News - 21.12.2017

GAFI - La Tunisie sur la liste des pays présentant des défaillances stratégiques en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et financement du terrorisme

GAFI - Encore une injustice : La Tunisie « pays présentant des défaillances stratégiques en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et financement du terrorisme »

Par Samir Brahimi, Secrétaire général du CIPED(1) - La Tunisie a été inscrite au début du mois de Novembre 2016, sur la liste des pays dont les dispositifs de de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA/FT) présentent des déficiences stratégiques, établie par le Groupe d’Action Financière (GAFI).
Cette décision est intervenue lors de la plénière du GAFI, tenue les 29 Octobre/3 Novembre 2017 à Buenos Aires et plus d’un an après l’adoption en Avril 2016 du Rapport d’Evaluation de notre dispositif national établi par les experts de la Banque mondiale et validé parle Groupe d’Action Financière Moyen Orient/ Afrique du Nord (GAFIMOAN), l’un des organismes régionaux de style GAFI et qui regroupe 19 pays de la région MENA, dont la Tunisie et nombre de pays et organisations internationales, ayant la qualité d’observateurs(USA, GB, France, Espagne, Australie, Somalie, NU, FMI, FMA, BM, CCG, etc.).
L’évaluation porte sur le degré de « conformité technique » de notre système LBA/FT aux normes internationales, d’une part et sur son « efficacité », d’autre part. Les conclusions du Rapport sur ce second aspect sont particulièrement négatives, ce qui explique l’inscription de la Tunisie sur la liste précitée.
Pour sortir de cette liste, la Tunisie a dû signer « un engagement politique de haut niveau » d’exécuter « un plan d’action » qui couvre divers aspects de son dispositif (voir infra) avant janvier 2019 et le fera sous suivi rapproché du GAFI et du GAFIMOAN. Eclairages

Introduction

1) Le CIPED publiera prochainement son rapport sur le dispositif tunisien de lutte contre le financement du terrorisme. Approuvé récemment, par le Conseil scientifique, le rapport identifie les risques liés à cette infraction en Tunisie et ses causes principales et étale en détail les vulnérabilités du dispositif actuel, avant de proposer les solutions à même d’en améliorer le rendement. Le rapport ne traite pas, sauf incidemment du délit de blanchiment d’argent, non pas parce que ce n’est pas important, mais parce que pour le CIPED, le financement du terrorisme constitue sans doute la plus grande menace qui guette actuellement la Tunisie.

2) En attendant, il est utile d’éclairer la lanterne du public sur l’appréciation faite par l’instance internationale la plus représentative dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA/FT), le Groupe d’Action Financière (GAFI), sur la qualité de notre dispositif national et sur les effet sinduits de cette appréciation.
Ce papier intervient à un moment où la Tunisie vient de rejoindre la liste des pays et juridictions présentant des « déficiences stratégiques » par le GAFI, une nouvelle version de ce qui est communément appelé « Liste noire » ou « Black List ».

Quelques remarques préliminaires, d’abord  

Premièrement- La Banque centrale, par l’entregent de la CTAF, a communiqué autour de cet évènement le 9 Novembre dernier. Le communiqué, tout en rappelant les étapes qui ont marqué le processus d’évaluation et de suivi du dispositif national LBA/FT, ne renseigne pas cependant, de manière claire sur les mesures adoptées au plan international à l’encontre du pays. Ceci explique, du moins en partie, le peu d’intérêt, malgré son importance, qu’a suscité ce dossier auprès des médias et de l’opinion publique. (Cf. communiqué de la CTAF, sur son site web :https://ctaf.bct.gov.tn),d’autant que cet évènement a coïncidé avec l’autre inscription du pays cette fois-ci par l’Union Européenne, sur la liste des pays ou juridictions « opaques ou non coopératives », ou« liste noire des paradis fiscaux ».
Le deuxième Communiqué, de Décembre, souligne à raison d’ailleurs, les témoignages positifs exprimés lors de la discussion du Rapport de suivi dans l’enceinte du GAFIMOAN, par certains membres observateurs, compte tenu des avancées réalisées par le pays dans le domaine. Il ne dit pas toutefois que la Tunisie demeure soumise au mécanisme dit de « Suivi renforcé » (المتابعة المعززة), dont la périodicité est annuelle, contrairement au mécanisme dit d’actualisation (التحديث), qui s’opère tous les deux ans.
Deuxièmement – La Tunisie a fourni des efforts significatifs pour améliorer son dispositif LBA/FT, efforts qui se sont accélérés au cours des deux dernières années, à l’occasion de la deuxième évaluation de son système LBA/FT. Le mérite revient en particulier, à l’équipe du Secrétariat général de la CTAF. Ceci lui a valu, dans le cadre du mécanisme de suivi conduit par le Groupe d’Action Financière Moyen Orient/ Afrique du Nord (GAFIMOAN), au début du mois en cours, la revalorisation de nombre de notations attribuées dans le Rapport d’Evaluation Mutuelle (REM), adopté par cette instance régionale de style GAFI, en Avril 2016.

Elle l’a fait cependant de manière globalement insuffisante et peu ordonnée puisque lors du même exercice de suivi, certaines notations ont même été revues à la baisse.

Elle l’a fait par ailleurs de manière lente comme le démontre le temps (cinq années entières) qui sépare la finalisation de l’Evaluation Nationale des Risques, premier jalon dans le dispositif LBA/FT, intervenue au mois d’Avril 2017 et l’entrée en vigueur du nouveau standard du GAFI paru en Février 2012.

Elle l’a fait enfin de manière largement disproportionnée par rapport aux nouveaux risques apparus depuis 2011, en particulier, la prolifération sans précédent du terrorisme et bien évidemment de son financement et de la criminalité financière, notamment, le blanchiment d’argent et ses délits sous-jacents.

Troisièmement - Dans deux statuts récents du président du CIPED, Taoufik Baccar et du secrétaire général, les autorités ont été mises en garde contre les implications fâcheuses de la lenteur observée dans la mise en œuvre effective du dispositif national en la matière et prévenues en particulier sur le fait que «si elle ne s’efforçait pas à pallier rapidement, aux insuffisances signalées dans le REM de 2016, Il serait fort à craindre que la Tunisie soit inscrite (…), dans la liste publique des pays et juridictions accusant des «déficiences stratégiques» établie par le GAFI, tout en rappelant la gravité de l’enjeu, car (soulignent les statuts) «ce genre de mesure entamera sérieusement la réputation du site Tunisie d’autant qu’il coïncide avec la baisse vertigineuse de la notation souveraine, engagera le pays dans un processus long et pénible de redressement sous un suivi international rapproché et sévère et risque fort du reste, de dissuader les « bons » investisseurs et d’attirer les "moins bons"».
Il semble d’ailleurs que nombre de banques étrangères ont rompu leur relation de correspondant bancaire avec certaines banques tunisiennes, pour défaut de conformité aux normes du GAFI ; ce qui est grave. Aux dernières rumeurs, il parait qu’une banque publique n’en a plus du tout!

De quoi s’agit-il au juste ?

3. La qualité des dispositifs nationaux LBA/FT est évaluée par référence essentiellement à des normes internationales élaborées par le « Groupe d’Action Financière » (GAFI).

D’autres évaluations sont réalisées par d’autres instances comme par exemple, le Comité de Bale.

4. Le GAFI est un organisme intergouvernemental créé en 1989 par le G7. Il siège à l’OCDE et a reçu pour mandat d’élaborer et de promouvoir des politiques visant à combattre, sur les plans national et international, le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme (depuis les évènements du 11 Septembre 2001) et la prolifération des armes de destruction massive (depuis 2012).

Le GAFI a élaboré une série de Recommandations reconnues comme étant la norme internationale en la matière. Publiées en 1990, ces Recommandations ont été révisées en 1996, 2001, 2003 et plus récemment en 2012 afin d’assurer qu’elles restent d’actualité et pertinentes.  

Les Recommandations du GAFI définissent les mesures essentielles que les pays devraient mettre en place pour : (i) identifier les risques et développer des politiques et une coordination au  niveau national ;  (ii) agir contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le  financement de la prolifération des armes de destruction massive; (iii) mettre en œuvre des mesures préventives pour le secteur financier et d’autres secteurs;  (iv) doter les autorités compétentes (par exemple, les autorités chargées des  enquêtes, les autorités de poursuite pénale et les autorités de contrôle) des pouvoirs et des responsabilités nécessaires ; (v) renforcer la transparence et la disponibilité des informations sur les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions juridiques ;  et (vi) faciliter la coopération internationale.

5. Tous les pays du monde ont posé des législations qui déclinent au plan national, les Recommandations du GAFI. La Tunisie s’est dotée d’une législation en la matière, depuis 2003 revue pour être améliorée en 2009, puis en 2016.

6. L’appréciation de la qualité des dispositifs mis en place par les pays s’effectue à travers un mécanisme appelé « Evaluation mutuelle » (c’est à dire que les pays s’évaluent mutuellement), suivant un calendrier défini à l’avance et une démarche procédurale appelée « Méthodologie »,afin d’assurer l’uniformité de l’exercice et son objectivité.

L’évaluation se compose de deux parties :

(i) L'évaluation de la conformité technique aborde les exigences spécifiques des Recommandations du GAFI, principalement en ce qui concerne le cadre juridique et institutionnel du pays ainsi que les pouvoirs et les procédures des autorités compétentes. Ces éléments représentent les fondements d'un système de LBC/FT.
(ii) L'évaluation de l'efficacité diffère fondamentalement de l'évaluation de la conformité technique. Elle vise à évaluer la qualité de la mise en œuvre des Recommandations du GAFI et à déterminer dans quelle mesure un pays obtient un ensemble défini de résultats (Out Comes) qui sont essentiels à la solidité d’un système de LBC/FT. L'évaluation de l'efficacité mesure donc comment le cadre juridique et institutionnel produit les résultats escomptés.

7. La grande particularité du standard du GAFI est qu’il accorde au secteur privé (secteur financier bancaire et non bancaire et certaines entreprises et professions non financières (EPNFD): professions du droit et du chiffre, agences immobilières, casinos, marchands d’objets précieux, etc.), un rôle qui d’ordinaire, n’est pas le sien : détecter grâce à un dispositif interne de vigilance, les opérations ou transactions suspectes et les déclarer à une structure créée par un texte contraignant et dotée de pouvoirs d’investigation consistants: la Cellule de Renseignement Financier. Celle-ci analyse les faits rapportés dans la déclaration et décide soit de classer le dossier, soit, lorsque les indices du soupçon sont sérieux et concordants, de le transmettre à l’autorité judiciaire compétente. Elle peut aussi décider (dans certains pays), du gel des avoirs suspects.

8. Le GAFI, en collaboration avec d’autres acteurs internationaux (FMI, BM, etc.), surveille les progrès réalisés par les pays, dans la mise en œuvre des mesures requises par le biais des « évaluations mutuelles » et identifie au niveau des pays, les vulnérabilités afin de protéger le secteur financier international contre son utilisation à des fins illicites. Il est relayé par les « Organismes Régionaux de Style GAFI », parmi lesquels figure le « Groupe d’Action Financière Moyen Orient/ Afrique du Nord (GAFIMOAN), fondé en 2004 et qui comprend tous les pays arabes, y compris la Tunisie, pays fondateur, outre des pays et des organisations en qualité d’observateurs.
L’évaluation se fait sur la base des Recommandations qui constituent le standard, quarante (40) au total. Au titre de chaque Recommandation, il est attribué une note qui varie entre « conforme », « largement conforme », « partiellement conforme » et « non conforme ». Elle est réalisée par des experts du domaine.

9. La Tunisie a fait l’objet de deux évaluations conduites par les équipes d’évaluateurs de la Banque mondiale. La première a été réalisée en 2006 sur la base des « Quarante Recommandations » de 2003 relatives au blanchiment d’argent et des « Neuf Recommandations Spéciales » de 2001 et 2004 relatives au financement du terrorisme(les 40+9).  La seconde évaluation a été réalisée en 2015 sur la base des Recommandations du GAFI de 2012, ramenées à quarante (40) seulement, après la fusion des (40+9).
Les deux évaluations ont été discutées et validées par la Plénière du GAFIMOAN, réunie en 2007 à la mer morte (Jordanie) et en 2016, à Doha (Qatar).

10. Pour ce qui concerne la première évaluation, la notation de la Tunisie a donc porté uniquement sur la conformité. Elle était globalement satisfaisante, compte tenu du fait que le dispositif était encore tout récent (2003) et parce que les notes obtenues au titre du noyau dur des Recommandations (« Core & Kees », seize au total) lui ont valu la non inscription sur la liste des juridictions présentant de « déficiences stratégiques » qui comprenait entre autres, tous les pays du Maghreb, la Syrie, la Jordanie, le Yémen, le Soudan, etc. Mieux la Tunisie a pu bénéficier, comme le seul pays de la région, du régime de suivi régulier le plus favorable (deux ans), contre 6/12 mois pour tous les autres pays, et ce grâce notamment à la révision de la loi LBA/FT en 2009, révision qui a permis de combler l’essentiel des failles qui caractérisait le premier texte de 2003,lesquelles failles s’expliquaient par l’absence d’expertise nationale dans le domaine.

11. Dans la deuxième évaluation, intervenue neuf ans après, la notation du niveau de conformité a été maintenue ou amélioré au titre de certaines Recommandations, mais curieusement, baissée au titre d’autres. La plus grande satisfaction est venue de la CTAF, avec une notation qui a évolué de « partiellement conforme » à « largement conforme ». En revanche, la notation a baissé en particulier au titre de la Recommandation relative aux autorités de contrôle, passant de « partiellement conforme » à « non conforme » ! (Notation revalorisée à son niveau d’origine dans le Rapport de suivi de Décembre 2012 précité).
Il est à noter à ce propos, que cette deuxième évaluation n’a pas pris en compte les améliorations introduites au niveau du cadre légal, notamment par la loi organique n°2015-26 du 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent, car ce texte n’était pas encore promulgué au moment de la visite sur place, de l’équipe d’évaluation de la Banque mondiale.

12. Quant à l’efficacité d’un dispositif LBA/FT, elle s’apprécie conformément au nouveau standard, sur la base de critères précis qui couvrent comme précisé plus haut, la dimension opérationnelle des mécanismes mis en place.
Sur les 11 chapitres relatifs à l’efficacité, la Tunisie a obtenu des notations qui oscillent entre « faible » (6) et « Modéré » (5). Aucune notation du niveau « Élevé » ou « Significatif », n’a été obtenue.

Notre appréciation

13. L’opinion dominante, même au sein de la Banque centrale, sur le dispositif tunisien LBA/FT est que la CTAF y constitue la pièce maitresse et en assume la part de responsabilité la plus importante. Cette opinion est complètement erronée et doit être corrigée au plus vite.

Pour schématiser, le dispositif mis en place par le GAFI et repris par les lois en Tunisie, rappelle l’analyse systémique de David Easton. Sous cette approche, imaginons que le dispositif LBA/FT soit une vaste boîte noire. Des inputs (demandes)entrent dans la boîte et sont converties en outputs (réponses). Par effet de rétroaction « Feed-back », ceux-ci contribuent à produire de nouveaux inputs et ainsi de suite. 
La transposition de cette approche au dispositif LBA/FT donne ceci :

(i) La sphère des inputs est constituée des déclarations d’opérations suspectes(DS) fournies par les composantes du secteur privé défini plus haut.

(ii) La sphère des out puts est constituée des suites réservées aux DS, par la CTAF et les autorités judiciaires et qui conduisent à transformer le soupçon de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme en infraction de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.

Sans inputs, c’est à dire, sans DS, la CTAF, ne peut valablement fonctionner, comme d’ailleurs toute la sphère des outputs et au final, tout le dispositif.

Or, pour que le secteur privé puisse nourrir le système, les superviseurs doivent conformément à l’article 115 de la loi LBA/FT,(i) mettre en place des programmes et des mesures d’application en matière de LBA/FT, y compris notamment, un dispositif de détection des opérations et des transactions suspectes, des règles de contrôle interne afin de s’assurer de l’efficacité dudit dispositif et des programmes de formation continu au profit des personnels ; de (ii) contrôler leur respect et de (iii) prononcer le cas échéant, des sanctions dissuasives en cas de manquement.

A cela s’ajoute l’incapacité de la CTAF d’examiner dans des délais pertinents, les flux de DS reçues, faute de ressources humaines suffisantes et de transmettre aux autorités judiciaires les dossiers comportant des soupçons sérieux, dans des délais pertinents. 

D’après le rapport de la CTAF au titre de l’année 2015, l’encours des DS s’établit, au terme de 2015, à 1161 DS, contre 891 au titre de l’année 2014, ce qui est tout simplement énorme quand on sait que le nombre total de DS reçues depuis 2005 totalise à fin 2015, 1806 DS. En d’autres termes, les DS non traitées par la CTAF à cette date, représentent environ deux tiers de l’ensemble des DS reçues !

14. La défaillance des autorités de supervision en matière LBA/ FT est manifeste et leur responsabilité dans la perméabilité du dispositif national à travers les institutions financières et les EPNFD, aisément démontrable.

Dans la logique de l’approche fondée sur les risques, la part de responsabilité de la Banque centrale demeure toutefois relativement plus importante, pour des raisons évidentes: (i) Le système bancaire accapare l’essentiel des transactions financières et exerce sous son contrôle, (ii) Elle préside la CTAF et son Comité d’Orientation et à ce titre, elle est l’autorité la plus impliquée dans production desrègles, des stratégies et des politiques LBA/ FT, (iii) Elle pourvoit aux dépenses de la CTAF  et (iv) à travers celle-ci, elle représente la Tunisie auprès des instances internationales actives dans le domaine (GAFI, GAFIMOAN, Groupe Egmont, etc.) et est censée de ce fait, être la mieux informée et la plus sensibleaux enjeux et aux risques attachés à toute défaillance nationale en la matière.

Selon le Rapport d’évaluation, la faible appréhension des risques de LBA/FT, chez le secteur privé financier et non financier défini supra,  s’explique dans une large mesure par une mobilisation assez limitée des autorités de contrôle, qui ne semblent pas eux-mêmes en mesure d’évaluer l’exposition des secteurs soumis à leur contrôle aux risques de BC/FT, en raison notamment de la quasi absence des contrôles sur place, de l’insuffisance des ressources dédiées et de l’absence de procédures spécifiques au personnel de contrôle. Pire, les contrôles sur pièce ne sont pas réalisés et se fondent uniquement pour ce qui concerne le secteur bancaire, sur les rapports de contrôle interne et les conclusions des commissaires aux comptes !

Faute de contrôle, les autorités compétentes n’ont infligé aucune sanction concernant les manquements aux obligations LBA/FT.

Par ailleurs, aucune EPNFD n’est soumise à un dispositif de surveillance garantissant qu’elle respecte ses obligations en la matière, les autorités de contrôle n’étant pas encore mobilisées sur ces questions !

15. Bien entendu, les défaillances qui caractérisent le dispositif national ne concernent pas uniquement ces aspects, mais s’étendent à d’autres, comme par exemple, la non application de manière conforme et efficace des Résolutions du Conseil de sécurité des NU, en particulier, les Résolutions 1267 & 1373, les failles dans le dispositif juridique et institutionnel relatif au Registre du commerce, aux Associations, aux virements électroniques, aux remises de fonds alternatives, etc.

Les mesures adoptées par le GAFI a l’encontre de la Tunisie 

16. Le GAFI, à travers une de ses structures permanentes, en l’occurrence « Le Groupe d’Examen de la Coopération Internationale » (ICRG),suit de près les rapports d’évaluation et dispose de mécanismes de dissuasion à l’encontre des pays qui ne coopèrent pas et de mécanismes de pression à l’endroit de ceux dont les dispositifs LBA/FT accusent des défaillances dites « stratégiques ».  
Sur la base des résultats des analyses réalisées, les « juridictions à haut risque et/ou non coopératives » peuvent être publiquement identifiées dans l'un des deux documents publiés par le GAFI, trois fois par an.

Le premier document, la Déclaration publique du GAFI, identifie :

I. Les juridictions présentant des défaillances stratégiques en matière de LBA/FT et qui font l’objet d’un appel du GAFI à ses membres et aux autres juridictions, à appliquer des contre-mesures.

II. Les juridictions présentant des défaillances stratégiques en matière de LBA/FT qui n’ont pas fait de progrès suffisants ou qui ne se sont pas engagées à suivre un plan d’action élaboré avec le GAFI, afin de remédier à leurs défaillances.

En particulier, le GAFI a appelé ses membres et conseillé vivement tous les pays, de renforcer les mesures préventives et d’appliquer des contre-mesures efficaces vis-à-vis de l’Iran et de la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC), depuis respectivement février 2009 et février 2011.
Dans le deuxième document public du GAFI, intitulé : "Améliorer la conformité aux normes de LBC/FT dans le monde : Un processus permanent", le GAFI identifie les juridictions présentant des défaillances stratégiques en matière de LBA/FT mais ayant consenti, en vertu d’un engagement politique de haut niveau, de corriger ces défaillances par la mise en œuvre d’un plan d’action élaboré avec le GAFI.
Le GAFI et les GAFIs régionaux continuent de « travailler » avec ces pays et d’établir des rapports sur les progrès accomplis dans le redressement des déficiences constatées et les « appelle » à finaliser « promptement » leurs plans d’action et « dans les délais impartis ». Le GAFI « surveille étroitement »la mise en œuvre de leurs plans d’action et « encourage » ses membres à tenir compte des informations exposées dans le document.

17.La Tunisie figure dans ce deuxième document public à côté des pays et juridictions suivants :  la Bosnie Herzégovine, l’Ethiopie, l’Iraq, le Sri Lanka, la Syrie, Trinidad & Tobago, Vanuatu et le Yémen.
Il est à noter que l’absence de nombreux pays de la région MENA s’explique soit par le fait qu’ils soient déjà sortis de la liste(l’Algérie par exemple), soit parce que leur dispositif LBA/FT n’a pas encore été évalué ou est en cours d’évaluation sur la base du nouveau standard du GAFI et de la nouvelle « Méthodologie » de 2013.

En résumé et pour conclure

(i) La Tunisie a donc été inscrite sur la liste des juridictions présentant des défaillances stratégiques en matière de LBA/FT.

(ii) Elle a signé un engagement politique de haut niveau, ce que confirme la Déclaration publique du GAFI de Novembre 2017 et le Communiqué de la CTAF lorsqu’il évoque le CMR du 3 Novembre 2017.

(iii) Elle exécutera le Plan d’action suivant, avant la fin du mois de Janvier 2019 et qui comprend entre autres: (a)La mise en œuvre de l’approche fondée sur les risques pour ce qui concerne la supervision du système financier dans le domaine LBA/FT et la prise en charge de manière totale des entreprises et professions non financières désignées par le dispositif LBA/FT; (b) La mise en place d’un dispositif global et actualisé pour ce qui concerne le Registre du commerce et le renforcement du régime des sanctions applicables aux manquements aux règles de transparence ; (c) L’amélioration de l’efficacité du traitement des déclarations de soupçon et le renforcement des ressources (humaines) de la CTAF ; (d) La mise en place d’un instrument efficace pour l’exécution des sanctions financières relatives au gel des avoirs des terroristes conformément aux Résolutions onusiennes ; (e) Le contrôle des Associations de manière proportionnelle aux risques ; (f) La mise en place d’un instrument pour l’exécution des sanctions financières relatives aux Résolutions onusiennes contre la prolifération et le financement des armes de destruction massive.

(iv) Les membres du GAFI sont encouragés(entendre, invités)à tenir compte des informations exposées dans le document. En d’autres termes et jusqu’à l’achèvement concluant du plan d’action, la Tunisie demeurera une juridiction à risque en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ; ce qui n’est ni à ses vieilles habitudes, ni à son honneur. Elle sera dans l’intervalle, traitée comme telle par les autres pays et leurs institutions publiques actives dans le domaine ainsi que par leurs ressortissants, en particulier, les banques correspondantes et les investisseurs.

Autant, le CIPED exprime ses regrets et sa profonde préoccupation quant à l’issue peu heureuse qu’a connue ce dossier auprès du GAFI, en dépit des avancées quoique tardives, réalisées sur la voie d’une meilleure conformité technique aux normes internationales, autant? il affirme sa disposition, s’il venait à être sollicité, de mettre à profit son expertise dans ce domaine et de contribuer modestement, mais positivement, à accélérer le processus de redressement du dispositif LBA/FT et lui assurer l’effectivité et l’efficacité requises.

Par Samir Brahimi
Secrétaire général du CIPED
Ancien président du Groupe d’Action Financière Moyen Orient/ Afrique du Nord

 

 

(1) Centre International Hédi Nouira de Prospective et d'Etudes su le Développement