Opinions - 29.11.2017

Mohamed Kasdallah: Mais un budget de la défense, pour quoi faire ?

Mais un budget de la défense, pour quoi faire ?

Une Armée forte est justifiée par l’existence de menaces .Or, celles-ci sont présentes et visibles. Le budget consacré aux investissements militaires vise, justement, à permettre  à l'armée de faire face aux menaces actuelles et futures.

Mais, qu’un pays frappé de plein fouet par le terrorisme et gangréné par des réseaux de criminels, de fanatiques radicalisés et de contrebandiers redoutables  tous disposant d’armes de guerre à profusion, choisisse de ponctuer près de 28% du budget estimé nécessaire à  la Défense, laisse songeur.

La génération politique au pouvoir n’a connu ni le service militaire ni l’horreur  du terrorisme. Elle bénéficie, néanmoins, d’une sécurité magnifique et confortable grâce à ceux qui à tout instant peuvent perdre leur vie pour que cela soit possible. Elle connaît à peine l’histoire de son pays et surtout sa complexité. L’Armée, pour cette catégorie de gens, est  une  inconnue qui, sans les attaques terroristes, aurait disparu ou n’aurait été conservée qu’à titre de relique.

Quant à l’opinion publique, elle a compris depuis 2011 la signification et la nature de la menace. Le grand changement est effectivement le soutien et l’estime pour l’armée, ce qui aurait été impensable auparavant.

Appliquer au budget de la défense un raisonnement uniquement comptable est, à mon avis, une faute grave .On ne peut pas dire que l’on est en guerre contre le terrorisme sans aller jusqu’à l’adoption d’une économie de guerre.

Aussi, dans le contexte  intérieur du pays, l’analyse d’une telle situation doit aller au-delà de l’opportunité des choix budgétaires, pour parler de la résiliation nationale .Celle-ci ne devra connaître aucune faille que nos ennemis seront tentés d’exploiter. Clausewitz l’a théorisé avec la formule de la «merveilleuse trinité », triangle dont les sommets sont l’armée, le gouvernement et le peuple qui doivent être unis pour assurer la robustesse de la Nation.

La responsabilité de cette union harmonieuse n’incombe pas, pour autant, aux seuls militaires.

Si le gouvernement ne peut pas assurer le financement des opérations et qu’il met les dépenses exceptionnelles à la charge de l’armée, donc au détriment des équipements et de l’entraînement, l’armée ne sera pas en mesure de réaliser des succès.

De fait, des forces non équipées correctement, insuffisamment entraînées et en nombre insuffisant, accumulant donc la fatigue en raison d’une surchauffe dans les missions, subiront des échecs pour lesquels le politique demandera bien sûr des explications.

Depuis 2011, le  “devoir de réserve” en tant que tel n’existe plus, il a laissé la place à une obligation de discrétion tout à fait adaptée au contexte intérieur .Il est donc temps d’intégrer cette évolution et de sortir des stéréotypes du siècle dernier.

Aussi, faut-il rappeler que le règlement de discipline générale fait une obligation pour le militaire de rendre compte de l’impossibilité de réaliser une mission.

Or, les engagements militaires sont rarement prévisibles. Le seul élément tiré de l'expérience est que la guerre contre le terrorisme est longue, donc coûteuse .Si le financement des opérations n’est  pas assuré et si les équipements ne seront pas à la hauteur de la menace, il ne faut pas crier victoire et il faut en rendre compte.

Les demi-vérités, les sentiers battus plusieurs fois empruntés ne mènent nulle part, au plus à la dérive, sinon aux regrets. Toutes tergiversation est synonyme de petit mensonge éhonté  voire de trahison. L’officier ne doit rien cacher à ses compatriotes. Il doit dire toutes les vérités, de surcroît celles qui agacent.

Comment ne pas s’émouvoir d’entendre un homme politique déclarer que la solde des militaires ne sera pas dorénavant garantie, faute de budget suffisant? N’a –t-il pas apprécié réellement comment ses propos pourront  impacter les militaires et particulièrement ceux qui sont  au front? A qui se plaindre dans pareil cas?

Les militaires n’ont pas de syndicats, et n’ont pas le droit d’en avoir. Faut-il pour autant renoncer à informer les citoyens de l’état de notre capacité de défense autrement que par le biais des déclarations sur les médias?

Aujourd’hui, nous sommes nombreux à penser que nous allons à la catastrophe, et nous nous comportons comme si nous étions à la fête ! Advienne que pourra!

Mohamed Kasdallah