui oppose Riyad et Doha. Effacer l’humiliation de l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar et lui damer le pion en organisant, tous les quatre ans, dès 2021, un Mondial des clubs en Arabie Saoudite : là réside peut-être la motivation inavouable des têtes pensantes du consortium. Un caprice de prince.

Samy Ghorbal

(*) La Fifa a budgété 92 millions de dollars en « frais de justice liés aux enquêtes », pour le cycle 2015-2018.

 

Sommaire

Coupe du Monde de football Russia 2018: C’est parti sur Leaders !

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Russia 2018 : A la découverte de la planète foot

FIFA / Coupe du Monde (par Samy Ghorbal)

Fifa - De Jules Rimet à Sepp Blatter Comment la Fifa est devenue un empire: Comment la Fifa est devenue un empire

La Fifa en chiffres

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L’arbitrage tunisien a eu six ambassadeurs en Coupe du monde: quatre arbitres et trois arbitres assistants

Coupe du monde 2026 : le match Maroc / USA

L’histoire du football

Des îcones du football mondial

La Coupe du Monde de football, le titre sportif le plus prestigieux

L’insolite de la Coupe du monde

La Tunisie et la Coupe du monde

Foued Mebazaa : C’était l’Argentine 78

Abdelmajid Chétali

Chokri El Ouaer au Mondial 98

La liste élargie des 29 joueurs convoqués

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Le sélectionneur : Nabil Maaloul

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L'ambassadeur russe à Tunis : J'espère que la Tunisie va nous gratifier d'un football de haut niveau en Russie

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Coupe du monde Russia 2018: Regards sur le football tunisien

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