News - 01.01.2018

Un livre témoignage de la Constituante Selma Mabrouk : « Le Bras de fer 2011-2014 » en Tunisie

 Un livre témoignage de la Constituante Selma Mabrouk : « Le Bras de fer 2011-2014 » en Tunisie

Après Nadia Chaabane, dans «Chronique d’une Constituante », c’est autour d’une deuxième députée à l’Assemblée nationale constituante (ANC), Selma Mabrouk de nous livrer son témoignage sur ces années charnières 2011 - 2014. Médecin ophtalmologue, élue sur la liste d’Ettakatol dans la circonscription de Ben Arous, Selma Mabrouk avait démissionné d'Ettakatol en 2012 et intégré depuis le Groupe Démocrate en tant que Massarienne. Elle avait rapidement révélé sous la Coupole du Bardo, un engagement militant d’avant-garde, moderniste et opposé à l’obscurantisme.

Déjà Nadia Chaabane, figure de proue de la gauche tunisienne et de la lutte contre le racisme en France, élue de la circonscription de France 1, nous restitue les coulisses d’âpres affrontements au Bardo pour éviter que la Tunisie ne bascule sous la tutelle de la Chariaa et l’hégémonie des rétrogrades. Son livre, « Chronique d’une Constituante », qui paraîtra ce 26 janvier, aux éditions Déméter, à la faveur de l’anniversaire de la nouvelle Constitution, se trouvera ainsi renforcé par le récit de Selma Mabrouk. Sous le titre de « Le Bras de fer 2011 - 2014), qui vient de paraître aux éditions Arabesques, elle nous fait vivre des moments forts d’une lutte contre la dictature et pour les libertés, menée avant le 14 janvier 2011, et qui s’est poursuivie depuis lors pour l’ancrage de la démocratie et en opposition à l’islamisation de la société. Tout y passe : la dérive de la Troïka, puis sa déchéance, les zizanies, les désillusions, les blessures et les espoirs.
Dans une introduction de son livre, Selma Mabrouk nous confie pourquoi elle a décidé de s’y mettre et la trame de son récit.

Les influences réciproques entre la rue et sous la Coupole

Par cet ouvrage, j’ai souhaité apporter un témoignage de la période de transition 2011-2014 d’un point de vue « in situ » de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), et selon une lecture des évènements qui vise à mettre en évidence les influences réciproques entre « la rue » et « la coupole» ainsi que les différents mécanismes, dont les dénominations sont devenues une part familière du lexique politico-médiatique, tel que « l’alliance » ou « la coalition » partisane, le rapport entre « opposition » et « majorité parlementaire » (et les enjeux du règlement intérieur de l’assemblée), les différents « dialogues nationaux » et la quête du fameux « consensus » qui a enfanté, en fin de course, la constitution de la deuxième République.
Dès le début de mon mandat, j’avais pris des notes régulièrement, retranscrivant un bon nombre d’échanges au sein des commissions et lors des plénières. Après le vote de la constitution, l’idée de compiler ces données et de les publier a commencé à germer jusqu’à m’apparaitre comme une nécessité à l’orée du nouveau mandat parlementaire de l’Assemblée des Représentants du Peuple lorsque son nouveau président à peine investi a déclaré vouloir « faire oublier l’ANC ». En effet, quoiqu’en puisse penser de la période 2011-2014, il ne fait aucun doute pour moi que chaque parcelle de notre histoire doit être décortiquée pour en comprendre les ressorts, afin de mieux aborder l’avenir. Le choix malheureux de gommer les traces des « prédécesseurs » par les tenants du pouvoir en place et l’état embryonnaire des processus de conservation et d’exploitation des archives institutionnelles ayant suffisamment fait de dégâts jusque-là, avec pour résultat une mémoire nationale morcelée, véritable « pain béni » pour l’exploitation politique du moment et ses vents contraires opportunistes.
Après les maintes restructurations à la lumière des remarques généreuses de conseillers que je remercie vivement, j’espère que cet ouvrage apportera quelques éclaircissements et contribuera un tant soit peu à l’analyse de la période 2011-2014.

Le bras de fer

«Le bras de fer» passe en revue d’abord le déclenchement de la révolution et la première période transitoire tels que je les avais vécus, en particulier ce qui m’amena à m’investir dans l’action citoyenne puis politique et enfin à candidater pour un mandat de députée constituante alors que je n’avais pas de « passé politique ». Ensuite, il aborde la campagne électorale de 2011 (menée sous les couleurs du parti Ettakatol) avec ses enjeux identitaires, son « fruit », l’alliance tripartite connue sous le nom de Troïka et l’impact de celle-ci, ressenti dès les premières heures de vie de l’ANC, essayant de décrypter ce qui allait préparer tout autant l’installation de l’hégémonie d’Ennahdha que l’endiguement de l’action de ceux qui avaient d’emblée choisi de jouer le rôle d’opposition parlementaire. La domination du parti ayant bénéficié seulement d’une majorité relative à l’assemblée s’exprimera en effet par de multiples faits dont je choisis ceux qui témoignent le mieux à mon sens de sa volonté hégémonique et de son objectif « d’islamisation de la société », ainsi que du face-à-face de plus en plus vif avec une société civile alerte et réactive. Le sous-chapitre « installation de l’hégémonie d’Ennahdha » s’attelle ainsi à rapporter les aléas des débats au sein de l’assemblée dans un climat général de plus en plus tendu exacerbé par une violence publique qui s’aggrave de jour en jour à la faveur d’une attitude plus qu’ambiguë du pouvoir en place. Les faits d’armes se succèdent donc, de l’Affaire de la Faculté de la Mannouba à la révocation du gouverneur de la Banque Centrale en passant par les restrictions aux libertés, la prise en otage des mosquées et les tentatives de mettre au pas la Justice et la Presse.
Cette « islamisation de la société » s’invite, bien entendu et par tous les moyens, dans l’antre de l’assemblée. Pour ce volet, mon analyse se base essentiellement sur les travaux des commissions dont j’ai été membre. Pour l’année 2012, c’est en premier lieu la commission constitutionnelle des droits et des libertés, mais aussi la commission d’enquête sur les évènements du 9 avril 2012, sans oublier le comité de relation avec les citoyens et la société civile. Pour l’année 2013, ce sera de l’intérieur de la commission des consensus constitutionnels et du comité de liaison avec le Dialogue National que j’apporterai mon témoignage.

Etat religieux versus Etat civil

L’équation insoluble « Etat religieux versus Etat civil » à laquelle a été confrontée la majeure partie des commissions constitutionnelles se répercute sur « la rue », les manifestations populaires se démultiplient avec leur pendant, devenu habituel, la riposte sécuritaire et judiciaire du pouvoir mais aussi celle de milices violentes désinhibées. L’été 2012 commencera ainsi sous les feux de l’Affaire Abdellya, pour déboucher sur l’Affaire de la « Complémentarité » et sa grande marche populaire du 13 août qui conjugua célébration du Code du Statut Personnel et rejet de la proposition nahdhaoui.
Le premier anniversaire de l’élection de l’assemblée constituante se rapproche donc sans espoir de conclure sur le plan constitutionnel. Pire, le refus de la Troïka de limiter la durée du mandat de l’assemblée sur le plan législatif se confirme sur le terrain. Ennahdha et le CPR rechignent à participer au premier dialogue national initié par l’UGTT dans le but d’entamer des négociations autour de cette légitimité électorale en fin de course. La raison invoquée est éloquente, c’est la participation de Nida Tounès, nouveau-ancien venu sur la scène politique. En effet, l’influence de ceux qu’on a longuement affublé du dénominatif « azlem », les caciques de l’ancien régime, se retrouve au centre d’innombrables manipulations autant stratégiques qu’électoralistes de la part de l’alliance tripartite, chaque parti à son rythme et à son heure, avec des conséquences tragiques sur le climat de fracture sociétale et politique, les prétextes aux violences publiques au départ menées sous la bannière identitaire récupérant cet argument irréfutable du « contre-révolutionnaire », ennemi à abattre de premier choix et finissant par dégénérer en meurtre politique. Les milices violentes jouissant d’une carte blanche de plus en plus évidente se complaisent désormais à mélanger les accusations d’apostasie, le takfir, à celles de traîtrise envers la désormais « sacro-sainte » révolution. Les attaques par des groupes mêlant pêle-mêle Salafistes et « ligues de la protection de la révolution » s’accumulent, visant l’ambassade des USA, le siège de l’UGTT, ou encore un meeting de Nida Tounès, pendant que le pouvoir en place use de la « force légitime » à coup de chevrotine contre la population de Seliana. En cette fin d’année 2012, les tragédies nationales vont bientôt prendre le visage hideux de l’assassinat politique et des attentats terroristes.

Les terribles dérives de la Troïka

Il va sans dire que les terribles dérives de la Troïka eurent un impact sur mon statut politique, à l’instar d’un bon nombre de mes collègues, aboutissant en octobre 2012 à ma démission d’Ettakatol. Je décortique ce « désenchantement » au fur et à mesure d’évènements jugés refléter au mieux les dysfonctionnements de l’alliance au pouvoir en insistant particulièrement sur l’Affaire Baghdédi et ses zones d’ombres encore d’actualité, sur la motion de censure qui en avait découlé portée contre le gouvernement Jebali et sur la mise en place du nouveau gouverneur de la Banque Centrale. Enfin, c’est la contamination du processus de rédaction de la constitution par le « marché conclu » entre les trois partis au pouvoir qui sera la « goutte qui fera déborder mon vase ».
Ainsi, dès sa première année de vie, la Troïka avait démontré l’impossible gageure quand l’un des partenaires est un tenant de l’Islam politique : Etablir une coalition au pouvoir équilibrée et œuvrer pour la mise en place d’un mécanisme démocratique. Au-delà de la faiblesse plus ou moins complaisante des deux acolytes CPR et Ettakatol, la question, tant plébiscitée sous les cieux des pays amis d’Occident, de la compatibilité entre démocratie et « Islam » apparaît au fil des évènements ne pouvoir s’écrire à l’encre de ce dogmatisme ambitionnant d’instaurer un Etat religieux, et badinant avec la stabilité du pays, voire avec sa souveraineté aux grès des influences de nations étrangères d’Est ou d’Ouest, cet état de fait réunissant dans un même panier ceux qu’on qualifie volontiers de « modérés » ou « d’extrémistes », la différence entre « colombes » et « faucons », échappant, comme je le souligne dans cet ouvrage, aux apprentis ornithologues que nous sommes.

La zizanie

L’année 2013 s’annonce donc pleine d’incertitudes. La zizanie qui œuvrait en sourdine dès les premières semaines de 2011 finit par enfanter une déflagration gigantesque qui secoua la Tunisie de part en part, du Nord au Sud et d’Est en Ouest, faisant déferler dans les rues plus d’un million de citoyens (soit un dixième de la population) en une marche pacifique à la magnificence tragique. L’assassinat de Chokri Belaid le 6 février 2013 inaugure ainsi le chapitre dont cet ouvrage tire son titre : « le bras de fer s’engage… ». Un véritable tournant s’opère, bousculant les codes établis l’année précédente. Les « zéros virgule » (l’opposition minoritaire) s’organisent tandis que la majorité troïkiste s’affole. Dans ce climat tendu à l’extrême, le paysage politique mue, des alliances se nouent, des compromis se mettent en place de façon plus ou moins transparente. L’on met en place la deuxième Troïka, avec des ministres régaliens présentés comme indépendants.
L’heure est pour les tenants de l’Islamisme politique de trancher sur le plan constitutionnel, et vite. En juin 2013, le projet de la constitution dit « projet du 1er juin » est paraphé en catimini à l’assemblée. Sont présents bien entendu des députés d’Ennahdha, mais aussi d’Ettakatol et pas seulement…
Comment s’est-on retrouvé avec ce « manuel de dictature islamiste » malgré les batailles antérieures gagnées grâce aux efforts conjoints de l’opposition parlementaire et de la société civile, mais aussi de députés d’autres horizons ? Le processus ayant abouti à ce « coup de poker d’Ennahdha » est au cœur de mon ouvrage. C’est en effet la rencontre explosive entre une majorité islamiste qui met à profit, à la faveur de complaisances évidentes, un verrouillage implacable des rouages institutionnels, et une minorité têtue qui bénéficie d’un renfort tout aussi inattendu que significatif. Le point d’orgue de cet épisode sera la séance extraordinaire du 1er juillet 2013 censée être consacrée à la présentation officielle du projet de constitution contesté et qui sera finalement interrompue, certaines personnalités « de poids » invitées pour l’occasion quittant la salle, laissant derrière elles les uns qui ruminent sous le coup d’une grande déception et les autres qui renouent avec l’espoir d’empêcher l’aval constitutionnel qui avait failli être apporté à la dictature islamiste en marche.
Les événements s’enchainent dans un climat géopolitique extrêmement tendu où les pays concernés par le « printemps arabe » subissent des soubresauts divers depuis des mois et où a éclot un mal terrible, le terrorisme djihadiste. A l’orée de ce mois de juillet 2013, le général Sissi renverse la vapeur en Egypte et jette en prison le président déchu proche des Frères Musulmans, mouvance internationale aux tentacules innombrables. A l’assemblée et ailleurs, les « pro » et les « anti » Sissi s’affronte et les joutes verbales s’enveniment.

La rédaction de la Constitution

Qu’advient-il du processus de rédaction de la constitution ? Une commission devant se charger de trouver des consensus constitutionnels est créée. Sa composition doit faire écho aux dialogues nationaux entrepris sous l’égide des organisations civiles connues depuis sous le nom de Quartet (UGTT, UTICA, LTDH et Ordre des Avocats). Je me porte candidate pour représenter mon parti El Massar (auquel j’avais adhéré quelques mois auparavant). Le rapport des premiers travaux de la commission des consensus constitutionnels (CCC) est l’occasion de s’attarder sur ce précieux sésame, le consensus, plébiscité volontiers dans les discours des leaders d’Ennahdha et de ses alliés. Dans « l’irrésistible fragilité du consensus », j’essaye d’en décortiquer le cheminement et ses nombreux dérapages vers des compromis flirtant avec la compromission. La mise en place de la CCC reflète en effet les efforts des « opposants au projet du 1er juin » en vue de se prémunir de telles dérives. A la veille du 25 juillet 2013, après quelques réussites enregistrées dans le domaine des droits et des libertés, un blocage tenace se profile lors des négociations sur la relation entre Etat et religion. Conjointement, l’élection des membres du conseil de l’instance constitutionnelle chargée des élections (ISIE) se heurte à une impasse. La fête de la République sera l’autel où sera sacrifié mon collègue député Mohamed Brahmi, assassiné devant chez lui par quatorze balles traîtresses.

La Troïka dos au mur

Comme je le relate dans «la Troïka dos au mur», « j’ai l’impression que tout s’arrête pour nous. Il n’était plus question de passer des heures en déblatérations stériles sur des questions artificielles qui épuisent à petit feu l’énergie de tout un Peuple avide d’une véritable renaissance et à qui l’on est en train de voler son rêve ». Les réunions des députés de l’opposition et des partis démocrates s’enchainent. Un Front de Salut National est créé, réunissant pour la première fois Nida Tounès et la Jebha, en passant par les partis El Joumhoury et El Massar, tandis que les partis Afek et Tahalof Dimocrati optent pour accompagner cette large alliance de l’extérieur. L’on décide de se retirer de l’assemblée, exigeant la démission du gouvernement et la dissolution de l’ANC, tandis que se cristallise un mouvement auto-baptisé mourabitouns qui s’accroche à une légitimité électorale défunte et s’entête, même après la providentielle clôture de la vénérable institution décidée par son président, à hanter ses couloirs inanimés. Dans la rue, le face-à-face entre monçahibouns et mourabitouns est atteint d’un gigantisme périlleux.
Bien que la balance du nombre soit clairement en faveur des progressistes, les « légitimistes » se rebiffent et menacent. Progressivement, la table de négociation est rouverte. Au sein de ce énième dialogue national, comment ne pas perdre la partie quand le partenaire a pour seules règles de conduite les volte-face et le non-respect des engagements ? Quel a été le rôle des députés retirés dans ce pêle-mêle d’interfaces de dialogue plus ou moins officielles ? En relatant, selon les données en ma possession, notre action au niveau du sit-in Errahil puis au sein de l’ANC, j’ai essayé de mettre en exergue l’importance majeure de cet acteur plutôt méconnu du Dialogue National et de l’application de sa Feuille de Route, qu’est le groupe de députés retirés. En fin de compte, l’annonce officielle de la démission du chef de gouvernement Ali Laaraiedh n’a-t-elle pas été consentie comme contrepartie de notre engagement de retourner à l’assemblée ?
Les derniers chapitres du «Bras de fer» abordent le vote de la constitution avec la mise en évidence des péripéties rencontrées pendant la négociation des litiges au sein d’une structure (la CCC) susceptible de renouer à chaque instant avec les vicissitudes passées de la logique majorité versus minorité, concoctée à la sauce troïkiste, devenue pourtant caduque depuis l’engagement de la plupart des partis, et d’Ennahdha en particulier, à respecter la Feuille de Route. Dans ce dernier match, nous regagnons le soutien de certains opposants au projet du 1er juin que l’on avait perdu lors d’Errahil, tout en nous accommodant comme l’on pouvait avec les positions parfois à contre-sens d’autres compagnons de route. De ce charivari où les négociations sur la composition du nouveau gouvernement, sur l’élection de l’ISIE et sur les litiges constitutionnels se sont entremêlées, s’accélérant parfois à un rythme fou pour freiner ensuite à la faveur d’un volte-face opportun, faisant basculer les rencontres dans des coulisses plus ou moins opaques, nait le 26 janvier 2014 la constitution de la deuxième République.

La déchéance de la Troïka 

La troisième période transitionnelle s’ouvre ainsi avec l’investiture de Mehdi Jomâa, nouveau chef d’un gouvernement technocrate.
La déchéance de la Troïka a-t-elle résous les problèmes ?
La réponse ne peut être avancée de façon simpliste. J’essaye, à travers une analyse d’éléments divers jugés significatifs d’apporter une part de clarification. Ainsi, qu’est-il advenu des mécanismes de contre-pouvoir, indispensables à l’édification d’une démocratie ? Durant le règne de la Troïka, la mise en place d’une instance provisoire de la magistrature et d’une instance de régulation des médias n’a pas été sans heurts pour cette « assemblée sous influence », tout autant que l’instauration d’une transparence des travaux. L’enquête parlementaire sur les débordements violents du 9 avril 2012 et les diverses motions de censure, outils de contrôle de l’exécutif par le législatif, inscrits en bonne et due forme dans l’organisation provisoire des pouvoirs publics, ont été dévitalisés à petit feu. Cette aptitude à étouffer de telles « velléités » se poursuivra même lorsque l’assemblée passera sous le contrôle de la Feuille de Route, exposant, entre autre, le nouveau responsable de la Sécurité Nationale à une mise en scène pathétique puis aboutissant en fin de mandat au blocage pur et simple de l’adoption d’une loi contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.

Le ballet inhabituel de ministres nahdhaouis

Même le texte constitutionnel n’avait pu échapper aux chantages divers, certains exposés aux yeux du public averti et d’autres dont seul l’écho lointain nous parvenait. Ainsi il en sera des dispositions transitoires, mais aussi de l’article 73, de l’article 38 atteint en plein vol d’une flèche empoisonnée partiellement neutralisée et surtout de l’article 6 pour lequel des concessions frustrantes sont, tout d’un coup, proposées avec insistance pendant qu’un ballet inhabituel de ministres nahdhaouis anime les couloirs.
Les bémols ne manquent pas donc, auxquelles s’ajoute une faille de la transition démocratique à l’impact déterminant. En effet, à la faveur de l’hégémonie implacable d’Ennahdha, a pu s’opérer la mise au pas du processus de Justice Transitionnelle et le freinage absolu de la lutte contre la corruption, entrainant dans son sillage, manipulations d’opinion et opacité des transactions financières. Et c’est dans ce climat que sera adopté un nouveau-ancien code électoral à la faveur d’un rapprochement prévisible mais non souhaitable.

Désillusions et blessures

A la fin du mandat, le 22 novembre 2014, bien des questions restent donc en suspens. Dans ma conclusion « l’épreuve continu », j’ai opté pour ne pas modifier à la faveur de l’actualité les interrogations que j’avais pendant l’année 2015. En particulier, le paysage politique, dont la mutation en profondeur a été reflétée par l’assemblée nationale constituante sous l’effet de ce qui a été appelé « le nomadisme parlementaire », s’acheminera-t-il vers une stabilisation entre camps bien définis et dans le cadre suprême de la civilité de l’Etat inscrit dans la constitution ?
En dépit des nombreuses remises en question et autres « désillusions », je garde certaines convictions qui persistent, tenaces, ayant trait au texte constitutionnel final qui, malgré ses «blessures » (dont le désaveu incompréhensible subi par notre identité méditerranéenne), est amplement prometteur, un tant soit peu que la volonté de l’appliquer soit au rendez-vous. Ainsi en est-il des mécanismes démocratiques inscrits et ainsi en est-il de l’absolue nécessité d’engranger une « révolution économique » à la lumière de certains articles novateurs.
 
Selma Mabrouk,
Députée constituante.