News - 01.03.2018

Samir Marrakchi : Témoignage sur l’historique et la naissance du capital investissement en Tunisie

Samir Marrakchi :  Témoignage sur l’historique et la naissance du capital investissement en Tunisie

Il y a 28 ans jour pour jour et exactement le premier mars 1990 j’ai été appelé à diriger la SPPI première société de capital risque tunisienne, maghrébine et arabe.

Cette société a été créée par l’ensemble des banques tunisiennes, à l’exception de la BFT, et sur recommandation du gouverneur de la BCT à un moment où les banques étaient critiquées par les entrepreneurs et les PME pour leur frilosité et leur manque d’engagement dans le soutien et l’accompagnement des entreprises.

Sachant qu’aucune étude préalable n’a été faite en vue de mieux comprendre le concept du capital investissement ni d’évaluation des chances de sa réussite dans l’environnement institutionnel, financier et entrepreunariel existant,  j’ai démarré cette aventure avec une société dotée de moyens financiers limités de 5,5 millions de dinars collectés auprès de 17 banques.

A la sortie de mon premier conseil d’administration ou l’ensemble des banques actionnaires étaient représentées par leurs premiers responsables (12 administrateurs et 5 observateurs), plusieurs dirigeants des banques privées qui avaient plus de liberté de parole m’ont déclaré qu’ils n’avaient pas adhéré au projet par conviction mais plutôt par convenance pour répondre aux appels de l’autorité monétaire et par conséquent ils ont d’ores et déjà provisionné leurs participations. J’ai même reçu des propositions pour un poste de direction générale dans ces banques ou leurs filiales financières.

J’ai constaté ultérieurement lors de mes démarches auprès des autorités financières que le ministère des finances n’était pas convaincu de l’intérêt de cette institution et je me rappelle que le secrétaire d’Etat aux finances, qui était PDG d’une banque nationale ayant souscrit au capital de la SPPI sous sa présidence, m’a répondu un jour que je devrais prendre mon courage à deux mains et déclarer que cette institution n’était pas viable.

C’est avec ce manque d’intérêt de la part des actionnaires et du ministère des finances ainsi qu’un environnement peu favorable ou le crédit était, pour certaines activités ,bonifié par l’Etat, j’ai entamé un vrai parcours de combattant, armé uniquement de ma volonté de réussir à lever le défi et le dynamisme que me procurait ma jeunesse.

Avec une toute petite équipe de jeunes cadres motivés nous avions fait un grand travail de sensibilisation auprès de l’administration, des chefs d’entreprises, des promoteurs et des institutions internationales de financement et en même temps nous avions fait avancer le concept et travaillé pour asseoir les bases d’un capital risque conforme aux meilleures pratiques internationales et ce selon l’avis même d’un grand expert et ancien président de l’AFIC délégué par l’Union européenne. L’ensemble de la démarche d’assimilation et d’adaptation du processus d’intervention en capital  investissement a été conduit par de jeunes compétences tunisiennes sans aucune assistance étrangère. Nous avions même reçu en formation le responsable de la cellule capital risque d’une grande banque européenne ,d’une banque égyptienne et autre jordanienne.

Un programme et une stratégie de développement de la société ont été mis en place avec le passage à une structure décisionnelle plus souple et adaptée aux besoins de la société et des moyens financiers plus importants qui seraient levés auprès d’un noyau dur de banques locales et d’institutions financières européennes .le conseil d’administration réuni pour se prononcer sur le programme l’a approuvé dans son ensemble et s’est joint aux institutions financières européennes qui conditionnaient leur intervention par la promulgation d’un cadre juridique spécifique aux sociétés de capital investissement au lieu de celui d’une SICAF qui a servi pour la création de la SPPI.

Ayant constaté que malgré tous ces efforts, l’autorité de tutelle ne semblait pas pressée de préparer une loi régissant les sociétés de capital risque malgré le soutien financier convenu avec nos futurs partenaire financiers,  j’ai présenté par écrit ma démission à la fin de 1994 en rappelant tout le travail fait et les accords de principe obtenus pour donner à l’institution les moyens de ses objectifs et que mon successeur pourrait appliquer dés la promulgation de la loi exigée par les bailleurs de fonds nationaux et européens.

C’est cette démission qui a eu un effet déclencheur et a permis en quelques mois de débloquer la situation avec la parution de la nouvelle loi sur les sociétés de capital investissement donnant ainsi à la SPPI un nouveau départ qui réussie pendant sept ans d’investissement à soutenir et accompagner la création et le développement d’une cinquantaines de PME dont quatre sont cotées en bourse.

L’expérience vécue de la SPPI et la dynamique créée par la nouvelle loi ont incité les banques actionnaires de la SPPI à créer leurs propres structures de capital investissement et inciter d’autres investisseurs privés à se doter également de leur propre outil de capital investissement.

Mais malgré tous les aléas et la remise en question par chaque loi des finances de certains avantages accordés pour contre balancer les risques encourus, le capital investissement a progressé en volume et en qualité avec des dizaines d’opérateurs qui contribuent à l’investissement et la création de valeurs.

Ce témoignage je le porte à la connaissance de la jeunesse qui veut innover et se battre contre le conservatisme et les situations de rente en leur rappelant que tout s’arrache et rien ne saurait les décourager tant qu’ils sont animés par la règle des trois V, a savoir la Volonté ,une vision et la création permanente de Valeurs.

Samir Marrakchi