Opinions - 15.01.2018

Mohamed Meddeb: La Sécurité Nationale, sept ans après!

Mohamed Meddeb: La Sécurité Nationale, sept ans après!

Le vendredi 14 janvier 2011 vers 18.00 heures, l’exil forcé ou la fuite surprise du Président de la République en exercice se confirme et le pays vacille, tout était possible y compris le pire. Cette journée historique marque la fin d’une époque et le début d’une autre dont les contours, après sept longues années, ne sont toujours pas définis. Depuis 2011, à côté des défis politiques et socio-économiques monstres qui restent encore à relever, la Tunisie est confrontée à de sérieux défis et menaces sécuritaires, le défi de rétablir l’ordre public et assurer la sécurité intérieure d’une part et vaincre leterrorisme de l’autre.

Examinons d’abord le phénomène du terrorisme qui reste de loin la menace la plus persistante et la plus inquiétante, vu la complexité de sa nature, de ses objectifs, de ses modes opératoires, de ses dimensions à la fois nationale, régionale et internationale et aussi de la multidisciplinarité de toute stratégie pour y faire face.

En effet, rien ne laisse entrevoir de sitôt, la fin de cette menace, au contraire tout donne à penser, que la Libye en tant que territoire, avec son prolongement dans la région sahélo-saharienne, sera source de menaces terroristes sérieuse sà la sécurité nationale du pays, et ce, encore pour quelques dizaines d’années. Ce constat est le résultat de l’analyse objective de la situation prévalant dans ce pays voisin, la Libye,et dans la région sahélo-saharienne, en rapport bien sûr, avec le contexte géostratégique dans le monde et le mondearabe en particulier.

Le terrorisme dans le pays depuis janvier 2011

D’abord, il est utile de rappeler que la menace terroriste n’est pas un phénomène post soulèvement 2011, bien au contraire la Tunisie a connu sa première confrontation terroriste, déjà au mois de ramadan 1995 au poste de la Garde Nationale de Sondess (Gouvernera de Tozeur). Ensuite d’autres actions avec leurs lots de victimes militaires, agents de sécurité, citoyens civils et aussi des touristes étrangers, sont venues rappeler que notre pays aussi n’est pas du tout épargné par cette nébuleuse terroriste. Il s’agit notamment des attaques du poste de la Garde Nationale d’Essrai (Kasserine), de la Synagogue d’El ghriba (Djerba) avril 2001 et la sanglanteopération qui a eu lieu sud Tunis (Hammam Chott-Ain Tebournok-Soliman),fin 2006, début 2007, pendant une quinzaine de jours où 12 terroristes ont été abattus et 15 autres blessés, excepté un mauritanien, tous étaient tunisiens appartenant au GSPC algérien. 

Et puisen 2011 survint le soulèvement populaire dans le pays qui fût accompagné, comme dans tout mouvement populaire de nature révolutionnaire, par une vague de violence, d’insécurité et d’excès de toute nature. La réaction, plutôt négative, brutale même, de la foule et de l’opinion publique envers les Forces de Sécurité Intérieure (FSI) a poussé un grand nombre de ses agents à se faire plutôt discrets et d’éviter les lieux publics, l’Armée a dû dans un premier temps pallier le vide ainsi créé. Mais face à l’insécurité grandissante, la société a vite révisé sa position envers les FSI pour leur réclamer de reprendre leur rôle et accomplir leur devoirde protéger les citoyens, leurs biens et les espaces publics. Celles-ci se sont alors reprises, progressivement, et avec l’Armée ont réussi avec d’énormes efforts à limiter les dégâts, l’ordre public fut péniblement rétabli,quoique ponctué de moments très critiques tels que l’été 2013, le mois de janvier de chaque année. Les FSI ont aussi engagé un processus de réconciliation avec le citoyen etinitièrent quelques réformes internes pour évoluer vers une institution républicaine au service du citoyen, ce qui est de nature à renforcer la confiance mutuelle entre FSI et citoyens qui seront ultérieurementun véritable soutien dans la lutte antiterroriste. Depuis, l’ensemble des forces sécuritaires du pays, Armée et FSI, tout en continuant à faire face à l’instabilité sociale, jusqu’à ce jour d’ailleurs, elles ont dû affronter la nébuleuse terroriste.

Après de douloureuses expériences et lourdes pertes humaines des années 2013-14 et 15, elles ont aujourd’hui atteint un niveau opérationnel qui leur a permis de reprendre l’initiative, décimer les principaux chefs des groupes terroristes agissant dans le pays et même à faire avorter les plans d’actions terroristes avant même leur initiation et démanteler de très nombreuses cellules. Evidemment, une telle posture offensive et de telles anticipations n’auraient pas été possibles sans des efforts considérables et des réussites au niveau de la collecte du renseignement et de son exploitation ainsi qu’au niveau de la coordination entre les unités militaires et les FSI. La bataille de Ben Guerdane illustre parfaitement, d’une part les intentions et les objectifs du mouvement terroriste et d’autre part, la détermination et les capacités opérationnelles de l’ensemble des forces sécuritaires du pays.

Le déclenchement, par effet domino, le 15 février 2011de la révolution libyenne vient aggraver la situation sécuritaire en Tunisie. D’abord les confrontations armées entre rébellions et forces du régime de Kaddafi, puis l’effondrement le 25 octobre de la même annéede celui-ci, ont contribué à l’absence de tout contrôle de la frontière entre les deux pays, ce qui a donné lieu à un grand exode humain, plus d’un million vers la Tunisie, ce qui aggravera davantage la situation sécuritaire non seulement au Sud mais dans tout le pays. La perméabilité des frontières tuniso-libyennes fut alors à l’origine du développement non seulement de la contrebande de produits de tout genre y compris armes, explosifs et munitions, mais aussi du libre déplacement des terroristes entre les deux pays dans les deux sens. Et c’est ainsi quesur le plan sécuritaire, contrebande et terrorisme se sont révélés deux facettes d’un même phénomène qu’il y a lieu de combattre avec la même détermination, les mêmes services et mêmes moyens.

A l’intérieur du pays, les organisations de toutes obédiences fusent de toutes parts, y compris les groupes qui tiennent un discours des plus extrémistes ; HizbEttahrir, quoique rejetant d’emblée le régime républicain et ses institutions, se voit quand même accordé le statut de parti politique légal ! Aussi, des groupes franchement terroristes, profitant de la situation confuse et surtout de la faiblesse de l’autorité de l’Etat et de la mollesse de sesinterventions, s’organisent, recrutent et gonflent leurs effectifs, et s’enracinentdans la société, sans être inquiétés, tel «Ansar charia», qui, quand il sera considéré par l’Etat une organisation terroriste, il avait déjà bien consolidé sa base dans le pays et ses relations en Libye et ailleurs. De même, des milliers d’associations, se prétendant apolitiques, mais aux objectifs peu clairs, bénéficient, fort curieusement, d’importantes subventions financières d’originessuspectes, ont ajouté de la confusion à la situation.

Pour mieux apprécier la situation sécuritaire actuelle dans le pays et mieux entrevoirl’avenir, passons en revue l’évolution d’abord de la lutte à la menace terroriste, et on reviendra par la suite sur l’action de l’Etat dans son rôle régalien de maintien de l’ordre public et de la sécurité intérieure dans le pays.

Quant au terrorisme post janvier 2011, le premier accrochage entre militaires et terroristes eut lieu à Errouhia (Siliana) au mois de Mai et s’est soldé par deux morts de chaque côté et un blessé militaire.

L’année 2012, a enregistré pas moins de quatre opérations terroristes, successivement dans la région de Sidi Ali ben Khélifa (Sfax), à Jendouba, Feriana et Douar Hicher à Tunis. Au cours de cette même année 2012, de nombreux membres et sympathisants du Mouvement « Ansar Charia », alors non encore classé organisation terroriste,ont lancé un assaut contre l’Ambassade américaine à Tunis. On paye encore les fais.

L’année 2013 fut sanglante et le début d’un tournant, l’activité terroriste a gagné en intensité, s’est diversifiée en types d’actions et de cibles et s’est étendue pratiquement à l’ensemble du territoire national, Tunis, Kasserine, Sfax, Jendouba, Sousse, Mednine, Kébili et autres régions. On notera surtout:

  • L’assassinat en plein jour à Tunis de deux leaders politiques, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi ;
  • Au Mont Chambi, une patrouille militaire tombe dans une embuscade, ses huit membres sont tués, trois d’entre eux sont décapités même ;
  • A deux reprises, et sur la foi d'informations relatives à la présence de terroristes dans des habitations, des patrouilles de la Garde Nationale se font attirer vers ces lieux sous des feux nourris, 7 agents y perdent la vie et autant d’agents sont blessés contre 10 terroristes tués et plus d’une dizaine arrêtés, ainsi que de nombreuses armes confisquées ;
  • Au Mont Chambi, l’explosion de nombreuses mines sous les engins des patrouilles militaires est devenue fréquente, laissant des pertes et des blessés ;
  • De nombreuses descentes des Unités des Forces de Sécurité Nationale ont permis de débusquer plusieurs caches d’armes, de munitions et d’explosifs.Des arrestations de terroristes et de suspects ont permis de recueillir de précieux renseignements pour la conception et le montage des actions anti-terroristes ultérieures et leur conduite.

Quant à 2014, elle était encore plus meurtrière et plus riche en actions terroristes diversifiées, sur tout le territoireet le long de toute l’année, pas moins d’une vingtaine d’opérations. L’attaque simultanée de deux positions militaires à HenchirTella/ Dj Chambi le 16 juillet, était l’une des opérations terroristes des plus douloureuses, 14 militaires tués et 18 autres blessés. Dans un acte de défiance totale de l’Etat, l’élément de garde du domicile du Ministre de l’Intérieur à l’époque, fût attaqué par des terroristes, 4 policiers sont tués et un cinquième blessé.

De nombreuses embuscades ont été tendues à des patrouilles militaires et de Garde Nationale, se sont soldées par une vingtaine de martyrs et pas moins de 25 blessés.
En février, les Forces de Sécurité traquent des éléments armés à Raoued puis à l’Ariana, abattent 7 terroristes en perdant un des leurs et arrêtent 4 terroristes dont le fameux "Essomali".
A quatre reprises, des mines explosent au passage de véhicules surtout militaires mais aussi de la Garde Nationale causant la perte de trois soldats et la blessure de 9 autres.
Durant l’année 2014, les forces de sécurité ont perdu une trentaine des leurs et ont enregistré une cinquantaine de blessés. Par ailleurs, une vingtaine de terroristes ont été éliminés. Ce fût une année sombre, les Forces sécuritaires étaient dans le meilleur des cas réactives aux initiatives des terroristes, parfois elles encaissaient les coups sans réagir.

Au cours de l’Année 2015, les terroristes ont visé de nouveaux types de cibles, les touristes et la Garde Présidentielle, symbole de l’Etat, faisant d’elle l’année la plus meurtrière. Le musé de Bardo mitoyen au siège du Parlement, avec ce qu’il comporte comme symbolique, un hôtel dans la station balnéaire d’el kantaoui et un groupe d’agents de la Garde Présidentielle embarqué dans un bus stationné non loin du Ministère de l’Intérieur dans la capitale,ont été attaqués de jour par des terroristes, occasionnant de nombreuses pertes parmi les touristes, 68 tués et 71 blessés, et la Garde Présidentielle, 12 tués et 20 blessés, contre seulement 4 terroristes abattus.

Parallèlement à ces opérations très douloureuses, le harcèlement des unités en patrouille par des attaques surprises etla pose de minesle long de leur passage et autres procédés,ont jalonné toute cette année, causant une quarantaine de tués et autant de blessés entre militaires et FSI.
Le bilan de l’année 2015 aurait été pire si n’était l’élimination à Sidi Yaich par les Forces de Sécurité Intérieure de 12 terroristes dont 9 des plus hauts cadres de (KOIBN) KatibatOkba Ibn Nafaa, ce fût jusque-là la première action menée par la Garde nationale de cette ampleur et du genre,exploitantvraisemblablementde précieux renseignements.

Après cinq années de lourds bilans, 2016 est l’année du grand tournant positif dans la lutte antiterroriste post 2011. Au mois de mars, le 6 à l’aube, les terroristes lancent une attaque d’envergure à Ben Guerdane, simultanément sur la caserne militaire et les locaux de la Sureté et de la Garde Nationales avec l’objectif d’établir une "Imarah". La réaction des unités de la Garnison militaire et des Forces de Sécurité ainsi que celle de la population de la ville étaient exemplaires. L’attaque a complètement échouée, plus de soixante terroristes décimés, plus d’une centaine arrêtée. Cette opération fut précédée le 3 mars par une autre où les unités spéciales de la Garde Nationale, alertées de la présence de terroristes à environ 5 km de Ben Guerdane et ayant reçu l’ordre d’intervenir,quelques heures après, 5 terroristes sont abattus. Cette dernière opération, du 3 mars, aurait certainement mis en garde toutes les unités dans la région.

L’extermination des 9 chefs terroristes à sidi Yaech en 2015 et surtout l’issue de la bataille de Ben Guerdaneen 2016 constituent un véritable tournant dans la guerre contre le terrorisme dans le pays, l’Armée et les Forces de Sécurité Intérieure soutenues par des progrès incontestables dans le domaine durenseignement, commencent à prendre l’initiative, vont chercher les terroristes là où ils se trouvent et prennent progressivement le dessus. Mais la guerre continue, au cours de cette année 2016 et hors la région de Ben Guerdane, pas moins de 13 autres accrochages avec les terroristes, explosion de mines et autres incidents ont été enregistrés, laissant 5 militaires tués,17 autres blessés et 7 agents des FSI tués.

L’inversion de la tendance, la nouvelle posture offensive des Forces Sécuritaires, se sont vite traduites par une nette baisse du nombre d’actions initiées par les terroristessur le territoire national au cours de l’année 2017, ceux-là perdent de plus en plus l’initiative. Les Forces de Sécurité, Armée et FSI, ont anéantis pas moins de quatre terroristes débusqués lors d’opérations de ratissage qui continuent surtout dans les régions frontalières de l’ouest, mais pas seulement. Alors que les Forces Armées et les Forces de Sécurité Intérieure continuent conjointement à exploiter sciemment les renseignements obtenus aussi de terroristes et suspects arrêtés et suite aux revers subis par les terroristes à Sidi Yaich et à Ben Guerdane, le terrorisme en Tunisie semble perdre de la vitesse. Au cours de 2017 les Forces Sécuritaires sont totalement passées à l’offensive, ce sont elles qui tendent les embuscades, ratissent et traquent les terroristes qui fuient le contact etmême abandonnent leurs blessés ; elles débusquent les cellules terroristes et les démantèlent partout dans le pays. Pratiquement pas une semaine ne passe sans que le Ministère de l’Intérieur n’annonce le démantèlement de nombreuses cellulesterroristes implantées en zones urbaines et rurales.

Au vu de la situation au Moyen Orient et de l’exfiltration de ce qui reste encore de Daechet surtout des combattants étrangers, exfiltration des territoires que Daech occupait en Irak et Syrie vers d’autres zones: Sinaï, les déserts syrien et irakien et aussi vers la région sahélo-saharienne en Afrique, il n’est pas exclu que cette période soit pour les groupes terroristes opérants en Tunisie aussi, une phase d’exfiltration et de repli du pays vers d’autres zones refuges pour mieux se réorganiser, reprendre de la force etrepartir dans de meilleures conditions pour d’autresprojets. Dans ce cas, la question resteà savoir vers quelles régions et zones refugesaura lieu ce repli ? C’est le renseignement qui doit y répondre.

Quels enseignements tirer des sept années de lutte antiterroriste?

Caractéristiques de la mouvance terroriste

Généralement, l’élaboration d’une stratégie pour faire face à une menace quelconque, doit reposer sur une parfaite connaissance de celle-ci : connaissance bien sûr de ses objectifs, sa doctrine, ses sources de recrutement, ses sources de financement, ses modes opératoires, ses sources de ravitaillement logistique, ses liaisons internes et externes, les mouvementsde ses membres…
Les groupes terroristes agissants en Tunisie, à l’image de leurs similaires de la même mouvance "tekfiriste", n’ont pas d’échéances fixées d’avance, ne frappentque quand les conditions leur sont favorables, ilscherchentainsi à garder l’initiativeet bénéficier de l’effet de surprise ; frappent partout, en milieu rural comme urbain, tout type de cibles, n’épargnent ni politiciens ; ni citoyens ordinaires ; ni touristes étrangers ; ni femmes ni enfants ; et certainement ni militaires ni sécuritaires… Bref, leur objectif est plutôt l’effet médiatique et psychologique le plus spectaculaire possible poursemer la peur et la panique parmi la population, et affaiblir l’Etat.
Les terroristes se déplacent et agissent généralement en petit nombre, individuellement même, se mêlentau milieu visé pour se renseigner au plus près sur leur objectif ;

Pour gonfler leurs effectifs, ces groupes terroristesrecrutent là où ils trouvent des sympathisants, de tous les milieux sociaux, professionnels ou autres et n’hésitent devant aucun moyen, mêmes les plus immoraux, pour attirer ou soudoyer de nouvelles recrues.

Les stratégies adoptées pour venir à bout des groupes terroristes comportent généralement des mesures pour le court terme, pour faire face à la menace présente et qui ne peuvent être que d’ordre sécuritaire ; et d’autres mesures pour le moyen et long termes qui visent surtout leur doctrine si on peut l’appeler ainsi, leurs sources de recrutement et de financement.

En Tunisie, après sept ans de lutte antiterroriste, quoique rien ne soit définitif, l’approche sécuritaire est plutôt sur le point de venir à bout des éléments terroristes agissant dans le pays, ce qui en resteserait sur le point d’être exterminé ou au moins neutralisé. Les Forces sécuritaires, Armée et FSI, ayant repris l’initiative, ont réussi à décimer de nombreux terroristes, dont de notables chefs, continuent à démanteler de plus en plus de cellules qui étaient en standby et débusquent de plus en plus de caches d’armes, d’explosifs et accessoires divers.

Par contre, pour le long terme, peu a été jusque-là fait pour tarir les sources de recrutement ou au moins freiner le courant d’adhésion des jeunes tunisiens et même tunisiennes à la mouvance terroriste. Evidemment pour s’y faire, il y a lieu d’abord de comprendre le discours tenu par ces groupes et qui attire nos jeunes et les motive tant. Cela, nécessite des études dans le milieu terroriste même. Ces études, effectuées surla population de terroristes arrêtés et incarcérés, et portant sur les motivations de leur engagement dans ces organisations, les modes de contact, leur endoctrinement, leurs niveaux d’instruction, leurs professions, âges, origines géographiques … doivent déboucher sur des conclusions qui permettent d’envisager des contremesures pour déjouer et contrer les approches de propagandede recrutement de la mouvanceterroriste. En d’autres termes, il faudra répondre aux questions qu’on se pose généralement,pour pouvoir envisager une stratégie antiterroriste efficace, telle que : Qu’est-ce qui fait qu’un jeune tunisien quitte sa famille, son milieu, sa situation sociale, son métieret autres pour une mort quasi certaine ? Dans quelles conditions a lieu son endoctrinement ? Par qui est-il conduit … ? Certes, les conditions socio-économiques dégradées pourraient être dans certains cas l’une des réponses, mais il n’est pas certain que c’est la justification principale, donc faut-il le vérifier ?A ce stade, seuls les services des Ministères de l’Intérieur et de la Justice,qui disposent de cette population de terroristes arrêtés, ont la possibilité de procéder à de telles études qui doivent déboucher sur des conclusions utiles. Mais jusque-là,ces institutions n’ont pas encore publiées de telles études. Et c’est peut-être la raison pour laquelle jusqu’à ce jour on ne voit pas comment l’Etat compte protéger la jeunesse tunisienne de la propagande tekfiriste et faire tarir leurs sources de recrutement. Se contenter de juste répéter que ces tekfiristes et le terrorisme n’ont rien à voir avec l’Islam qui est une religion de tolérance et de modération, est non convaincant et très insuffisant, de toutes les façons,cela n’a pas empêché des milliers de jeunes tunisiens et tunisiennes de rejoindre Daech et défendre ses causes jusqu’à la mort!

Caractéristiques des groupes terroristes agissants dans le pays

Le facteur commun aux très nombreuses organisations terroristes se réclamant de la mouvance islamique dans le monde est leur interprétation extrémiste des préceptes de l’islam jusqu’à "Ettekfir". Ainsi, ces groupes terroristes, malgré les différences apparentes qu’ils peuvent laisser paraitre, sont quasiment identiques sur le plan des convictions, causes défendues et modes d’action. Ne reconnaissant pas l’ordre mondial établi, donc non plus les concepts de nationalité et de frontières entre pays, ces groupes recrutent, indifféremment, tous ceux qui partagent cette interprétation " tekfiriste " et ce, sans distinction aucune de la nationalité, de l’origine, de la race ou autre.Ces organisations sont d’ailleurs très multinationales, agissent là où elles le peuvent faisant fi des frontières. Daecha regroupé à un certain moment, des combattants de 42 différentes nationalités des quatre coins du monde. Les groupes agissants en Tunisie comprennent des membres de nationalités diverses, tunisiens, somaliens, algériens, mauritaniens et autres.D’ailleurs la dénomination des groupes a rarement un sens, parfois c’est juste pour se démarquer des autres groupes, questions de rivalité entre eux aussi, dans d’autres cas c’est juste un positionnement géographique, tous les "Al Qaeda", AQMI, AQPA, AQIL, … et dérivés, GSPC, Jound Al Khilafah, Katibat Okba Ibn Nafaa, Ansar Charia, BokoHaram et bien sûr Daech, portent tous les mêmes discours et convictions: le tekfirisme et le sort des "Kouffards" est la décapitation de la manière la plus atroce possible.Aussi, ces groupes agissent selon les mêmes modes opératoires : opérations militaires telle que : attaque de militaires et sécuritaires, embuscade et pose de mines, mais aussi opérations suicides avec ceinture d’explosifs, décapitation, attaques et kidnapping de civils, de touristes étrangers, de femmes, d’enfants, de vieillards, de bergers…

L’examen des informations des sources officielles, indique que la plupart des activités terroristes enregistrées en Tunisie depuis janvier 2011, ont été menées par des éléments appartenant aux groupes katibat okba ibn nafaa qui a fait allégeance à AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique), lui-même succédant à l’ancien GSPC(Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), lui-même dissident du "GIA" Groupe Islamique Armé algérien des années 90, ainsi qu’à Ansar charia et Jound al khilafah qui se réclame membre de DAECH. Quelques actions ont été revendiquées par des éléments s’identifiant membres de Daech, chose qui n’a pas de sens car Daech, comme son nom l’indique, ne peut être qu’en Irak et Syrie ! Mais encore une fois, les noms changentet pourtant il s’agit toujours de la même mouvance tekfiriste.

Perspectives d’avenir, menaces et lutte antiterroriste

Certes, les forces sécuritaires, Armée et Forces de Sécurité Intérieure, ont réussi d’inverser la tendance ; après cinq ans de posture initialement réactive, et les douloureuses années 2013,14et 15 et suite aux succès à sidi Yaich et Ben Guerdane, elles ont pu reprendre l’initiative. Il est vrai que 2016 et 2017 ont vu l’activité terroriste se réduire sous la pression des Forces Sécuritaires, Armée et FSI, plus performantes que jamais. Cependant, la menace terroriste n’est pas encore à sa fin. Pour encore de longue années, la sécuritédu pays et de la région sera menacéeencore par la mouvance tekfiriste. Déjà, le retour initié de terroristes de la région Irak/Syrievers le pays, nécessite étude et mesures de nature à éviter au pays d’éventuelles atteintes à sa sécurité.

Le retour au pays des terroristes tunisiens des zones de conflit

Les forces de Daech ont fini par être largement détruites par l’action concomitante de la Coalition occidentale et arabe conduite par les USA, de la Russie et du Régime syrien de Bachar ; ce qu’il en restait fut chassé de Rakka leur dernier fief, en novembre 2017. Suite à quoi, des milliers de terroristes ont dû, sous la pression des combats, quitté la région pour des zones refuges tel le Sinaï, les espaces désertiques syrien et irakien, la Turquie, la Jordanie et notamment la région sahélo-saharienne avec son prolongement en Libye. Evidemment, certains terroristes, à l’instar de quelques centaines sinon de milliers de tunisiens, auraient déjà regagné leur pays d’origine, d’autres suivront certainement ultérieurement, on a déjà vu un tel retour de ce qu’on avait appelés "les afghans arabes", suite à la guerre d’Afghanistan en 2001.Ce retour des terroristes au pays constitue en lui-même une menace sérieuse à la sécurité nationale, surtout si on tient compte de la situation sécuritaire très dégradée en Libye et dans la région sahélo-saharienne. Déjà,l’initiative "G5 Sahel" vise lamise sur pied d’une force conjointe des cinq paysde la région, Mauritanie, Mali, Tchad, Niger et Burkina-Faso,pour justement faire face aux groupes terroristes agissants dans la zone et récemment renforcés par les daechistes revenants  du moyen orient. Dans ce contexte, la question du retour des tunisiens au pays ne doit pas être négligée surtout sur le plan du renseignement, d’abord pour identifier les terroristes parmi les revenants en vue de les traduire devant la justice comme il s’impose dans un Etat de droit, et aussi au niveau des capacités des installations carcérales, des conditions d’incarcération et la préparation des programmes et ressources de dé-radicalisation pour ceux qui seront concernés s’il en sera ainsi décidé.

Nécessite de renforcer l’effort national de défense

Certes, la Tunisie a réussi jusque-là à juguler la menace terroriste, cependant, cette menace est loin d’être définitivement éliminée, ni physiquement, ni sur le plan culturel et "idéologique". Le territoire libyen avec son prolongement sahélo-saharien constituera une source de sérieuses menaces diverses, terroristes entre autres. Cette situation seule,impose et justifie largement le dédoublement de l’effort national de défense.
Dans le secteur de la Défense, auquel je me limite pour des raisons évidentes,l’effort devra porter, en priorité, sur les axes suivants :

La maitrisedu contrôle des frontières

La maitrise du contrôle des mouvements, personnel et marchandises, à travers les frontières, celles du sud-est(coté Libye) en priorité,est dictée par des considérations plus qu’évidentes, pour faire faceaux déplacements, dans les deux sens, de tout ce qui peut menacer non seulement la sécurité au sens stricte du terme mais aussi la sécurité nationale au sens large:l’économie du pays, la santé publique...Ce système de contrôle des frontières, notamment dans le tronçon entre la Mer au nordet le poste frontalier Lorzot au sud, et en plus de la tranchée bien entretenue, doit combiner obstacles surtout anti-véhicules sur les axes de mouvement ; moyens de détection électroniques ; des postes d’observation ; des patrouilles, selon le terrain, sur méharis, motos, véhicules, hélicoptères et avions.
Bien sûr, dans cette partie entre la mer et le poste de Lorzot, une coordination continue entre les commandements des unités militaires, les services de Douane et les formations sécuritaires du Ministère de l’Intérieur,une coordination donc directe et sans besoin de se référer à tous les coups au niveau supérieur,reste plus qu’indispensable. Les efforts jusque-là consentis dans ce secteur, quoiqu’appréciables, seraient encore en deçà des exigences de la situation.

Ressources humaines et Service national

Depuis décembre 2010, les tâches de l’Armée ont été considérablement développées en nature et volume, mission institutionnelle de défense du pays, contribution au maintien de l’ordre par la protection de points sensibles, protection des sites de production, interventions d’assistance à la population en cas de calamités naturelles ou accidents graves et aussi la participation à l’effort national de développement. Naturellement, l’accomplissement de ses missions exige des ressources humaines conséquentes en volume. Normalement, le gros des effectifs est constitué de jeunes appelés incorporés dans le cadre du Service National, seulement, actuellement le système du Service National est complètement en panne. Pour se rendre compte de la gravité de la situation, il suffit de se référer aux déclarations de Mr le Ministre de la Défense à l’occasion des discussions à l’ARP de la Loi des finances, les effectifs de jeunes incorporés annuellement ne dépassent pas les quelques centaines, alors que chaque année, environ 60 milles jeunes tunisiens atteignent l’âge du Service National. Mr le Président de la République, Commandant en Chef des Forces Armées, avait donné, depuis le 24 juin 2015, ses instructions pour réviser les textes juridiques relatifs au Service National.
Il y a grand besoin de réformer le Service National pour qu’il soit universel et équitable, c’est un sacrifice plus qu’indispensable pour garantir la sécurité du pays, mais il faut qu’il soit équitablement et justement réparti pour que tous les jeunes y adhèrent volontiers ?

MM les politiciens, en particulier les membres de l’Exécutif et Honorables Députés: il est de votre responsabilité de prendre les mesures nécessaires et veiller à ce que les Forces Armées disposent de ressources matérielles et humaines en rapport avec les missions que vous leurs confiez, c’est la moindre des choses, non ?  La situation sécuritaire dans le pays et le contexte géostratégique dans la région étant ce qu’ils sont, peut-on reléguer le dossier "Défense et Sécurité Nationale" aux dernières priorités ?
En fin, sachez MM les décideurs politiques,que la construction d’un système de défense n’est pas une question de fonds seulement, elle demande,en plus,de longs délais, plusieurs années, des décennies même ; et comme vous le savez bien le temps est incompressible !

La réforme du Haut Commandement militaire

De nos jours, n’importe quelle opération militaire exige la coopération d’au moins deux Armées si ce n’est de toutes les trois. C’est pour cela que pratiquement toutes les armées du monde disposent d’un Etat-major interarmées, avec des missions bien précises, essentiellement, la planification des opérations de défense du pays et leur conduite. La préparation des Forces étant du ressort du Chef d’Etat-major respectif de chaque armée. En Tunisie à ce jour, cet organe, Etat-major interarmées, n’est encore pas prévu pour des présomptions politiques absolument infondées. Il est temps d’ouvrir ce dossier, et encore une fois si les décideurs politiques ne s’y intéressent pas, il ne faut pas s’attendre à ce que cette problématique soit résolue par les Chefs militaires en exercice, ce n’est tout simplement pas de leurs compétences.

Renforcer les capacités nationales de renseignement

Aujourd’hui et compte tenu des menaces et risques persistants, la fonction renseignement est devenue la base desuccès de toute opération. On ne peut pas mener par exemple de guerre contre le terrorisme sans capacités de renseignement appréciables et surtout de nuit. Mis à part les aspects techniques, il reste la question du financement et encore une fois c’est un choix hautement politique. Sans aucun doute, les autorités militaires, discipline et culture militaires obligent, se dépenseront à fond, au besoin jusqu’au sacrifice ultime, comme ça été toujours le cas d’ailleurs,pour accomplir les missions qui leur sont assignées et défendre leur pays avec les moyens qui sont mis à leur disposition. Mais il est aussi juste que chacun, y compris MM. les décideurs politiques, assument pleinement les responsabilités qui leur reviennent.

Le défi du maintien de l’ordre public

Au niveau du maintien de l’ordre public, le pays affronte des défis sécuritaires du type qui accompagnent pratiquement tout soulèvement populairerévolutionnaire et qui résulte d’une part, de la faiblesse de l’autorité de l’Etat, de l’autre, de l’effervescence continue des différentes composantes de la société en quête d’un meilleur positionnement pour conquérir de nouveaux droits et privilèges ou préserver une situation acquise, jugée méritée. Cette recherche d’un meilleur positionnement, politique, social ou d’autre nature est vite exacerbée par les difficultés économiques pour passer rapidement des forums de discussions paisibles, aux mouvements de protestations dans les espaces publics , à leur début pacifiques, puis de plus en plus violents mettant en péril les biens particuliers et publics que l’Etat a la mission de protéger ; et là on passe assez vite aux confrontations entre citoyens et forces de l’ordre avec les dégâts qui s’en suivent. Une fois ce stade atteint, il n’est plus aisé de déterminer clairement les responsables des pertes matérielles ou humaines occasionnées, car au fait s’entremêlent et s’opposent la logique du droit de protester et de la liberté d’expression,à celledes démunis et laissés pour compte pour qui, le respect de la loi n’est pas en lui-même un obstacle pour arracher,même par la violence, des avantages qu’ils considèrent "droits non négociables" et qui peuvent être réellement ainsi, à celle du devoir de l’Etat de faire respecter la loi et en fin à celle de ceux qui ont un intérêt à faire durer l’instabilité dans la rue.Quant à ceux qui profitent de l’instabilité, sont de nature très variable, bien sûr des politiciens, des groupes prêts à enfreindre la loi pour forcer la main aux autorités et imposer leurs points de vueet même des malfaiteurs, des bandits et criminels de droit commun profitantsdu désordre pour s’accaparer quelques avantages en nature en pillant et saccageant les biens d’autrui et publics. Au fait, la responsabilité est partagée, même si c’est à des degrés variables,par tous les acteurs. Et là, point de salut, l’Etat doit appliquer la loi et ne pas céder aux surenchères politiciennes et à la logique de la foule.

Ainsi, relever le défi du maintien de l’ordre public et imposer le respect de la loi, n’est pas comme il peut paraitre, un simple défi sécuritaire mais il est largement tributaire de la gouvernance, de la stabilité politique et surtout de la situation socio-économique dans le pays. Malheureusement, en Tunisie tous ces aspects, et surtout l’économique, peinentencore à trouver le chemin du salut. L’actualité nationalefin 2017-début 2018 est plus qu’édifiante.
Dans tous les cas, nous devons tous, être pleinement conscients de ce qui suit :

  • Oui, les vrais démunis ont un droit sur le reste de la collectivité, on ne peut pas demander à quelqu’un depatientercalmement et indéfiniment,sans lui donner le moindre espoir, alors qu’il est déjà dans la nécessité ;
  • La prévalence de la loi et le maintien de l’ordre dans le pays est une condition sine qua none pour réguler nos rapports entre nous tous, bénéficier d’une certaine stabilité etpouvoir initier un programme quelconque de redressement, économique ou autre, c’est dans l’intérêt de tous. Pour cela, le maintien de l’ordre public prime ;
  • Le sentiment d’égalité et de justice entre tous les concitoyens, est la clé pour faire régner la paix sociale. La corruption, surtout dans les institutions de l’Etat, est une grande injustice, très insupportable et crée des frictions sociales, souvent violentes ;
  • Le travail et le labeur est la condition principale pourtout développement et progrès et ce, surtout quand les moyens disponibles sont limités,quels que soient la couleur du gouvernement et les choix socioéconomiques ;

A mon avis,ces règles évidentes, sont à respecter par chacun d’entre nous. Comment nous les imposer ? Que chacun commence par se les imposer à soi-même d’abord etL’Etat doit veiller à les imposer,par la force de la loi, aux récalcitrants.

En conclusion, certes, le pays est sur le point de gagner une première bataille importante, dans sa guerre contre la mouvance terroristetekfiriste. Cependant, compte tenu de la situation sécuritaire régionale, en particulier en Libyeet dans la zone sahélo-saharienne, mais aussi du contexte mondial, la menace terroriste est loin d’être définitivement vaincue, elle pèsera encore lourdement sur la région et le pays, de nombreuses années à venir. Les efforts, jusque-là fournis à tous les niveaux, Etat, Forces Sécuritaires et citoyens doivent se poursuivre encore, renforcés même et s’étendre au plan culturel et intellectuel pour discréditer les thèses tekfiristes. A l’intérieur, pour rétablir l’ordre public et le maintenir, l’Etat doit faire prévaloir la loi, c’est l’une de ses attributions principales, surtout pendant cette période encore fragile, caractérisée par de grandes difficultés économiques etd’instabilité politique et sociale.

- Que Dieu garde la Tunisie et bénisse ses martyrs- 

Gl (r) Mohamed Meddeb
- Armée Nationale -