Opinions - 17.05.2018

La société civile à la Marsa dans la transition démocratique : l'exemple du collectif des associations de la société civile de la Marsa et de Winou Etrottoir

la société civile a la Marsa dans la transition démocratique : l'exemple du collectif des associations de la société civile de la Marsa et de Winou Etrottoir

Depuis le 14 janvier 2011, de nombreuses associations non gouvernementales ont vu le jour en Tunisie et ont participé à la grande mobilisation de la société civile, d'abord pour soutenir la révolution, puis pour essayer de la défendre d'attaques contre-révolutionnaires qui l'ont suivie et dont les manifestations sont, comme nous ne le savons que trop, le terrorisme, l'extrémisme religieux, l'insécurité, la contrebande, le commerce parallèle au niveau national, et la dégradation de l'état des villes au niveau local.

À part Tunis et d'autres villes, un exemple intéressant d'une société civile particulièrement active se trouve dans la commune de la Marsa (qui comprend la Marsa, Gammarth, Bhar Lazrag et Sidi Daoued).

Le but de cette communication est de rendre compte de l'importance de la mobilisation de la société civile qui y a eu lieu à partir de l'exemple du Collectif des Associations de la société civile de la Marsa et de Winou Etrottoir, et qui n'a jusqu'ici presque pas attiré l'attention des médias.

Comment s'est manifestée, se manifeste et s'exprime donc la société civile à la Marsa ?

A travers les associations bien sûr et aussi à travers les réseaux sociaux, en particulier Facebook. Il est à noter d'abord que la Marsa est une ville où le nombre d'associations est particulièrement élevé par rapport à la population, probablement beaucoup plus qu'ailleurs.

Créations d'OGN à la Marsa (source : M. Abdelwahab Mokadi  d'IFEDA):

  • 2011 : 40
  • 2012 : 52
  • 2013 : 19
  • 2014 : 29
  • 2015 : 19
  • 2016 : 20
  • 2017 : 23

Cela fait en tout 202 associations. Le nombre élevé d'associations, auxquelles il faut ajouter les groupes Facebook qui sont consacrés à la Marsa, montre un profond attachement de ceux et celles qui en font partie pour leur ville, à qui les Marsois sont effectivement reliés par une relation émotionnelle très forte. Tous les Marsois aiment leur cité et déclarent régulièrement leur amour pour elle dès qu'ils en ont l'occasion sur leur propre page Facebook, parfois en choisissant le mode humoristique. Comme ce Marsois, qui écrit le 15/12/2017 :

Reuters/New York. L'UNESCO souhaiterait inscrire "l'esprit marsois" comme patrimoine culturel de l'humanité, réponse parviendra à cette institution dans les six mois à venir .art.vie#paradis#populaire#vert&jaune

Ou encore, à propos des primaires de l'initiative citoyenne "La Marsa change" du 4 février 2018 en vue des élections municipales : Toute la planète attend avec impatience les résultats des primaires de la Marsa.
Moments#magique#lamarsa#unique

Être Marsois est même considéré comme un privilège par certains. La Marsa est qualifiée de "(un) petit paradis" par une facebookeuse. Pourquoi donc ? Son site magnifique, certes, avec Gammarth (que serait la Marsa sans Gammarth ?) y est évidemment pour quelque chose. Et la chanson "Boussat El Rih" y est certainement pour beaucoup puisque Férid Latrache, en y chantant la Tunisie  -"Tounès El Khadra" -  et aussi la Marsa, a de cette manière sortie la ville de l'anonymat, ce qui remplit de plaisir les Marsois et flatte leur conscience de soi ou leur inconscient collectif par cette reconnaissance internationale de leur identité, puisque grâce au quatrième art, la musique, la Marsa est devenue depuis célèbre en Tunisie et dans tout le monde arabe. Ne serait-il pas temps d'ailleurs qu'une rue de la ville porte le nom de ce chanteur ?

Déclarer qu'on aime sa ville comme le font les Marsois et Marsoises, ce n'est pas uniquement une manifestation de nombrilisme, c'est aussi une manière d'exprimer son patriotisme. Car aimer la Marsa, c'est aimer sa patrie : c'est une synecdoque, ou "pars pro toto"). Et en cela, les Marsois se montrent diamétralement opposés idéologiquement aux extrémistes religieux, qui eux, rejettent le pays où ils sont nés et son drapeau pour adopter le drapeau noir de Daech et veulent imposer par des assassinats et en appelant au jihad un projet de société rétrograde. La Tunisie sera toujours sauvée par l'amour que lui portent ses citoyennes et citoyens.

Les Marsois aiment leur ville, ils souhaitent pour cette raison aussi la protéger et la défendre contre les prédateurs. Personne ici n'a oublié ce qui est arrivé au Café El Hafsi, qui a été détruit pour être remplacé par le centre commercial "Le Zéphyr". C'est là qu'intervient la société civile à travers les associations et les groupes Facebook. En effet, parler de la société civile à la Marsa, c'est aussi parler des pages Facebook la concernant.

Facebook est très populaire en Tunisie . Ce réseau social, malgré ses défauts et ses pièges, a joué et joue incontestablement un rôle dans la mobilisation de la société civile à la Marsa depuis le 14 janvier 2011, car la plupart des associations ont aussi leur propre page Facebook, elles se sont faits connaître et sont devenues rapidement populaires en lançant des appels à travers elles.

De quoi est-il question dans ces pages ?

Elles permettent aux associations désireuses d'entrer en contact avec les citoyens, comme entre autres les associations de l'environnement, les associations de quartier, de sauvegarde de la ville, de bienfaisance, d'annoncer des actions concrètes, parfois entreprises en commun avec la municipalité : de sensibilisation au recyclage des déchets par exemple, comme l'a fait l'ACMC, qui a été une des premières avec l'ADPE à mettre des containers pour les bouteilles en plastique ; de nettoyage de la plage, organisées par plusieurs associations, dont l'ACMC et l'AEM - l'AEM qui s'est focalisée sur l'apprentissage du tri sélectif dans des écoles primaires et secondaires ; de nettoyage des rues, du cimetière, de la forêt de Gammarth par l'ASSADEFOGA et "Les amis de Gammarth" ; de collectes de denrées alimentaires et d'argent pendant le Ramadan pour les personnes démunies (MAWJ), ou pour les habitants des zones déshéritées (Doustourna). On peut se demander ce que serait devenue la Tunisie sans cet extraordinaire mouvement de solidarité sociale qui a eu lieu dans tout le pays, et également à la Marsa.

A part les pages propres aux ONG, il y a en outre des groupes n'existant que virtuellement et dont le centre d'intérêt est la Marsa. Ces groupes soutiennent aussi avec efficacité les appels des associations en relayant les actions qu'elles entreprennent pour la ville et en appelant leurs membres à y participer. Il existe de fait une interaction entre les deux structures. Ces groupes donnent par ailleurs aux citoyens et citoyennes de la ville l'occasion de s'exprimer et de communiquer entre eux en partageant informations, photos, souvenirs, réflexions sur le passé, le présent, l'environnement, l'histoire, le patrimoine, la vie quotidienne. Ce faisant, elles créent ainsi un fort lien, un sentiment de cohésion, le sentiment d'appartenir à une communauté, celle des habitants de la Marsa, sentiment qui n'est pas uniquement virtuel, car certaines personnes vont le concrétiser dans le monde réel en faisant connaissance, en communiquant entre elles et même en devenant amies. Le chercheur et généticien Albert Jacquard a exprimé dans cette phrase l'importance de ces relations amicales pour l'être humain  :

Seuls les liens que nous tissons permettent d'accéder à la conscience d'être. C'est l'appartenance à une communauté humaine qui nous rend véritablement humain. (in: Tentatives de lucidité).

En ce qui concernent les pages Facebook, certaines ont obtenu dès leur création un succès immédiat et inattendu. Je vais citer à titre d'exemple deux groupes: "Tu es un vrai Marsois si…"  et "Citoyens de la Marsa".

"Tu es un vrai Marsois si… " qui a obtenu 4302 adhérents en quelques jours, se présente ainsi :
https://www.facebook.com/search/top/?q=t%27es%20un%20bon%20vrai%20marsois%20si...,

A QUI EST DESTINE CE GROUPE ? Vous êtes Marsois et fier de l'être ou bien vous y avez vécu une bonne partie de votre vie en habitant La Marsa. Même si vous n'êtes pas d'origine marsoise mais vous aimez La Marsa... vous adorez La Marsa comme un(e) vrai(e) Marsois(e) pour qu'elle redevienne ville propre en gardant sa bonne réputation non seulement aux yeux des Marsois mais aux yeux du monde entier. Vous avez certainement de jolies anecdotes propres à notre Ville ? Alors n’hésitez pas et partagez les avec nous. Rejoignez-nous et invitez vos ami(e)s Marsois(e)s. Notre groupe Facebook «Tu es un vrai Marsois si…» a été créé au courant du mois de mars 2014 cartonne sur le net : 4302 membres en 15 jours ! Cette page a pour but essentiel de créer une vraie amitié entre les membres du Groupe grâce aux réunions périodiques, bien sûr de croiser les images du passé avec celles du présent de notre belle ville La Marsa en découvrant ou en se remémorant les meilleurs moments, à travers des personnages emblématiques, des enseignes, des lieux qui ont marqué la vie des Marsois ! »
Aujourd’hui dimanche 6 août 2017 plus de 14348 membres font partie de ce Groupe.

Citons aussi le groupe "Citoyens de la Marsa", qui a 13 822 membres.

Ce groupe est dédié aux habitants de la Marsa et à ses visiteurs, nous pouvons y annoncer des événements, informer, demander, amuser ... mais nous pouvons aussi , et surtout, nous concerter sur les problèmes de notre ville et proposer des alternatives possibles. La publicité est proscrite tout comme la politique partisane.
Passant du virtuel au réel, certains de ces groupes FB ont fondé leur propre association. C'est le cas de «Tu es un vrai Marsois si…»

Grâce à ce Groupe une Association est née sous le nom de Association pour la protection de La Marsa (APPM). Bientôt vous serez informés sur la page, pour adhérer à l'APPM et nous rejoindre et vous vous aurez l'occasion de vous exprimer, partager avec nous vos idées qui amélioreront certainement notre objectif, celui de sauver notre ville de tous les abus qu'on voit aujourd'hui.

Dans ces pages consacrées à la Marsa, on y évoque aussi avec nostalgie le passé, considéré comme un âge d'or, au temps où la Marsa était une petite cité tranquille. Mais ce n'est pas uniquement pour désirer revenir en arrière, ce qui serait un regret non seulement stérile, parce que, comme le dit Héraclite d'Éphèse, "on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve", mais aussi dangereux, car on risque de se transformer en statue de sel (comme la femme de Lot dans la Bible), c'est-à-dire d'être bloqué et englué dans le passé, alors qu'il faut être relié à son époque si l'on veut participer effectivement et positivement à la vie sociale, c'est également pour dénoncer la dégradation subie par la ville, son environnement, et pour demander la sauvegarde de son patrimoine architectural - ou plutôt du peu qui en reste - édifié à l'époque beylicale ou à l'époque coloniale, patrimoine qui lui donne un cachet original et la rend ou la rendait attrayante, alors que les constructions actuelles se font remarquer par une laideur qui indigne beaucoup de Marsois, et contre laquelle ils se révoltent.

Prenons le groupe " Nostalgies Marsoises", qui écrit dans sa présentation:

Ce groupe dénommé "Nostalgies Marsoises" a la modeste ambition de réunir sur cet espace virtuel des Marsois et des Marsoises qui aiment leur ville d'abord et qui ont en commun cette affection pour de petites nostalgies marsoises qui leur rappellent leur Marsa d'antan, d'autre part. Ce sont des Marsois(es) nostalgiques qui assument leurs tendance à magnifier des lieux, des personnes ou des événements qui ont existé ou se sont déroulés dans la ville dans un passé assez récent ou très lointain...cela dépend ! l'histoire de La Marsa ainsi que l'évocation de son patrimoine auront largement leur place sur notre page.
Et comme les nostalgiques ne sont quand même pas réfractaires au présent et au futur de leur ville, loin s'en faut, il leur arrivera aussi de se pencher sur les périls qui menacent le patrimoine historique, culturel et naturel de leur chère Marsa. De même seront-ils intéressés par les perspectives de la préservation, voire de la reconversion de ce patrimoine local. Ce Groupe a le plaisir aussi d'accueillir les amis de La Marsa et des Marsois. Ils n'y habitent pas ou n'y habitent plus, mais ils  l'affectionnent particulièrement de part les attaches qu'ils ont avec cette ville et les souvenirs qu'ils ont en partage avec leurs amis marsois.

Dans les messages de Nostalgies Marsoises comme dans ceux de différentes autres pages, se dégage également à travers la critique du mauvais goût et la dénonciation de la laideur de certaines constructions récentes - une plaie qui touche toute la Tunisie - la volonté de dispenser une éducation esthétique en sensibilisant le regard pour le beau.

La Municipalité peut réglementer les enseignes dans la ville ( forme, matériaux, dimensions, luminosité ....) dans un souci d'esthétique urbaine et de sauvegarde du patrimoine architectural ou historique. Elle a toute la latitude pour le faire. Dans le cas contraire c'est la pagaille, la laideur, la transgression du patrimoine et de la beauté de la ville, ajoute l'administrateur de "Nostalgies Marsoises".

Mais ce qui a rassemblé d'une manière effective de nombreuses associations de la Marsa, qu'elles soient actives sur Facebook ou pas, et plusieurs pages ou groupes Facebook se consacrant à la Marsa, c'est l'état dans lequel est tombée la ville après le 14 janvier 2011.

État de la ville

Comme les autres Tunisiens, Les Marsoises et Marsois ont été grandement choqués par les dramatiques événements qui ont touché notre pays depuis le 14 janvier 2011, ils ont participé à des manifestations de solidarité et de protestation contre les assassinats politiques, le terrorisme, pour la défense des droits de la femme à l'échelle nationale, certaines ont même été organisées à la Marsa d'ailleurs. Et ils ont aussi été amenés à agir localement quand un autre problème majeur est venu augmenter le mécontentement général : celui de la dégradation et du délabrement de la ville, envahie par des tas de détritus en raison de grèves des sociétés et des agents chargés de la voierie. S'ajoutent à cela la prolifération spectaculaire des constructions anarchiques, le désintérêt pour le patrimoine, la destruction du littoral, de la forêt de Gammarth, et l'occupation illégale des trottoirs par les restaurants et les cafés.

La raison de cette gabegie est que les municipalités sont entre les mains d'une administration dont certains fonctionnaires, en place depuis Ben Ali, habitués aux combines et aux pots de vin, en paralysent le fonctionnement normal. Car la corruption qui battait son plein déjà sous le régime dictatorial est toujours là, et ceci alors que les partis, occupés à s'entredéchirer pour obtenir des postes de responsabilité, connaissent depuis 2014 des démissions en série de leurs membres (récemment, après celles qu'a connues Nida Tounès, c'est le tour d'Afek en décembre 2017, et du parti El Mostaqbel  fin janvier 2018) et sont aux abonnés absents. Face à cette situation, les citoyens de la Marsa ne veulent plus rester sans réagir, ils décident de se mobiliser dans les associations, unis autour de la question centrale qui les préoccupe : que faire pour la ville, comment empêcher qu'elle périclite, comment la sauvegarder des prédateurs ?

Ils rédigent alors le 13/6/2015 un "Manifeste des citoyennes et citoyens de la Marsa pour que la Marsa retrouve son aura", dont voici un extrait  :
[Nous, citoyennes et citoyens de La Marsa…]

Agréons les efforts déployés par les associations et la société civile de La Marsa, demandons au Collectif d’associations d’assurer le suivi de la situation, et le mandatons pour qu’il intervienne auprès de la Délégation Spéciale et des autorités pour faire aboutir nos requêtes pour que La Marsa retrouve son aura.

C'est là qu'entre en jeu le Collectif.

Le collectif

Dans un souci d'efficacité, plusieurs associations de la Marsa ont pris l'initiative de se regrouper dans un collectif constitué par 17 associations qui agissent et manifestent en commun pour dénoncer et sensibiliser, pour faire prendre conscience au plus grand nombre de citoyens de la gravité de la situation et entreprendre avec eux des actions de protestation. Certes, ce n'est pas le seul collectif qui a été créé après la Révolution, mais son originalité, c'est qu'il est uniquement marsois. Il s'agit de l'ACM, l'ADC, l'ADPE, l'AEM, l'AHR, l'ALMA, l'ASVM, l'APPM, l'Association des riverains de Carthage, l'ATIDE, ATTAKATOF, le CRQS, l'Association des Amis de Gammarth, LET, MAWJ, l'Observatoire Jeunes, Winou Trottoir, l'ASSAFODEGA, L'Association des Amis de la Marsa.

C'est à partir de là qu'on peut parler de l'émergence réelle sur la scène politique de la société civile à la Marsa, qui manifeste sa présence et se met à faire parler d'elle. C'est bien sûr un événement historique à saluer. Car dénoncer, cela peut paraître anodin maintenant, mais c'est important, n'oublions pas que la liberté d'expression est un acquis de la Révolution, qui n'existait pas avant le 14 janvier 2011. C'est ainsi que, bien qu'ils aient été exclus pendant plus de 25 ans de la vie politique par le système dictatorial et alors qu'ils étaient habitués à être encadrés, dirigés, les citoyens marsois regroupés dans le collectif ont montré qu'ils étaient capables de prendre leurs responsabilités. Ils ont été amenés à prendre pour la première fois des initiatives, à réfléchir ensemble aux problèmes de leur ville, à entreprendre des actions ensemble pour essayer de faire pression sur la municipalité, pour la pousser à prendre des mesures contre tous les dépassements. Comment ? En organisant des réunions, des sit-in, des marches, des manifestations, en faisant signer des pétitions, et en interpellant régulièrement publiquement et par voie officielle les autorités, comme le souligne cet extrait d'un texte écrit en raison de l'annulation d'une réunion avec  les autorités:

Le collectif tient par ailleurs à souligner que:
[malgré l'annulation de ladite réunion] il demeure plus que jamais déterminé à poursuivre son action citoyenne contre les dépassements urbanistiques, contre l’inaction des autorités locales et de tutelle, la dégradation de l'environnement urbain et la confiscation de nos espaces de vie.

Chronologie

Sans entrer dans les détails, disons que la première action a eu lieu pour s'opposer lors d'une réunion en 2012 à un mégaprojet suisso-qatari  qui envisageait la construction d'une tour à l'entrée de la Marsa, à l'emplacement actuel du stade Chtioui. L'action a été couronnée de succès, puisque le projet, qui a été rejeté à l'unanimité par les présents au meeting, a été finalement retiré.

La deuxième action, menée autour de l'ASVM en octobre 2013 , concerne la dénonciation du manque de transparence de la municipalité et son manque de concertation avec la société civile pour le projet de rénovation du petit pont de Marsa-Plage.

Les citoyens étaient régulièrement tenus informés des différentes actions par de nombreux communiqués et tracts (cf. le texte d'un tract publié à la fin de l'article). Voici un extrait du communiqué de base du 5/12/15 :

5- Au regard de la léthargie des autorités locales et de tutelle, le collectif adoptera toutes les formes d'actions citoyennes de nature à faire entendre ses doléances. Il proposera aux citoyennes et citoyens de la Marsa, l'organisation d’une manifestation dès la levée de l'état d'urgence. En préparation de cet appel aux Marsoises et Marsois pour qu’ils sortent exprimer leur ras-le-bol et leur citoyenneté, une conférence de presse rendra compte des dépassements intolérables de la légalité qui prêtent à être confondus à la malversation, à la corruption ou, pour le moins, à la gestion irresponsable des affaires de la ville imputable tant à la délégation spéciale qu'aux autorités de tutelle.

Ou cet autre extrait citant quelques slogans choisis par le Collectif pour le sit-in du 03 avril 2016:

Non à la corruption,
Oui à l’État de droit,
Oui à la transparence,
Oui à la bonne gouvernance.

Le point fort de la mobilisation citoyenne a été l'initiative de rédiger une charte et de la faire signer par les associations faisant partie du collectif ( le texte de la charte se trouve  à la page 15, avant le tract).

Un travail énorme a été accompli régulièrement par les militantes et les militants du collectif qui se sont dépensés sans compter, qui n'ont épargné ni leur temps ni leur énergie ni leur argent pour préparer chaque événement, rédiger les communiqués, le texte des banderoles et des tracts, pour consulter les textes juridiques, contacter les citoyens... Il faut rendre hommage à ces personnes déterminées, dont font partie beaucoup de femmes, pour ce qu'elles ont fait et ce qu'elles font pour la Marsa, donc pour la Tunisie, pour leur attitude exemplaire, toute à leur honneur. C'est grâce à elles et à leurs semblables dans notre pays que celui-ci n'a pas sombré et ne sombrera pas dans l'anarchie.

Winou Etrottoir

Parmi les associations de la Marsa, collaborant avec elles au sein du collectif, une ressort, parce que c'est celle qui a eu le plus d'impact, c'est Winou Etrottoir. En effet, son succès a été tel qu'elle a essaimé dans toute la Tunisie et qu'elle continue à fonctionner jusqu'à maintenant.

Winou Etrottoir (WET) s'est d'abord manifesté comme un groupe citoyen lanceur d'alerte  sur le réseau social Facebook et a été amené, en raison de son succès, d'abord à créer sa propre association, et ensuite à rédiger une charte. WET est actuellement un des groupes citoyens les plus importants sur Facebook, avec plus de 104 000 membres. Son nom est un clin d'œil au mouvement "Winou El Petrol", dont WET a détourné d'une manière humoristique le slogan.

C'est quoi au juste, Winou El Petrol ?

Pendant que la Tunisie était confrontée au terrorisme, aux grèves à répétition, à la contrebande, le Sud a été en proie en 2015 à un mouvement social quasi-insurrectionnel, qui tenait en haleine les Tunisiens, intitulé "Winou el Petrol?"  (Où est le pétrole ?), dont les participants réclamaient pour cette région délaissée par les régimes précédents l'argent prétendument issu d'un pétrole - inexistant - et montraient des velléités de sécession soutenues et entretenues par des parti(e)s désireux de profiter de la situation pour s'imposer sur la scène politique en faisant parler d'eux de cette manière.

Vu la passivité de la municipalité de La Marsa, gangrenée par la corruption et entre les mains d'une mafia, comme l'a reconnu en juin 2015 le président de la Délégation Spéciale lui-même, Winou Etrottoir se sent investi d'une mission. Ce groupe se penche sur l'état des lieux de la ville et décide de dénoncer l'occupation anarchique des trottoirs, et également tous les dépassements. Winou Etrottoir se fait le porte-parole des passants, exaspérés d'être obligés de marcher dans la rue à cause de l'occupation des trottoirs par les cafés, les restaurants, les voitures et les gravats des constructions, qui ont proliféré depuis le 14 janvier 2011. Malgré de grandes difficultés, les membres de WET préparent avec des spécialistes des dossiers comprenant des photos et des documents dans lesquels sont répertoriés les constructions anarchiques et autres abus, dossiers qui sont remis officiellement aux responsables concernés : délégué, municipalité, gouverneur, ministre de l'intérieur.

 

Logo de Winou Etrottoir

Winou Ettrotoir‎ à WINOU ETROTTOIR???... 11 novembre 2016

Que les choses soient claires. Autorisation ou pas le commerçant n'a pas le droit de construire sur le trottoir. Personne n'a le droit de s'approprier le domaine public. C'est illégal. Voir le code de l'urbanisme. Voir la loi fondamentale des communes. C'est une occupation temporaire et non une location.
Les extensions démolies sont illégales car fondées au sol. Elles ne sont donc pas légères. Le règlement des voiries n'autorise que  marquises, auvents accrochés à la façade, parasols posés au sol. De plus ces commerçants ne respectent pas le règlement des voiries,  ne respectent pas leurs environnements urbains, n'assurent en rien la sécurité des biens et des personnes, n'assurent en rien la libre circulation piétonne, y compris celles des personnes à mobilité réduite. De plus ils ont rejetés tous les avertissements lancés par leur commune respective. Ils ont fait la sourde oreille jusqu'à l'heure fatidique. Ils méritent donc la sanction de démolition.

Cette initiative a obtenu le soutien immédiat des citoyens et un succès spectaculaire dépassant toute espérance et dépassant également les frontières de la "principauté" -  comme certains Marsois désignent avec tendresse la Marsa, en référence à son passé beylical  : au départ créé pour protester contre le laxisme et la gabegie et exiger avec les autres associations l'application de la loi et la libération des trottoirs, Winou Etrottoir devient à travers sa page Facebook le déversoir non seulement pour tous les problèmes de dépassements et de constructions anarchiques, mais aussi pour d'autres problèmes et tracasseries auxquels sont confrontés les citoyens quotidiennement. On y critique l'incivilité des commerçants qui envahissent les trottoirs avec leurs chaises et leurs tables et de ceux qui y garent leur véhicule, on appelle aussi à respecter la loi et la vie en communauté , on y dénonce également la vulgarité, l'agressivité, l'égoïsme, en donnant des règles de bonne conduite dans la société.

Le couronnement de ce groupe WET et la manifestation de son engagement dans la société, c'est là aussi une charte  proposée à 13 partis.

Il est du devoir de tous de proposer des solutions concrètes, réalistes, transparentes et justes, en rapport avec les problèmes de chaque commune. C'est dans ce contexte que Winou-Etrottoir, en toute indépendance, a souhaité militer pour une charte d'engagement pour les collectivités locales, fondée sur les Principes de WET.

Cette charte est proposée à toute autre association qui s'intéresse au devenir des localités et à l'ensemble des partis politiques reconnus, sans exclusion ni exclusivité. Son contenu n'est que propositions et revendications locales. Elle engagera ses signataires pour un futur débat constructif et pour que les promesses électorales, sur l'ensemble de nos communes, soient réellement tenues et ne restent pas lettre morte... Parce que déception, abstentionnisme et populisme risquent de porter un coup fatal au processus démocratique.

 

Deux chartes ont donc été rédigées à la Marsa, et dans toutes les deux, s'expriment l'engagement citoyen contre la corruption, l'exigence de l'application de la loi et de la transparence.    

Au cours de ses actions, le Collectif des Associations de la société civile de la Marsa a par ailleurs interpellé régulièrement les autorités : le gouverneur, le délégué, les élus, la Délégation Spéciale, pour les placer devant leurs responsabilités. Il a ainsi invité le président de la Délégation Spéciale et des députés à participer à une réunion au cours de laquelle ceux-ci ont reconnu l'existence d'une "mafia" au sein de la commune.

Une autre étape dans cette mobilisation a été atteinte quand, dans le cadre de l'interpellation régulière des autorités, le collectif a pris l'initiative remarquable d'inviter Youssef Chahed, alors ministre des Affaires Locales, à venir à la Marsa écouter les doléances de la société civile, représentée en majorité par le Collectif. Ce jour-là, le 27 mai 2016, le ministre, après avoir écouté les différents intervenants, a demandé que les noms des personnes impliquées dans la "mafia" dont a parlé le Président de la Délégation Spéciale soient dévoilés et, répondant positivement aux attentes du Collectif, il s'est engagé à lutter contre la corruption. Cette promesse marque un tournant décisif dans la politique gouvernementale. Il n'est donc pas étonnant que la société civile de la Marsa n'ait pas manqué de manifester son soutien à Youssef Chahed, nommé entre temps chef du gouvernement, quand il a été attaqué pour son opération "mani polite" - opération mains propres - par les corrompus et leurs complices, en participant avec d'autres ONG au grand rassemblement organisé sur la place de la Kasbah le vendredi 26 mai 2017,  dont le slogan principal était :  "Go Jo" . 

Quel futur pour la société civile? Les élections municipales, un défi d'une grande importance historique

Le collectif a eu le mérite de mettre en avant le problème qui gangrène non seulement la Marsa, mais tout notre pays : la corruption. Il  a réussi à mobiliser les citoyens en leur faisant constater qu'une action est possible ensemble et qu'ils ont un rôle à jouer dans cette période cruciale pour la Tunisie qu'est la transition démocratique. Mais celle-ci pourrait être à tout moment remise en question si la vigilance et la mobilisation flanchent. C'est pourquoi il faut maintenant se  tenir prêt à affronter les nouveaux défis qui s'annoncent. Un défi de taille est représenté par les prochaines  élections municipales de mai 2018.

Les élections municipales auraient dû avoir lieu le 17 décembre 2017. Or, elles ont été reportées à deux reprises, au grand mécontentement des citoyens qui en ont assez des atermoiements qui contribuent à pérenniser le provisoire et à laisser traîner les choses. Ces élections municipales sont triplement importantes : d'une part en raison de la participation de la société civile, ce qui est à considérer comme un grand événement historique puisque c'est la première fois qu'il se produit en Tunisie, d'autre part parce qu'il s'agit des premières élections municipales depuis le 14 janvier 2011.  Elles sont en outre importantes parce qu'elles précèdent les prochaines élections législatives et présidentielles, et les préparent donc. Rappelons que le FIS en Algérie et le parti islamiste turc d'Erdogan ont pris le pouvoir en gagnant les élections municipales, scénario qui ne pourra être évité en Tunisie que si la société civile se mobilise de nouveau.

C'est pourquoi cela serait une grande erreur de boycotter les élections et d'appeler à ne pas y participer, comme l'ont fait certains. Par sa lutte contre la corruption et pour la défense de sa ville, la société civile a gagné sa place sur la scène politique, elle se doit maintenant de poursuivre sa lancée et de faire entendre sa voix.

Quelle attitude a été adoptée par le Collectif ?

Bien qu'il reconnaisse l'importance de ce rendez-vous électoral, le collectif n'y participe pas, mais il est d'accord néanmoins que les membres qui le souhaitent y prennent part en leur nom personnel.  Cette décision du Collectif a été prise au cours de la réunion du 23 juin 2016.

Elections municipales du 26 mars 2017

Nous devons en tant que Collectif nous préparer à cet important rendez-vous électoral. Un consensus se dessine progressivement au fur et à mesure des discussions à ce sujet sur une participation indirecte du Collectif par le biais d’un appui à une liste indépendante ou pourraient figurer des membres du Collectif.
Le travail de structuration du Collectif doit se poursuivre pour aborder les élections avec la meilleure organisation possible.
Actions : rédiger et valider les documents institutionnels du Collectif (charte, règlement intérieur, programme précis de réformes et vision d’ensemble). Elargir le Collectif à d’autres associations (associations de quartier, …). Etablir une plateforme Web interactive à partir du listing informatique des citoyens signataires de la pétition du 3 avril 2016.

Des listes issues de la société civile, des listes citoyennes ou indépendantes se présenteront donc à ces élections. La balle est dans le camp des citoyens, ils doivent prendre leurs responsabilités en soutenant ces listes pour préparer l'avenir du pays, il est de leur devoir de saisir cette opportunité de contribuer au renforcement de la transition démocratique pour s'occuper de leur ville en allant voter en masse pour elles. Il faut espérer que les citoyennes et les citoyens soient en masse au rendez-vous le 6 mai 2018!

Addenda : Résultats des élections municipales du 6 mai 2018 à la Marsa

Neuf  listes se sont présentées aux élections municipales de La Marsa, quatre partisanes: celles de Nida Tounès, d'Ennadha, de l'Union civile la Marsa et du Parti du Courant Démocratique, et quatre indépendantes, issues de la société civile : La Marsa change, Alwen El Marsa, Emel El Marsa et Houmet el Marsa. Les listes indépendantes se sont imposées et ont largement gagné les élections. C'est la liste La Marsa change qui a remporté la première place avec 11 sièges; elle est suivie de Alwen El Marsa, qui en a eu 7, Nida Tounès a obtenu 5 sièges, Ennadha 4, Amel El Marsa 2 et le parti du courant démocratique 1 seul.

Voici le tableau des résultats du vote :

Aux dernières nouvelles, les listes indépendantes se sont réunies le 14 mai 2018 et ont publié un communiqué commun signé par les têtes de liste : Slim Meherzi pour la Marsa change, Moez Bouraoui pour Alwen El Marsa et Mohamed Mehiri pour Emel El Marsa, dans lequel ceux-ci, répondant aux souhaits des Marsois, ont exprimé leur volonté de travailler ensemble pour leur ville. Le premier conseil municipal indépendant de la Marsa se réunira en principe fin juin 2018, sous la présidence de Slim Meherzi. Une belle victoire pour la société civile et pour la démocratie, qui servira certainement d'exemple pour  d'autres actions à venir en Tunisie!  


Charte

Préambule

Cette charte présente les valeurs morales et règles fondamentales qui régissent le Collectif des associations de la société civile de La Marsa. Elle vise à définir ses principes d'action et son organisation. Elle sert de référentiel aux futurs membres du Collectif. Cette charte est par essence de nature évolutive. Elle sera par conséquent enrichie au fur et à mesure que le Collectif l’estimera nécessaire. Elle peut être modifiée à l'avenir à travers les modalités communes de décision du Collectif.

Le Collectif est composé d’associations apolitiques à but non lucratif et poursuivant des objectifs d’intérêt général. Sa mission première et principale est la défense de l’Etat de droit. Son mode de fonctionnement est basé sur une prise de décision démocratique.

Définition du Collectif

Le Collectif  a été crée en juillet 2014 suite à la généralisation de graves infractions non-sanctionnées au code de l’urbanisme (prolifération des constructions sauvages, occupations abusives et illégales du domaine public (trottoirs, parkings sauvages, terrains de l’Etat, littoral), déforestation spéculative de la forêt de Gammarth, abandon du patrimoine historique).

Le Collectif est un lieu d’échange, de confrontation, de coordination et d’élaboration d’idées et d’actions en vue d’œuvrer pour la promotion de l’Etat de droit, de la bonne gouvernance et de la démocratie locale et participative qui favorise une citoyenneté active et responsable.

Le Collectif adhère aux valeurs de dignité humaine, de justice, de paix, d'égalité, de transparence et de démocratie. Ces valeurs sont à la base des droits humains reconnus par les Nations unies.

Les associations membres du Collectif travaillent dans des domaines très divers à l’émergence d’une société solidaire, participative et durable. Elles constatent que, malgré cette diversité, elles adhèrent aux principes communs suivants :

  • Le Collectif est non confessionnel, non gouvernemental et non partisan. Il ne s’immisce pas dans les luttes politiques locales ou nationales. D’ailleurs, les partis politiques ne peuvent pas faire partie du Collectif.
  • Le Collectif milite pour la démocratie participative, celle qui place les citoyens au centre de l’activité civique et politique de la ville. Il contribue à la promotion des droits démocratiques des citoyennes et des citoyens.
  • Le Collectif milite activement pour la gestion transparente des affaires de la Ville par le bais de la bonne gouvernance à tous les niveaux de la municipalité.

Amina Arfaoui, universitaire
Membre de la liste citoyenne de la Marsa change,
candidate aux élections municipales de mai 2018 sur cette même liste