Opinions - 19.01.2018

« Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol » (Hegel)

« Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol » (Hegel)

La fatalité de Janvier a encore frappé la Tunisie, comme un mauvais sort de l’histoire.

La Tunisie n’est pas un pays comme les autres. Elle est unique et ne peut se voir greffer des modèles importés d’ailleurs. C’est une entité à part qui n’a rien d’ordinaire et qui vit en chacun de nous. Ce qu’a connu la Tunisie au cours de son histoire, ce qu’a vécu sa population au gré des civilisations qu’elle a côtoyé, l’a rendue supérieure et toujours plus forte et rien ni personne ne pourra ébranler cette forteresse qu’elle est devenue. Après les Phéniciens, après les Romains, les Vandales, les francs, les Turcs, les Français, ce ne sont pas quelques usuriers de la finance internationale et leurs vassaux qui arriveront à plier ce bastion. Rappelons-nous Massada ! La Tunisie est l’âme d’un peuple plus qu’un Pays et sa population n’acceptera pas de la vendre pour tout l’or du monde.

La Tunisie, sous le joug permanent et antidémocratique de l’état d’urgence, depuis 2015, vit aujourd’hui une révolte issue des mêmes causes que celles qui ont induit la flamme de la contestation du ‘’Printemps tunisien’’. Comme en 1984, c’est une loi qui, en incarnant la politique libérale d’austérité du gouvernement tunisien, et combinant hausses des impôts et taxes sur de nombreux produits de consommation, en a été le déclencheur. L’état d’urgence obligeant, ces mouvements ont été massivement réprimés par les forces de l’ordre, comme en cette année mémorable. Finalement, l’histoire s’est mise en boucle et n’est plus qu’une succession de recommencements que nous revivons par période. Nous venons de célébrer le septième anniversaire de l’insurrection du 14 janvier 2011 et finalement triste bilan. Rien ne semble avoir vraiment changé, ni dans les manières de vivre et de faire, ni dans les actes, ni même dans la méthode de gouvernement. Lorsque la population éternue, on lâche les forces de l’ordre pour réprimer son rhume comme ce fut le cas en janvier 1978, en janvier 1984, et en décembre 2010 / janvier 2011. Qu’est-ce qui a changé ? Seulement les personnes de quelque côté que l’on se tourne. Les gens sont toujours obligés de descendre dans la rue pour défendre Némésis, la Justice sociale. Les gens meurent encore et toujours pour une même chose que tous pensaient acquise, depuis Mohamed BOUAZIZI, à qui l’on imputa le précédent qui a provoqué cette réaction en chaîne qui dure depuis décembre 2010 et qui ne semble pas pouvoir s’arrêter. La mort a simplement changé de visage mais c’est encore et toujours la mort. Les acteurs politiques ont changé avec le passage des générations, mais ils sont intérieurement toujours les mêmes, avides de pouvoir et prêts à tout pour le conserver. Où sont finalement les acquis de cette « révolution » qui s’est révélée n’être qu’une gigantesque gabegie, un capharnaüm pire que tout ce que nous avons cru laisser derrière nous. Mais le temps veille, l’histoire s’amuse et le passé semble nous rattraper. Personne ne semble prêt à prendre dans un moment de calme une attitude réfléchie, pour s’interroger sur la signification profonde des évènements. Un moment pour qu’ils prennent conscience de leurs propres insuffisances et entament un mouvement de réflexion sur eux-mêmes, révélant ainsi la contradiction entre le monde tel qu'il est devenu et un principe supérieur qui cherche à devenir réalité. Mais « ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol » ; (‘’Principes de la philosophie du droit’’ (1818) ; Georg Wilhelm Friedrich Hegel – 1770-1831). On ne peut saisir le réel et le reconstruire par la pensée et l’action, qu’une fois que les processus historiques se sont accomplis. Les réformes ne peuvent donc se déployer efficacement, qu’une fois achevée une séquence de la réalité, Incapables qu’elles sont de s’exercer dans la simultanéité du monde. Il faut comprendre la signification profonde des événements historiques et les extraire du fouillis aveuglant de l’actualité, avec le nécessaire recul de l’après-coup. On n’improvise pas des réformes d’un revers de manche. Elles se feraient donc en marge de l'action ordinaire et échapperaient aux préoccupations quotidiennes et utilitaires pour viser la durée et l’efficience. Elle devrait être le produit d’un moment d'interrogation sur la signification profonde des évènements et son élaboration demanderait du calme et une attitude réfléchie. Il semble bien que certaines leçons soient difficiles à retenir et que la résilience ne soit pas tunisienne. Nous en sommes à près de 600 000 chômeurs ; la drogue circule librement dans les rues ; la criminalité est au plus haut sous toutes ses formes, même la plus vile et la plus insidieuse ; notre économie est au septième dessous et notre monnaie ne vaut même plus le papier sur lequel elle est imprimée ; la médiocrité et l’incompétence font loi ; nos décideurs font n’importe quoi, sans penser aux conséquences, ni se soucier de l’impact social de leurs décisions.Tout va plus mal qu’avant … la population s’appauvrit à vue d’oeil, vampirisée par les mesures d’austérité qui sont décidées à répétition par les lois de finances successives. L’inflation et la chute du dinar grèvent déjà lourdement le pouvoir d’achat des Tunisiens. Les agents publics, les agents de l’éducation, le secteur privé subissent ponction fiscale après ponction fiscale, austérité sur austérité et seuls sont immunisés contre ce mal les milieux affairistes et les anciens réseaux (mafias) politiques et économiques qui semblent bénéficier d’une mansuétude et d’une complaisance particulière de la loi. Quand les temps s’assombrissent, la loi est ce qui nous relie à notre humanité. Où est, dans ce désordre sans nom, l’égalité devant la loi et par la loi, pour laquelle nous nous sommes insurgés ? La facture de l’austérité est toujours présentée aux classes moyennes et aux citoyens les plus modestes qui sont jetés en pâture à la précarité et au désespoir. La population est traite comme une vache à lait sans fin et notre pays est toujours malade et semble sans rémission. Une population passablement sinistrée, notamment dans les villes de l'intérieur du pays, comme à Kairouan par exemple, et ce n'est sûrement pas un hasard si les manifestations ont atteint ce niveau d'exaspération, tributaire du degré de paupérisation de la grande majorité des Tunisiens.

Après plusieurs années de marasme économique et d'embauches massives dans la fonction publique, la Tunisie est, aujourd’hui plus que jamais, confrontée à d'importantes difficultés financières. Depuis 2011, de mauvais choix ont été faits et des emprunts inconsidérés auprès des usuriers des institutions financières internationales se sont répétés au-delà de toute mesure au point de rendre la dette extérieure tunisienne prohibitive. C’est ainsi que l’Etat s’est vu octroyer en 2016 une nouvelle ligne de crédits par le Fonds monétaire international (FMI), d'un montant de 2,4 milliards d'euros, soit 2.9 milliards de dollars, sur quatre ans, en échange d'un pacte faustien, un accord imposant à la population un programme de réduction des déficits, moyennant les exigences d'usage, c'est-à-dire, réformer le système financier et fiscal avec à la clé de multiples hausses d'impôts, la privatisation de tous les secteurs, l’instauration d’un libéralisme sauvage et davantage de licenciements. Comme Judas a vendu le Christ aux Romains pour trente deniers d’argent, nos institutions ont vendu la population de la Tunisie et son avenir en acceptant de sacrifier ceux qui constituent la base de la société et acculant la classe moyenne à la précarité. Ce mois de janvier 2018 la Tunisie jugée inefficace, s’est vu impérativement rappelée à l’ordre par la direction du FMI qui lui a demandé d'accélérer ses réformes et d’honorer son obligation de mettre en application les accords conclus. Mais après tant d’années, nos dirigeants, comme ceux du reste du monde n’ont toujours rien compris.

On nous fait croire que demain sera meilleur, mais entretemps, nous nous enfonçons de plus en plus. On affame progressivement nos enfants, on les déscolarise et finalement on les jette à la rue, sans emploi et sans avenir et à la fin on les tue, comme est mort cet homme à Tebourba, au cours d’affrontements avec l’ordre martial, alors qu’il ne réclamait que la justice et la dignité sociale. Les citoyens sont encore une fois, traités comme une masse à qui on ne demande systématiquement que des sacrifices. Aucun décideur n’a le courage et le cran de s’adresser à la population et de lui expliquer le pourquoi de ces décisions et de toutes cette austérité. Mais révéler les motivations et les objectifs leur est difficile car ils n’en ont pas. Ils prennent des décisions du haut de leur tour d’ivoire de manière empirique et les proclament unilatéralement, sans explications et sans même penser aux conséquences qu’elles peuvent avoir sur la vie quotidienne de chacun de nous. Nous avons cru que nous nous dirigions vers la démocratie, mais si c’est cela la démocratie, elle a les mêmes relents que la dictature et utilise les mêmes méthodes, pour en imposer les décisions fondées sur l’intimidation, la répression et la torture. Les déclarations du gouvernement sont accusatrices et rabaissent le mouvement de revendication sociale au rang d’hooliganisme et les manifestants à celui de casseurs et de vandales. Ce type de langage et les mêmes mots ont été entendus à la fin de 2010 dans d’autres bouches et ils semblent résonner comme un écho à l’infini. Mais il faut savoir que le recours à la force armée et la coercition pour contraindre un mouvement social, même initié par des forces obscures, est une arme à double tranchant et les promesses déjà agitée dans un passé récent, ne constituent pas une motivation imparable. Aux régions appauvries de plus en plus et à une jeunesse aux abois, il faut plus qu'un langage de compassion calculée, et moins qu’un discours lourd de menaces ou une langue de bois ou encore des mots durs contre les protestataires comme ceux prononcés par le Chef du gouvernement. Autant d’erreurs d'appréciation qui servent la violence aux yeux d'une Tunisie engoncée dans la certitude d'être sacrifiée sur l'autel de l'austérité et de la mauvaise gestion.

La dette publique continue de s’élever atteignant une proportion de 70 % du PIB, alors que le déficit commercial devrait atteindre cette année un niveau record « à deux chiffres », tandis que l'inflation dont le taux a franchi les 6 % en novembre dernier, affecte le niveau de vie des citoyens. Cette situation appelle donc à une action urgente même s’il y a certes un léger mieux, à la faveur de la relance du tourisme et du rebond de la production de phosphates, deux secteurs vitaux de l'économie ainsi que du raffermissement de la croissance pour atteindre environ 2 %. De la même manière, l'objectif de la loi de Finances 2018 tout récemment adoptée au Parlement, de réduire le déficit budgétaire à moins de 5 % du PIB, va aussi dans le sens des désidératas du FMI. Mais beaucoup reste à faire, et l'accentuation des « vulnérabilités macroéconomiques », inquiète l'institution qui exige des actions rationnelles désincarnées sans se soucier de l’élément humain.

L’Etat tunisien et son gouvernement d’union nationale chancelant, est donc soumis à une étroite surveillance du FMI, qui attend les contreparties des crédits et prêts débloqués jusqu’en 2017. Par ailleurs, le service de la dette a atteint un niveau record de 6.349 Millions de Dinars en 2017, alors qu’il s’élevait à 3.990 MD à la fin du mois d’octobre 2016, affichant ainsi une augmentation de 59,1% en l’espace de dix mois, selon le rapport de Conjoncture publié, par la Banque centrale de Tunisie. Cette majoration s’explique, notamment, par le remboursement, en avril 2017, d’un emprunt obligataire contracté auprès du Qatar en 2012 d’un montant de 500 millions de dollars ; en août 2017 d’un emprunt auprès du Japon de 271 MD arrivé à échéance ; et l’acquittement de trois tranches relatives à des crédits octroyé par le FMI en 2013, entre avril 2017 et octobre 2017 pour des montants respectifs de 135 Millions de Dinars (Avril 2017), 200 Millions de Dinars (Juillet 2017) et 206 Millions de Dinars (octobre 2017). Toutes ces opérations et leurs conséquences sont la rançon du manque de visibilité qui règne depuis toutes ces années dans le pays. Plusieurs facteurs dont la dépréciation du dinar devant le dollar et l’évolution à l’échelle internationale des cours pétroliers pourraient freiner la légère reprise des indicateurs économiques observées à la fin de l’année 2017.

La réaction des assujettis fiscaux aux mesures de la Loi de Finances tend à montrer dans quelle mesure l’environnement économique est résilient à une hausse significative des taux. Ensuite, le chantage pour le versement de la prochaine tranche de crédit du FMI démontre le niveau de crédibilité des finances publiques tunisiennes auprès de nos bailleurs de fonds. Enfin, l’accélération des réformes devrait prochainement susciter des émois chez le patronat comme chez les syndicats. La grande inconnue reste la capacité de la politique monétaire et de change à s’adapter à une politique budgétaire fortement contrainte. Comment, dans un tel contexte, ralentir le processus d’inflation lorsque la hausse de la fiscalité se répercute sur les prix de vente des biens et des services ? Quelle attitude devrait-on avoir face à des taux de change du TND face à l’Euro et au Dollar défavorables, lorsque la dégradation du solde de la balance commerciale s’aggrave de manière exponentielle ? Est-ce que la création monétaire contre garantie de Bons du Trésor Assimilables a atteint ses limites alors même que les banques continuent massivement de demander des liquidités ?

Les difficultés sur notre chemin ne font que s’accentuer. Ainsi,

  • L’EURO a dépassé les 3 TND et continue sa montée ;
  • L’USD est, lui, en route vers 2.5 TND ;
  • Le baril de pétrole brut va atteindre les 70 USD contre une hypothèse de 54 USD dans la loi de finances 2018 ;
  • L’inflation (officielle) proche de 7% hors produits administrés ;
  • Les réserves de devises ne suffisent qu’à 92 jours d’importations ;
  • Tous les déficits sont en aggravation ;
  • Le volume global de refinancement de la liquidité bancaire est supérieur à 10 milliards de TND malgré le plafonnement mis en place par la Banque Centrale de Tunisie

La politique financière et fiscale tunisienne prévue par la loi de finance 2018 consacre une rupture d’égalité évidente voire anticonstitutionnelle entre les citoyens. Pire, elle décrédibilise l’action politique et citoyenne et renforce les privilèges et les statuts particuliers, sources de la majeure partie de nos problèmes sociaux. Le projet de loi aurait dû être attaqué avec vigueur par les représentants du peuple et des recours en inconstitutionnalité auraient dû être engagés pour dénoncer la difficulté de la situation des Tunisiens.

Dans un pays, qui compte plus de 15% de chômeurs et une inflation soutenue, affaibli par un tourisme en berne et une dette trop élevée aux regards des marchés financiers, les revendications d’un peuple ayant déjà purgé une dictature récemment semblent bien révolutionnaires encore aujourd’hui. Les partis politiques sont en perte de vitesse, déchirés par des conflits internes et un manque de vision politique autre que le respect des ordres des institutions internationales, ou restent silencieux et attendent de pouvoir tirer leur épingle du jeu. C’est bien par le besoin de répondre aux exigences de réformes économiques du Fonds Monétaire International que l’exécutif a justifié sa Loi de Finances et non par l’intérêt national. De la souveraineté de la Tunisie il ne reste que quelques mots écrits par les Constituants et cela se traduit par une vassalité servile aux dépens même de la population. Il semblerait que l’on ne puisse rien espérer d’un pays toujours soumis à la corruption des technocrates et des anciens cadres de l’Establishment Privé, et à une féroce répression sécuritaire et un état d’urgence qui s’éternise au-delà même de toute règlementation. La monnaie s’est effondrée depuis 2011, et les prix ont augmenté de près de 40%, sans qu’aucun des gouvernements qui se sont échelonnés n’arrive à inverser la tendance implosive de notre système économique et social. Triste tableau que celui d’un pays ruiné par des années d’application des politiques libérales du FMI, issues du Consensus de Washington (l'ensemble des politiques de réformes libérales réclamées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale) des années 1980, et soumis au modèle de développement économique occidental détruisant son économie. Dans l’économie de marché telle que prônée par l’ultimatum des institutions financières internationales, le calcul égoïste des intérêts n’est pas tempéré par les normes sociales et la prise en compte du bien commun. Ses axes théoriques principaux sont le libre-échange, les privatisations sans limites en faveur des grands conglomérats financiers, la lutte contre la corruption, la transparence, les droits civiques et la démocratisation, ainsi que la défense des droits de l’homme. Mais dans les faits, cette politique économique et sociale mise en oeuvre donne des résultats désastreux sur le terrain. Perte de contrôle de la libéralisation économique par la génération d’une économie parallèle et piétinement de la privatisation du secteur public ; effondrement de la monnaie et réduction drastique des dépenses publiques dans certains secteurs comme les réductions des dépenses d’éducation et de santé exposant les populations à une misère humaine incommensurable. Or l’Etat doit jouer un rôle capital dans son développement économique et non pas abdiquer, abandonner sa souveraineté et déserter. Dans les conditions actuelles, l’Etat tunisien doit chercher sa propre voie de développement basée sur la construction d’un modèle de gouvernance dont les racines sont à tirer de son histoire et de sa culture tout en s’inspirant de la modernité et en intégrant les apports réellement positifs des autres modèles politico-socio-économiques, et mettre en place un système d’économie du bonheur partagé. Le succès d’un tel modèle de développement ne peut dépendre que de l’indépendance réelle de la Tunisie et de la capacité de ses gouvernants à imposer sa vision aux bailleurs de fonds qui les surveillent et les encadrent. Le temps est venu de réfléchir, non par mimétisme, mais par nécessité, à un nouveau consensus pour la Tunisie fondé sur la réhabilitation de la classe moyenne avec tout ce que cela implique d’exigences intellectuelles et de révolution culturelle.

L'augmentation en intensité des manifestations de colère des citoyens tunisiens est un signe avant-coureur de l'échec politique de ceux qui promeuvent un modèle dérégulé et continuent à le promouvoir malgré l'évidence et la sinistralité humaine, sociale et environnementale qu'il provoque. Un nombre important de personnes n'ont toujours pas d'accès à l’essentiel de la dignité citoyenne. A cela s'ajoutent une baisse de qualité de vie pour les autres. Le résultat de la politique libérale en Tunisie, sans oublier l'état d'urgence, la surveillance de masse et les lois liberticides, a abouti progressivement à ce qui se passe depuis plusieurs semaines. La dégradation de la qualité du travail et des prestations dans le service public montre que la concurrence libre et non faussée ne peut pas se faire hors d'une règlementation stricte dont l'Etat doit être le garant et l'arbitre, a contrario de ce que disent de nombreux contradicteurs, au préjudice des citoyens. Cet échec du système imposé de l’extérieur, soulève la question de sa validité. L’échec du modèle libéral d’organisation économique et sociale est sans conteste à associer à une crise de l’endettement souverain des Etats, ce qui apparaît comme une situation aussi critique que la Grande Dépression des années trente et pourrait conduire à la fin du modèle capitaliste de développement. Ce modèle s’effondre et ce depuis le tournant monétariste des années 1980 (qui a réformé le modèle initial en y ajoutant une dimension productiviste), jusqu’à nos jours. Comme dans les années 1930, il faudra trouver une solution à l’insolvabilité des Etats du fait de leur surendettement et au désordre financier international et celle-ci ne pourra qu’avoir une connotation sociale et humaine ainsi qu’environnementale. Pour ce faire, nous devons remonter à la nature du modèle en crise, et au mécanisme de sa crise, car une simple politique de relance budgétaire habituelle, en attribuant plus de subventions publiques aux oeuvres sociales, et en ignorant la profondeur des inégalités à l’origine de la dimension libérale de la crise et la nécessité de profondes réformes sociales, serait une erreur symétrique. Les différents aspects (financier, social, environnemental) de la crise sont tissés de manière si serrée qu’aucune solution partielle ne saurait être efficace. Nous avons besoin d’un nouveau New Deal, à la fois politique, économique, environnemental, structurel, financier et social au niveau global.

1.500 milliards de dollars, c’est à peu près le montant de la dette des pays en voie de développement aujourd’hui. Résultat, le service de la dette représente une charge bien trop élevée pour les pays du tiers-monde, qui provoque la colère des populations. Partout dans le monde, comme en Tunisie, des émeutes éclatent après l’entrée en vigueur d’un plan d’austérité décidé, sous la pression du FMI, par les exécutifs. Quand un modèle économique et financier s’effondre, les crédits basés sur lui doivent être annulés volontairement ou le seront automatiquement au travers de faillites, de l’inflation, ou de quelques formes organisées de rééchelonnement, permettant le sauvetage des débiteurs sans ruiner les créditeurs, tout en offrant de nouveaux crédits pour un nouveau modèle. Ce fut le cas lors de la crise de l’Amérique latine dans les années 80-90 et l’application du Plan Brady (10 mars 1989), et c’est ce qui reste à inventer pour la crise mondiale présente.

Les problèmes économiques et sociaux ont poussé le peuple tunisien à s’insurger contre l’ordre établi et à montrer la voie de la rébellion contre l’injustice et les excès d’un système corrompu. Or, sept ans après les évènements de 2011, aucun des maux combattus n’a reçu de remède efficace. Parmi eux, le modèle économique libéral est toujours la norme dans la Tunisie postrévolutionnaire bien que de dernier ait montré ses limites et son échec non seulement au niveau national mais aussi international. Et c’est là que réside la source du mal et des problèmes qu’il provoque comme le chômage endémique, l’inflation croissante, et au final, la faiblesse de notre système économique et social de développement. Pourtant tout démontre que la Tunisie a besoin d’un nouveau modèle alternatif de développement économique et social, avec pour fondement, le respect du droit des citoyens à une vie digne et par conséquent la concrétisation matérielle des droits économiques, sociaux et culturels. Ces dernières années confrontées avec l’expérience des décennies 1970 et 1980, ont prouvé l’échec des politiques et réformes économiques libérales imposées par les organismes financiers internationaux dont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international aux Pays en Voie de Développement. Victimes de l’aveuglement et du fanatisme dogmatique de ces instances, ces pays ont assisté à la déliquescence de leur société en lieu et place du développement promis. En fin de compte, les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir en Tunisie après la Rébellion de 2014, n’ont pas réussi leur transition démocratique et n’ont pas su inventer un modèle original de développement à même de répondre aux aspirations des Tunisiens à la réalisation de la justice sociale et au respect des droits sacrés des citoyens. De plus, les experts et gouvernants ne se sont pas vraiment donné la peine ni les moyens de réfléchir à un système qui collerait avec les spécificités particulières et singulières de la Tunisie et de son peuple. La société civile elle-même, s’est retrouvée intoxiquée par des discours oiseux et une intox informative et n’a pas su proposer de nouvelles visions afin qu’elle soit intégrée dans les politiques des gouvernements, en Tunisie et dans la région. Tous les acteurs du paysage politique tunisien, se sont abandonnés à l’ivresse et l’euphorie de cet ersatz de démocratie sans se rendre compte que leur champ de vision était délibérément occulté par des questions de politiques politiciennes sans intérêt au détriment des problèmes concrets d’ordre économique et social qui réclamaient, eux, des solutions urgentes et réfléchies. A l’heure actuelle, le navire dérive sans trop savoir où il se dirige. La classe politique continue de s’enflammer pour des questions d’ordre idéologico-identitaires et de succession, affaiblie par sa division et son insignifiance et reléguant les questions prioritaires comme le chômage des jeunes, le développement, le bien-être et la justice sociale ainsi que la dignité des Hommes au second plan. Et ainsi ce sont tous les Tunisiens qui en payent le prix.

Monji Ben Raies
Universitaire,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis-El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.