Opinions - 19.03.2018

«On ne naît pas femme, on le devient» (Simone de BEAUVOIR).

«On ne naît pas femme, on le devient» (Simone de BEAUVOIR).

La vie totalement bouleversée des femmes d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle du XIXème siècle. Dans les années 60-70, on parlait de la "Condition féminine" et non des Droits des Femmes. On désignait ainsi la manière dont les femmes s'inscrivaient dans les représentations et les réalités de sociétés conduites par les hommes, et la place que leur réservaient les lois, les moeurs, les mentalités, les cultures et les religions dans la société et dans le monde. La condition féminine était un aspect d’une civilisation dans laquelle, les femmes "en condition" jouaient en contrepoint des partitions inventées et dirigées par les hommes. Aujourd’hui on considère que même si en apparence, le but primaire du mouvement féministe était louable, il a eu beaucoup de conséquences à rebours qui semblent être passées inaperçues pour la plupart des gens, si tant est qu’il reposait sur certains fondamentaux erronés. Simone de Beauvoir déclarait dans l’un de ses écrits : « On ne naît pas femme, on le devient ». Elle aurait pu ajouter qu’il faut aussi le vouloir. Femmes et hommes sont différents, c’est une réalité. Ils ne possèdent pas la même vision des choses, et cela entraine souvent des incompréhensions qui peuvent s’avérer fatals dans les rapports de genre. Selon une étude parue dans le Monde en 2011 et 2012, l'environnement économique et financier mondial est en grande partie dominé par des hommes, ce qui serait un facteur de tensions et générateur d’une propension à la survenance de crises et de conflits. Aussi pourrait-on considérer qu’un environnement plus féminin serait probablement plus apaisé, plus orienté vers le long terme que le court terme, un secteur plus conscient de la limitation des ressources et qui accorderait une importance plus adéquate à l'éducation, même si cet environnement devait s’avérer moins ludique et plus prudent et plus pragmatique. Mais il n’est pas sûr que le principe de la discrimination positive soit la solution, considérant que toute discrimination, même positive, contient en elle les germes d'une inégalité et constitue en soi une transgression, quand bien même autorisée, des règles. Pourtant, nous voyons bien qu'une trop grande masculinisation peut aboutir à des situations de crise.

À l'évidence, davantage de femmes dans les instances de décision aurait un impact fondamental sur la gouvernance des institutions et sur leur devenir pérenne. Mais les femmes doivent gagner ce droit d’accès, non pas parce qu’elles sont seulement femmes, non pas parce qu’une loi fondamentale a imposé un principe de parité, mais parce qu’au-delà de ces aspects, elles sont compétentes au poste auquel elles sont candidates. Ce ne serait, finalement qu’un juste retour des choses que s’applique dans ce domaine le principe d’égalité des chances. En effet, la psychologie sociale a toujours fait l’erreur d’utiliser l’homme comme norme de référence pour inférioriser la femme et l’emprisonner dans des rôles subalternes limités. Et même si le culturalisme et le féminisme ont fourni des efforts importants pour éliminer le sexisme et la discrimination sexuelle, il serait tout aussi erroné de croire que ces deux genres sont identiques. L’homme et la femme sont égaux, certes, mais ils sont différents, qualitativement et non quantitativement. Il serait alors illusoire, et tout à fait anti-scientifique, de croire que les différences génétiques, morphologiques, physiologiques, anatomiques et cérébrales ne se manifestent pas et n’influencent pas le comportement de l’homme et de la femme. Mais ce qui par contre est antisocial et discriminatoire c’est le fait d’établir fortuitement et de manière arbitraire la suprématie de l’un sur l’autre fondée sur une instrumentalisation péjorative et politique de ces différences.

Une confusion des rôles

Le diktat de la parité a engendré dans son sillage une confusion des rôles, une perte des repères psychologiques et sociaux. D’un point de vue identitaire, chaque individu a besoin de se différencier pour mieux se connaître, se construire, exister, s’enrichir, s’affirmer, aimer, agir, décider, … Aujourd’hui, alors que la démocratie demande du semblable et de l’égal, une forte demande de différenciation s’exprime, qui implique de réaffirmer sa propre identité et son originalité et de repenser les relations entre les genres dans une optique de collaboration et de coopération, dans la société pour mieux vivre ensemble. Tous les repères sociaux, psychologiques et familiaux ont, en effet, subi le contrecoup de la course pour l’égalité des droits, au mépris de la différenciation qui fonde l’humanité et pourrait être facteur de progrès s’ils étaient restaurés.

L’histoire de l’humanité fournit une description assez floue du rôle de la femme dans la société. Dans certains cas, un rôle dominant, alors que la plupart du temps, dans l’histoire et dans beaucoup de cultures, un rôle de seconde classe faisant même d’elle, à l’autre extrême, un vulgaire bien dans un cheptel. Il n'est donc pas rare, même dans un système laïc, que la présence de la femme soit oubliée et/ou que son rôle dans le monde soit minimisé. De même, la promotion sociale de la femme est traitée, d'ordinaire simplement comme présence de femmes dans la vie publique. Des concepts comme développement, maturité, émancipation, de la femme, sont utilisés pour signifier une prétention d'égalité, d'uniformité, par rapport à l'homme conçus comme simple imitation du comportement masculin. Or s’il ne s’agissait que de cela, ce ne serait point là un succès de la cause féminine, mais bien plutôt un recul pour la Femme, non pas parce qu'elle est mieux ou moins bien que l'homme mais parce qu'elle est différente. Ainsi le militantisme féministe qui se fonde sur ces revendications mimétiques dessert, plutôt qu’il ne sert la cause de la femme et sa situation dans le monde.

Quel rôle de la femme dans la société

Ces changements, parce qu’étant actuellement des évidences, sont difficiles à mesurer en termes d’opportunité. Au départ, dus aux luttes menées pendant plus d’un siècle par les féministes pour l’amélioration de leurs droits et de leur rôle dans la société, ils sont en récession et beaucoup de progrès restent à faire dans de nombreux domaines pour que cette égalité des genres soit vécue comme un phénomène naturel ordinaire. Mais il semblerait que nous n’en sommes pas encore là puisque, bien qu’il y ait des femmes influentes dans le monde, presque partout les femmes restent minoritaires que ce soit en politique et/ou dans les postes clés de décision. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas limité à la politique seulement, puisque les femmes sont peu représentées dans toutes les positions dirigeantes, aussi bien dans l’entreprise que dans la vie publique. Les femmes seraient enfermées sous un plafond de verre (glass ceiling), qui les empêche de parvenir au sommet selon Esther Duflo, (« femme et le plafond de verre », Libération, 27 novembre 2006). Les inégalités persistent dans différents domaines, politique, éducatif et professionnel. Si les femmes réussissent plus, elles sont encore trop peu nombreuses dans les filières scientifiques et techniques alors qu’elles continuent de représenter la moitié de la population active, notamment dans le secteur tertiaire. Au travail, les femmes continuent encore de souffrir de discrimination dans la progression de leur carrière et d’une inégalité salariale, du chômage et du sous-emploi, ou encore de la segmentation du marché du travail. Si elles sont moins représentées dans le monde politique, ce serait dû au fait que les stéréotypes du maintien des rôles traditionnels (tâches ménagères, éducation des enfants, filières masculine ou féminine, …) ont la vie dure et parfois même, on assiste par endroit, à un retour du sexisme et du machisme dans les rapports inter-genres, lesquels sont autant l’apanage des hommes que des femmes. Les charges familiales restent pour l’essentiel des cas réservées aux femmes et pèsent sur leur activité. Devant cette impasse, c’est à l’Etat que revient la tâche de lever les obstacles qui empêchent les femmes de progresser ou d'accéder au marché du travail dans les meilleures conditions, sans toutefois intervenir dans la sphère privée des personnes. Ces situations sont dénoncées, généralement, par les différentes associations, qui les perçoivent comme des violences psychologiques manifestes faites aux femmes dans l’accomplissement de leur rôle sociétal.

Au niveau de la nature d’humanité, qui doit trouver sa reconnaissance juridique, il est clair qu'on peut et doit parler d'égalité des droits car la femme possède, exactement au même titre que l'homme, la dignité de personne Humaine à part entière et donc les mêmes droits, tant civils et politiques, qu’économiques, sociaux et culturels. Mais, à partir de cette égalité fondamentale, chacun des genres doit réaliser en lui-même ce qui lui est propre et sur ce plan affirmer une possibilité réelle de développer entièrement ses virtualités propres, que chacun possède en tant qu'individu masculin ou féminin, ce que résume le mot émancipation. L'égalité devant le droit, l'égalité quant aux chances devant la loi, ne suppriment pas, mais doivent plutôt supposer, confirmer et favoriser cette diversité, qui est richesse pour tous. La femme est appelée à donner à la famille, à la société civile, à l’Etat, ce qui lui est caractéristique, ce qui lui est propre et qu'elle est seule à pouvoir donner : générosité, résilience et humanité infatigable, finesse d'esprit et de jugement, faculté d'intuition et d’intelligence, ténacité et courage, … apports irremplaçables à incorporer à la vie en société. Pour accomplir cette mission, la femme doit développer sa propre individualité, sans se laisser naïvement séduire par un esprit d'imitation qui, en général, la mettrait en infériorité, la réduirait à un état de dépendance et laisserait s'atrophier ses possibilités les plus originales au nom d’un féminisme politique usurpateur. Si la femme reçoit une bonne formation, dans une recherche d'autonomie personnelle, d'authenticité, elle réalisera efficacement sa tâche, la mission à laquelle elle se sent appelée, quelle qu'elle soit. Sa vie et son travail seront alors réellement constructifs et féconds, chargés de sens. Chacune dans sa propre voie, en étant fidèle à sa vocation humaine et sociale, peut atteindre de fait l'épanouissement de sa personnalité tout en accédant aux sommets.

Si tout cela n'est pas difficile à admettre en théorie, si l'on considère les raisons sociologiques évidentes, cela rencontre, de fait, la résistance d’esprits rétrogrades et complexés. Souvenons-nous encore de l'étonnement, voire du blâme, que suscitait le fait que la société encourageait les femmes, à gravir les grades académiques dans les sciences. Néanmoins ces résistances et ces réticences sont appelées à s’estomper petit à petit avec le temps. Car au fond, il ne s'agit que d'un problème de compréhension pour se rendre compte que hommes et femmes ont une même mission à remplir et une responsabilité analogue à assumer dans le monde. Cependant, l'égalité juridique essentielle entre l'homme et la femme demande, non pas une confusion des genres, mais précisément de saisir à la fois le rôle complémentaire de l'un et de l'autre dans l'édification de l’Etat et dans le progrès de la société. Cette diversité doit être comprise, non pas dans un sens patriarcal ou matriarcal, mais dans toute sa profondeur, riche de nuances et de conséquences, et qui évite à l'homme la tentation de masculiniser l'État et la société, et à la femme de concevoir sa mission dans le monde, comme une croisade ou une simple revendication mimétique de tâches que, seul l'homme accomplissait jusqu'à une certaine époque et qu'elle peut tout aussi bien remplir. L'homme et la femme doivent donc se sentir, autant l'un que l'autre, et justement, les protagonistes de l'histoire, mais de façon complémentaire et non concurrentielle.

Nous constatons d’ailleurs, lorsque nous établissons une comparaison entre homme et femme vivant dans des conditions socioculturelles et politiques identiques, qu'il est difficile de les distinguer l'un de l'autre quant à leur rôle. Il n'est aucunement vrai qu'une telle comparaison nous conduirait à trouver que la conscience qu'a l'homme de la question socioculturelle et politique est plus développée que celle de la femme. Au contraire, il est possible, en observant certains éléments internes ou externes distinctifs, de trouver des exemples multiples, actuels et passés, de la supériorité de la femme, par rapport à l'homme, en matière de fécondité de la pensée, de profondeur des connaissances de clarté des vues et de lucidité. Cela est manifeste dans certaines expériences historiques où certaines femmes ont pu affirmer leurs rôles actifs et leurs attitudes stables et fondées sur les règles de la pensée cohérente et rationnelle, qui ont fait faire à l’humanité des avancées considérables, tant sur le plan politique que scientifique, sociologique, économique et autres. Leurs attitudes témoignent d'une ouverture sur les grandes causes qui ont animé leurs existences et donné de la vigueur au mouvement de leur conscience, à leur sens de la responsabilité et à leurs confrontations avec les défis qui les entouraient dans le domaine public. Ainsi, il n’est pas du tout impossible de trouver un fondement naturel rationnel pour l'établissement, d'une égalité entre les femmes et les hommes sans que l’on ait besoin d’artifices législatifs pour l’affirmer et la faire valoir. C’est d’autant plus vrai que le fait d’inclure le principe d’égalité homme/femme dans des textes juridiques spécifiques serait une affirmation a contrario de l’infériorité sociétale de la femme et du caractère fictionnel de cette égalité. On pourrait se faire l’avocat du diable et déclarer que si la femme était l’égale de l’Homme, pourquoi des Conventions internationales, pourquoi la Constitution, pourquoi une règlementation spécifique pour l’affirmer. Ce serait comme enfoncer des portes ouvertes. Les slogans militants du féminisme ont fait leur temps et il faudrait passer maintenant à une autre forme de discours pour parler d’égalité entre les individus sans précision de genre même quand il s’agit de femmes.

Il ressort de tout cela que, en raison de la sclérose des esprits masculins et du militantisme dépassé du féminisme, la femme moderne a la mission impossible d’être belle, douce, réceptive, aimante, épouse, mère et, dans le même temps, professionnellement l'égale de l'homme et somme toute la réussissent bien. Le défi d'aujourd'hui est pour la femme d'être à la fois féminine, tout en alliant des qualités masculines. La libération de la femme des années 60-70 était bien sûr une étape nécessaire, mais somme toute insuffisante puisqu’elle continue d’évoluer pour peu à peu ressembler à l'homme tant d’un point de vue vestimentaire que dans ses attitudes. Elle peut être dure, est ambitieuse, souvent pressée, stressée et ce faisant elle perd sa spécificité de femme et va à l'encontre de ce qu'elle est réellement. Elle se retrouve dans la situation de la fable du corbeau et de la colombe : Le corbeau n’était pas satisfait de sa démarche et jalousait la colombe qui marchait de belle façon. Le corbeau décida donc d’imiter la colombe. Il essaya alors de marcher comme elle pensant qu’il allait lui ressembler et finalement n’y parvint pas. En désespoir de cause, il essaya, de retrouver sa propre manière de marcher mais n’y arriva pas, ayant oublié comment il marchait auparavant. Finalement, il fut réduit à marcher n’importe comment, ayant perdu sa démarche originale de corbeau.

Etre femme en 2018

La femme doit donc retrouver, écouter et comprendre le féminin qui est en elle et qui est son principal atout. Loin d’être faiblesse et soumission, le féminin ne réside pas dans le fait d'avoir un physique de star ou une sentimentalité exacerbée, mais dans la force, la détermination, la confiance et la considération qu'elle peut avoir pour elle-même. Etre femme est aussi sensibilité, intuition, prémonition, irrationalité nécessaire et mystère. L’homme n’est que le résultat de ce qu’est la femme, ce qui lui fait endosser une immense responsabilité pour sauver l’humanité. Les États et les institutions internationales, doivent donc dépasser le simple discours diplomatique et faire ce qu’il faut pour donner aux femmes le plein respect de leur dignité et de leur rôle sociétal.

Etre femme en 2018, c’est d’abord considérer comme normal le fait d'avoir des droits et être libre. C’est ensuite être qui elles sont ou veulent être et avoir une chance de se développer et d'être vraiment heureuses. C’est enfin ne pas attendre d’un quelconque mouvement politique, masculin ou féminin, une permission de les exercer. Plus de deux siècles de féminisme politique n’a pu véhiculer qu’une réponse stéréotypée partielle, déformée et inachevée, à cette interrogation et à une prise de conscience du risque pour la femme de perdre sa féminité comme affirmation de la singularité de sa nature et le besoin de la reconnaitre comme un espace intérieur. L’échec des mouvements féministes a conduit à voir se façonner une « nouvelle femme » qui émerge, en donnant à chaque stade une définition mouvante de ce qu’est le féminin, libéré des schémas et modèles dont il est issu. La modernité est le produit d'un effort constant pour s'arracher aux traditions, aux hiérarchies arbitraires, aux croyances obscures, en maintenant un idéal de progrès des connaissances, des techniques et des rapports sociaux. Moderne, la femme l'est d'abord par son histoire qui s'inscrit dans la conjoncture politique d'une démocratie dont elle épouse les contours et en exploite les failles.Identifier la femme comme espoir de la Tunisie, dans un contexte où ce pays confronté à la fois aux tensions politiques et économiques, aux poussées endémiques consisterait à poser l’hypothèse que la femme serait la réponse, à la problématique du désastre actuel.

En ceci, les difficultés d’évaluation du rôle de la femme dans le changement social semblent se déterminer. De fait, même si la femme est en mouvement continu, en quête de satisfaction des besoins de son unité sociale, son action est paradoxalement invisible, non seulement parce qu’elle ne comporte pas de rentabilité économique marquante, mais aussi parce que la femme est encore aujourd’hui culturellement perçue davantage comme un produit dont l’homme est le producteur.

Le milieu urbain, vecteur de pratiques syncrétiques, laisse, en apparence, davantage d’autonomie et de pouvoir aux femmes. Un des signes en est la possibilité, pour certaines d’entre elles, d’occuper des espaces politiques ou économiques importants. Mais généralement ces femmes sont affiliées à une quelconque formation sociale rigoureusement hiérarchisée dans laquelle son statut de personne est subordonné à celui de l’homme. La femme, en matière d’accès aux droits octroyés, est contentée d’attribut de simple usufruitière. On constate que la femme, dans ces domaines, est entravée dans ses potentialités d’actrice sociétale par des pesanteurs qui marquent le caractère improvisé du dispositif normatif de l’ordonnancement juridique. Ces considérations ne dispensent pas de penser les femmes, comme actrices incontournables dans les projets de développement de l’Etat. Ce sont des actrices contrariées, qui ont des besoins spécifiques différents de ceux des hommes, mais qui ne gagnent pas à être identifiées en opposition constante avec les hommes. A cet effet, l’appréciation de l’homme et de la femme comme sujets d’information et de sensibilisation est pertinente pour les effets principalement bénéfiques à cette dernière. Il est déductible que l’homme et la femme en étant sujets ou acteurs, peuvent être des instruments de progrès pour le groupe entier. Autant il importe de ne pas discréditer le statut de l’homme, autant il importe de reconnaître celui de la femme, en le revalorisant, en lui restituant sa qualité d’acteur et tout simplement de personne. Une telle détermination porte à penser que les activités sociétales de la femme ne doivent pas être uniquement circonscrites en termes d’opposition à celles de l’homme, mais sous l’angle d’une complémentarité différenciée ; activités dont la dynamique, pour dépasser une portée paradigmatique improductive, doivent être insérées dans une politique gouvernementale, cohérente de gestion des biens et des personnes.

Les mouvements féministes ont eu au moins le mérite de mettre en lumière un besoin profond et fondamental de s’exprimer et de se faire entendre dans une société encore trop largement dominée par les hommes. Ils devraient servir de rappel à l’ordre général, pour que, toutes les institutions, toutes les entreprises, tous les employeurs, tous les collaborateurs, examinent sérieusement leur position sur le sujet et rectifient ce qui doit l’être. Les disparités de salaires entre hommes et femmes, l’accès des femmes aux postes de direction, le sexisme ordinaire, mais aussi le harcèlement. Nous ne saurions, au sein de notre société, nous dispenser d’agir dans ce sens. D’ailleurs, la Tunisie s’est déjà donnée pour objectif d’attirer davantage de femmes vers les carrières politiques, diplomatiques, économiques et scientifiques en adhérant à ce principe universel d’égalité et de non-discrimination. Il est indéniable que les buts que chacun se fixe à titre individuel sont essentiels mais ils ne sauraient suffire et doivent être rejoints par ceux définis à titre collectif pour porter. Nous avons besoin d’un changement culturel et mental plus global pour passer d’une simple politique de non-discrimination affirmée, à une inclusion réelle dans la nature des choses.

La non-discrimination est bien évidemment la première étape, et elle est cruciale. Il faut éradiquer le sexisme et la misogynie au niveau sociétal ou toute autre forme d’exclusion, de racisme, d’homophobie ou de discrimination fondée sur les critères les plus divers de redéfinition de la haine des autres. Tout comportement relevant de ces catégories doit être traité en appliquant une politique de tolérance zéro et plus avant de condamnation catégorique. C’est un combat permanent à mener, si nous voulons créer un environnement social dans lequel les gens se sentent tous traités sur un pied d’égalité, comme partie d’un tout cohérent et transcendant. La deuxième étape, après la non-discrimination, est la diversité. Les institutions doivent être aussi riches et diverses que la société elle-même, en termes de genre, d’âge, d’origine ethnique, d’origine sociale, de cursus, de religion, d’orientation sexuelle, mais aussi de compétences, de pratiques professionnelles, de façons de communiquer, etc. Non-discrimination et diversité sont des questions importantes qui doivent être abordées, tout en poursuivant comme troisième but l’inclusion, autrement dit la capacité pour une organisation d’apprécier et d’intégrer tous les profils à leur juste valeur et à leur bonne place pour leur permettre de contribuer à la réussite collective. En d’autres termes, il faut que les individus se sentent libres d’être eux-mêmes en toutes circonstances. L’inclusion est essentielle car elle permet d’éviter trois écueils que sont, l’assimilation comme idée que tout le monde doit se conformer à la culture dominante, l’intégration c’est-à-dire la coexistence de différents sous-groupes qui ne seront jamais totalement inclus, et l’exclusion. Il faut avant tout renoncer définitivement à l’assimilation des femmes comme façon de leur faire sentir qu’elles doivent adopter les codes masculins dominants pour être acceptées comme des pairs à part entière au sein des institutions. Cette nécessité de « se comporter comme les hommes » est insidieuse. Ce qui est sous-entendu ici c’est que, le fait qu’il faille assimiler dans son intégralité le comportement masculin pour réussir, est un stéréotype qui exclut les femmes, mais aussi les hommes, qui ne correspondent pas à la norme perçue. L’assimilation doit être abandonnée, pour nous tourner vers la véritable inclusion sociétale des potentialités et des compétences. Celle-ci pourra être possible quand le genre ne sera plus un problème, qu’il ne sera plus le filtre à travers lequel on évalue les individus, quand tout le monde pourra trouver l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, hommes et femmes. Cela veut dire concrètement : ouvrir des crèches ou des garderies, éviter les réunions au-delà d’une certaine heure, ne pas exiger des personnes qu’elles soient disponibles à tout moment, ne pas donner aux femmes le sentiment qu’elles doivent se justifier pour le nombre d’enfants qu’elles ont ou qu’elles pourraient encore désirer, quand elles postulent pour un poste, donner un congé parental aux hommes comme aux femmes qui le demandent.

Il en est du genre comme de toutes les formes de diversité qui imposent de ne pas ranger les individus dans des catégories, de ne pas les réduire à un ensemble de caractéristiques, mais au contraire d’apprécier toutes les différences qu’ils présentent comme des opportunités d’enrichissement potentiel. Le tout est de trouver et maintenir un juste équilibre entre l’unicité de chaque individu et la nécessité de créer un sentiment d’appartenance, l’adhésion et de cohésion à des valeurs et à des objectifs communs. La diversité et l’inclusion sont des accélérateurs prometteurs d’innovation et de performance. Le fait de permettre à des individus d’être eux-mêmes, de les apprécier pour ce qu’ils sont et de les respecter en tant que tels, produit des collaborateurs, des dirigeants et des décideurs extrêmement motivés. Ensuite, un Etat et des institutions dont la culture n’intègre pas les principes de diversité et d’inclusion, risquent de voir les meilleurs talents partir ailleurs. Et enfin, permettre aux personnes d’apporter leurs différents points de vue, qu’ils découlent de leur origine, de leurs études ou de leur expérience, est le seul moyen de dépasser les préjugés et les conventions, les erreurs du sens commun et d’avoir une réflexion créative qui sort des schémas établis, d’anticiper les tendances futures et, en fin de compte, d’innover. C’est absolument essentiel pour tout projet global d’avenir qui veut conserver une longueur d’avance et une vision prospective.

Nous devons mobiliser l’ensemble des potentialités, pour maitriser et avoir un impact réel sur notre performance globale. Nous devons aussi être capables de parler ouvertement, honnêtement et sans tabous de ces sujets dérangeants pour nous assurer que les femmes et les hommes sachent qu’ils seront écoutés, que la discrimination, le harcèlement et le sexisme ne seront pas laissés sans suite. Si nous voulons vraiment changer les choses en société, nous devons faire en sorte que tous, quels
qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, soient entendus en toutes circonstances, qu’ils sachent que leur point de vue compte, qu’ils peuvent être eux-mêmes et se réaliser dans les mêmes conditions et perspectives. Alors seulement, nous pourrons dire que nous avons créé un environnement social réellement inclusif pour tous et que nous avons réussi notre transition démocratique.

Monji Ben Raies
Universitaire,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar,

Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis.