News - 30.11.2017

La situation des hôpitaux : fuite en avant ou aveu d’impuissance

La situation des hôpitaux fuite en avant ou aveu d’impuissance

Deux mois se sont écoulés depuis la lettre adressée au chef du gouvernement par plus de 500 médecins hospitalo-universitaires décrivant la situation dramatique des hôpitaux du pays. A sa publication, nous avons eu droit, quotidiennement et pendant plus d’une semaine, à des interviews et des plateaux dans les principaux médias, à des opinions publiées dans la presse écrite et électronique. Et sur les réseaux sociaux, nous avons assisté à un déferlement, de témoignages et d’avis corroborant ou désavouant chacun à sa manière ce qui venait d’être présenté. Puis plus rien ! Un feu de paille qui s’est rapidement éteint tout comme les espérances des derniers optimistes.

Pourtant ce « cri d’alarme » venait du coeur de professionnels qui avaient entamé de longues études, difficiles, astreignantes à plus d’un titre. Ils avaient préféré par passion une carrière hospitalo-universitaire à une profession libérale pourtant financièrement et socialement plus alléchante. Ce« cri d’alarme » venait du coeur de professionnels qui assurent à nos concitoyens les soins les plus complexes, les plus lourds et les plus modernes. Ils sont les acteurs clés, l’élite et l’avant-garde de la médecine tunisienne. Ils veillent jalousement et exclusivement dans les hôpitaux, à la formation des étudiants et des jeunes médecins dont le produit fini rayonne à l’international. Mais aujourd’hui, ces professionnels représentent,tels les 300 spartiates à la bataille des Thermopyles, le dernier rempart à la banqueroute des hôpitaux, et leur coeur risque de cesser de battre.

Alors pourquoi ce silence !

Silence d’abord des médias, fait maintenant bien ancré qui n’étonne plus. Faire le scoop sans bouger de son bureau ou de son plateau,sans enquête ni suivi ; à croire que le journalisme d’investigation a complètement disparu du pays ou que ceux-là lui sont totalement hermétiques.

Silence des membres du collectif qui a fédéré en un minimum de temps, autant de médecins, traduit-il une résignation ou un manque de préparation ? Probablement les deux. Résignation en contemplant l’absence de toute réaction de la tutelle, alors que jour après jour, ils vivent une inexorable dégradation de leurs conditions de travail et malgré tous leurs efforts et leur bonne volonté, celle-ci influe négativement sur la qualité des soins.

Manque de préparation, sûrement, car l’appel a été lancé spontanément par un collectif sans moyens, en dehors du syndicat des médecins hospitalo-universitaires dont le bureau frappé d’immobilisme depuis plusieurs années, semble voir d’un mauvais oeil une initiative qui lui volerait la vedette. Manque de préparation car la lettre faisait essentiellement un constat. Son unique ambition était d’interpeller le chef du gouvernement pour l’informer d’une situation connue car ne pouvant échapper à une personne à un tel niveau de responsabilité. Manque de préparation car il fallait prévoir cette absence de considération de la part de ce dernier et la réponse éventuelle à y apporter.

Silence du premier destinataire de cet appel, le chef du gouvernement. Venant de sa part, Je ne crois pas à une évaluation erronée de la gravité de la situation ; ni à un excès d’orgueil ou d’amour propre. La santé publique ne serait tout simplement pas la priorité de ce gouvernement ni des précédents d’ailleurs.

Pourtant chaque intervenant qui touche de près ou de loin à la santé (personnel soignant, administratif, sociétés commerciales, sociétés de services…), chaque membre de la société civile,
toute personnalité politique qui se respecte, connait de façon assez précise les problèmes qui nous font face.

Nous sommes prêts à tous les sacrifices !... Mais

Notre population est vieillissante colonisée par les fléaux du nouvel ordre mondial (la malbouffe, la sédentarité et l’insécurité socio-économique). Elle contribue (dépenses directes des ménages) à plus de 37,5% aux dépenses totales de la santé. Alors que l’organisation mondiale de la santé recommande d’abaisser cette contribution au dessous des 20% afin d’éviter les dépenses catastrophiques et le risque d’appauvrissement. LES COMPTES DE LA SANTÉ DE LA TUNISIE- 2012 ET 2013 - Le pôle de l’Economie de la santé.

Comment faire lorsque le dinar baisse, l’inflation grimpe et que les ménages sont de plus en plus sollicités pour financer des soins dans le secteur privé parce que les hôpitaux n’ont plus un sou. Comment former nos jeunes médecins dans les hôpitaux, lorsque nous n’avons plus les moyens de réaliser les soins les plus lourds, les plus complexes. Comment les retenir en Tunisie, lorsqu’ils n’arrivent pas à assurer à leur famille un confort décent. Pourquoi certains leurs demandent-ils plus de sacrifices et se permettent-ils de les blâmer lorsqu’ils vont chercher ailleurs leur bonheur. Leur a-t-on laissé le choix ? Que leur a-t-on proposé ? De prendre leur mal en patience et de faire preuve de solidarité dans l’effondrement abyssal de notre système de santé sans perspective ni projet recommandable ?

Plusieurs partis politiques se sont essayés, pour être complet, à des projets de réforme de la santé reposant sur quelques « mesurettes » qui privilégient plus souvent les intérêts de particuliers.

Une des rares initiatives sérieuses, chapeautée par le ministère de la santé avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Santé et l’Union européenne, « le dialogue sociétal pour les politiques, stratégies et plans nationaux de santé »,amorcée en 2012, se voulait une démarche participative originale associant les citoyens de façon active et l’ensemble des intervenants du système de santé autour d’un principe directeur : «Comment le système de santé pourrait contribuer d’une manière efficace à concrétiser le droit à la santé ?». Les résultats de la première phase (état des lieux) de ce dialogue achevée en mars 2014, ont été consignés dans un livre blanc accessible à tous les publics (http://www.hiwarsaha.tn/Fr/image.php?id=251).

Malheureusement le processus s’est depuis complètement figé. Continuité de l’état oblige ! Les raisons avancées étaient que le parti au pouvoir, démocratiquement et majoritairement élu avait son propre projet. En juillet 2017, annonce en grande pompe, du démarrage de la deuxième phase qui devait selon les conclusions du livre blanc « …permettre le choix définitif des actions à mettre en place selon les valeurs, les grandes options et les axes stratégiques énoncés par la population au décours de la phase initiale… ». Mais les objectifs de cette phase ont été modifiés. Il s’agit maintenant de réviser les conclusions de la phase précédente avec de nouveaux experts. Ce n’est donc plus une phase 2 mais plutôt une phase 1bis. Dans la postface du livre blanc, un des experts nous révélait ses craintes « …il est impératif que les espoirs exprimés par la population relativement à la prise en compte de ses propositions dans l’élaboration des futures politiques et stratégies de la santé ne soient pas déçus et que tout ce travail n’aboutisse pas à un énième document qui sera rangé dans les tiroirs comme le craignent certains …».

Il ne s’agit plus de faire des constats

Tous ces atermoiements dénotent de l’inadéquation entre l’étendue et la profondeur de la réforme à entreprendre et la volonté politique, la méthodologie et les moyens jusque là libérés. Il ne s’agit plus de faire des constats. Ils ont été faits bien avant le 14 janvier 2011. Un nombre impressionnant de documents, de réflexions, de rapports d’enquêtes, de données nouvelles et anciennes moisissent sous des tonnes de poussière dans les bureaux et archives du ministère, certaines très sérieuses d’autres moins, mais qui demandent une consultation ordonnée et avisée pour en tirer le maximum de profit. Ce qui a été envisagé avec le dialogue sociétal est une voie très intéressante à plus d’un titre : (1) Elle brasse large, incluant la multitude d’intervenants dans le système de santé. (2) Elle inclut le citoyen dans le constat et l’élaboration des stratégies réformatrices. (3) Elle se fixe comme objectif principal la concrétisation pour tout citoyen du droit à la santé tel qu’il est défini dans l’Article 38 de la constitution: « Tout être humain a droit à la santé. L’État garantit la prévention et les soins de santé à tout citoyen et assure les moyens nécessaires à la sécurité et à la qualité des services de santé. L’État garantit la gratuité des soins pour les personnes sans soutien ou ne disposant pas de ressources suffisantes. Il garantit le droit à une couverture sociale conformément à ce qui est prévu par la loi. ».

La réforme est un processus long qui nécessite un consensus

La réforme de la santé est un processus, profond,long et complexe et rares sont les personnalités politiques qui accepteraient de la mettre en place, risquant de voir leurs successeurs, ou pire leurs adversaires récolter les fruits de leur labeur. Le consensus national est donc une exigence. Il devra être concrétisé d’abord par l’adhésion des pouvoirs législatif et exécutif, puis par l’engagement de l’ensemble du monde politique pour sa pérennisation. La réforme de la santé ne s’achète pas clé en main. Elle se construit progressivement avec l’aide de tous pour profiter à tous.

Fini les palabres ! Il faut créer une structure pour piloter la réforme

Nous avons largement dépassé le temps des réunionites et des interminables discussions. La réforme doit être pilotée par une structure dotée de moyens humains et financiers conséquents pour qu’elle puisse mener à bien sa tâche selon des objectifs préalablement fixés. L’accointance de la santé publique avec plusieurs domaines d’activités dicte de la rattacher directement au cabinet du chef de gouvernement. Elle sera dotée d’un minimum d’autonomie lui assurant une activité continue quelque soit le parti ou la coalition politique au pouvoir. En contrepartie, elle sera redevablede résultats régulièrement évalués selon un échéancier préétabli.

Alors mesdames, messieurs les décideurs un peu d’audace pour le bien de nos concitoyens et l’avenir de nos jeunes.

Hafedh Mestiri
Enseignant à la faculté de médecine– Université Tunis El Manar
Chirurgien à l’hôpital Mongi Slim – Ministère de la santé