News - 09.02.2018

Khadija T. Moalla: Carte postale, bons baisers du Caire Nez à nez avec un salafiste!

Khadija T. Moalla: Carte postale, bons baisers du Caire Nez à nez avec un salafiste!

Vous ne devinerez jamais dans quel lieu je suis tombée nez à nez avec un salafiste: dans un salon de massage! En y entrant ce matin-là, je vois un homme assis sur le canapé de la salle d’attente, une longue barbe anarchique lui cache la poitrine, une longue djellaba grise et des sandales en plein hiver. Il ressemblait étrangement à ces innombrables visages dont les services hollywoodiens de Daech n’ont pas arrêté de nous bombarder quotidiennement, visages sans vie, brandissant leur bannière de mort noire, criminels de guerre sans foi ni loi. Je ne m’y attendais tellement pas, qu’instinctivement et profitant qu’il soit allé au comptoir pour payer sa séance de massage, j’ai pris mon téléphone pour le prendre en photo. Mais tout de suite, je me suis ressaisie en pensant que je ne devais pas me permettre d’enfreindre son droit à l’image! Je me suis surprise à rire de moi-même en pensant à ma naïveté. Au moment où je réfléchissais aux droits de ce salafiste, il n’aurait aucun mal à me faire exploser la cervelle si un jour ma tête ne lui plaisait pas! Bien entendu, je pense que toute personne est libre de faire ce que bon lui semble, mais la scène de ce monsieur, dans ce lieu insolite, avait quelque chose de surréaliste et d’anachronique. Comment cet homme venu d’un autre âge et vêtu d’une autre époque, rêvant d’instaurer le Califat, pourrait-il justifier de se faire masser par une femme qu’il ne connaît pas? Comment cet homme, dont l’idéologie prône la tristesse, qui combat l’art, la beauté, l’esthétique, bref qui prêche la mort et la légitimité de tuer, pourrait-il se permettre d’expliquer pareil comportement, sans que cela ne soit contraire à cette même religion qu’il prône?

Tout en attendant mon tour, mon esprit s’est envolé vers un souvenir vieux de plus de 7 ans, quand l’une des premières choses que les salafistes ont faites, juste après la révolution tunisienne, c’était de brûler les maisons closes qui étaient légales dans 14 gouvernorats et d’en chasser les locataires. L’une d’entre elles, en sortant, s’était adressée à l’un des salafistes pyromanes, en criant: «Mais n’es-tu pas l’un de mes clients assidus, pourquoi viens-tu brûler mon lieu de travail, qu’y gagnes-tu?». Et je me suis mise à penser que nous vivons dans un monde schizophrène où l’hypocrisie est érigée en art de vivre! Les fondamentalistes qui prônent une culture de mort dans les mosquées, à la télévision et sur les médias sociaux, qui tuent au nom de la religion, n’ont en fait qu’un rêve en tête, qu’une obsession: le nombre de vierges auxquelles ils pensent avoir droit en enfer, car je doute qu’aucun paradis de service accepte de les recevoir, une fois qu’ils auront tué tellement d’innocents pour y accéder!

L’hypocrisie réside aussi dans ces sociétés qui dénigrent le travail du sexe, exercé par certaines femmes qui choisissent ou qui ont été forcées de le faire pour subvenir aux besoins de leur famille, dans leur pays, ou à l’étranger. Je trouve pour ma part indécent que leurs familles soient heureuses de vivre grâce à  leur salaire mais qui se permettent de les juger en même temps. Tout aussi indécent que l’Etat soit satisfait de recevoir les devises de leurs salaires, mais qui ne fait rien pour les protéger à l’étranger, quand elles souffrent d’abus. C’est un métier dont toute la société profite, ce qui inclut les 8 500 clients par jour, mariés ou pas, qui avaient l’habitude de visiter ces 14 maisons closes (avant qu’elles ne soient incendiées, à l’exception de deux encore ouvertes à Tunis et à Sousse). Mais c’est aussi un métier qui embarrasse tout le monde, même les femmes qui l’exercent, car elles vivent dans la terreur que leurs enfants apprennent la provenance de l’argent qui paie leurs études ou ce téléphone qu’ils rêvent de posséder et que leur maman ou grande sœur ont tout sacrifié, et surtout leur estime de soi, pour le leur offrir. Arrêtons cette hypocrisie qui ne nous honore pas car dénuée de compassion et de solidarité. En tant que société, supposée être responsable de nos concitoyennes, nous devons soit offrir aux femmes qui le demandent un travail différent, ou pour celles qui choisissent de continuer à l’exercer, ne nous permettons pas de les juger car nous ne savons pas ce que nous aurions fait à leur place si nous étions passés par les mêmes conditions. Soudain, une voix me ramène à la réalité, car c’était mon tour et en y allant, je ne pouvais  m’empêcher de penser à la chance que j’ai, car mon salafiste a préféré se faire masser au lieu de tirer sa kalachnikov pour m’envoyer dans l’au-delà! D’autres que moi n’ont pas eu cette chance le jour où ils ou elles sont tombés nez à nez avec ces énergumènes! Mes pensées vont à toutes les familles de victimes dont la vie a basculé, le jour fatidique où leur proches ont fait pareille rencontre affreusement tragique.

Pour ces fondamentalistes, nous sommes toutes et tous coupables jusqu’à preuve du contraire et, par conséquent, nous sommes tous en liberté provisoire!

K.T.M