News - 31.10.2017

Ahmed Ounaïes: La Palestine martyre, Cinquante ans d’occupation, 42 vétos

Ahmed Ounaïes: La Palestine martyre, Cinquante ans d’occupation, 42 vétos

Le 2 avril 1947, il y a plus de 70 ans, le Royaume Uni, puissance mandataire, inscrit la question de Palestine dans l’Agenda des NU. L’Etat d’Israël, proclamé le 15 mai 1948 sur une partie de la Palestine, occupe le reste du territoire en juin 1967. La persistance exceptionnelle de l’occupation trahit un échec moral et politique de la civilisation de notre temps. Elle s’explique essentiellement par l’emprise de la politique de puissance. Examinons brièvement quatre aspects : la nature du conflit, la doctrine de paix, la crise américaine, enfin la centralité de la question palestinienne.

I. La nature du conflit - Le conflit est caractérisé par quatre facteurs

1- Le régime d’occupation

Tout régime d’occupation est détestable, quelle que soit la nation qui l’exerce ; il induit sui generis la résistance et son corollaire : la machine de destruction de la résistance, la traque des militants, les punitions collectives, les actes de désespoir. Les peuples qui ont subi l’occupation comprennent la logique de l’occupant qui, d’autorité, nie la légitimité de toute résistance. Les Européens n’ont pu oublier l’ordinaire des armées d’occupation, l’acharnement à liquider la résistance jour et nuit, les appareils de contrôle et de délation omniprésents, la déportation, la misère. Vivre ce face-à-face communique une intelligence humaine et politique qu’on ne peut oublier. Aucune occupation n’a jamais réussi à liquider une résistance nationale ni à soumettre une nation libre.
Les peuples Européens ont connu l’occupation cinq longues années. Nous réalisons ce qu’il en coûte de subir ce régime pendant vingt ans, trente ans, cinquante ans : des rapports de violence pure. A peine subsiste le sens de l’humain. Le peuple palestinien est en droit d’assumer la résistance nationale à l’égal de tous les peuples victimes de l’occupation, qu’ils soient européens, africains ou arabes.

2- La colonisation

Israël est aussi puissance coloniale. Coloniser, c’est s’approprier un territoire, chasser ses habitants de leurs champs et de leurs maisons et installer à leur place des intrus ; c’est aussi accorder à ces intrus des privilèges qui leur permettent de prospérer sous la protection des armes, des législations et des tribunaux chargés de dispenser la loi coloniale discriminatoire au profit des nouveaux maîtres. L’expansion de la colonisation signifie, pour le peuple palestinien, l’étouffement graduel, l’insidieuse usure de l’espoir, la vie d’enfer sans aucune perspective !  Les colons occupent la terre puis réclament des droits politiques, revendiquent la souveraineté sur les territoires colonisés, exigent de passer de l’état de fait à l’état de droit. Passer à l’état de droit signifie arracher au peuple colonisé la renonciation à ses droits nationaux politiques et territoriaux. Il n’y a pas de précédent dans notre région qu’un régime colonial ait réussi, à n’importe quel prix, à arracher cette renonciation.
La stratégie de dépossession est dévastatrice, elle s’attaque aux ressources – la terre et l’eau – à l’autonomie économique, aux réseaux de solidarité, au droit du peuple colonisé sur son patrimoine. Un tel régime est générateur de rancœur, de haine et de racisme. Le noyau colonial, en Israël, ne s’en tient pas à l’expansion de la colonisation, il siège à la Knesset, il forme les gouvernements, tranche les décisions de fond, conduit les négociations. Ainsi se forme, chez les victimes, l’exigence de libération, avec la conscience claire du sacrifice et de la lutte à mort.  

3- La négation du principe d’égalité

Le principe d’égalité était expressément examiné au cours du Processus de paix. A trois reprises en 1994 et en 1995, lors des sessions des négociations multilatérales, le chef de la délégation israélienne M. Yossi Beilin, alors vice-Ministre des Affaires Etrangères, soutenait que son Gouvernement « n’était pas en mesure d’endosser le principe d’autodétermination, ni le principe d’égalité des peuples de la région».

Il le proclamait dans ces termes devant ses collègues arabes et devant les délégations des cinq co-organisateurs. Nous savons ce qu’il en a coûté aux peuples d’Europe de la négation du principe d’égalité par un gouvernement européen aussi longtemps que ce gouvernement était appuyé par un appareil militaire puissant. Nous savons les conséquences attachées à de telles convictions et le sort réservé aux peuples que ce gouvernement avait soumis à l’occupation.

En Palestine, le principe de non égalité est matérialisé par des dispositions qui confèrent au colon un statut supérieur. Les trois Observatoires de l’UE sur les territoires, sur les Droits de l’Homme et sur Jérusalem élaborent des rapports annuels sur les actes et les pratiques de l’Administration Militaire, des Municipalités et des groupes d’extrémistes israéliens contre les palestiniens musulmans et chrétiens. La politique discriminatoire est parfaitement étayée. Un gouvernement qui pratique la discrimination et qui l’assume dans son administration et dans les négociations avec les pays voisins, que veut-il exactement? Cherche-t-il réellement le bon voisinage ? Cherche-t-il la paix ?

Le principe de non égalité des peuples est au fondement de tous les extrémismes. Comment, à ce paroxysme, la nation menacée pourrait-elle signifier le droit de vivre dans la dignité sur sa terre ?

L’abnégation et le martyre signifient qu’elle accepte le défi, qu’elle sait le prix de la vie et que, tant qu’elle garde un souffle, elle honorera le champ d’honneur.

4- La violation de la légalité internationale 

Le respect de la légalité internationale est la condition élémentaire du maintien de la paix et de la sécurité. Le rejet délibéré de la légalité internationale est la cause première de la perpétuation de la violence… en Palestine et dans le monde. Inutile de détailler ici les dispositions des Conventions de Genève et d’autres, ni les Résolutions du Conseil de Sécurité qui font obligation à Israël de respecter l’intégrité physique et démographique des territoires occupés. Je mentionnerai tout juste cinq Résolutions : 465 (1980) du 1er mars 1980 sur les colonies de peuplement ; 476 et 478 (1980) du 30 juin et du 20 août 1980 sur Jérusalem ; 497 (1981) du 17 décembre 1981 sur le Golan ; et 2334 du 23 décembre 2016. Ces résolutions expriment le consensus juridique international. En vertu de ces résolutions, les colonies de peuplement installées sur les territoires occupés en juin 1967, ainsi que les mesures d’annexion de Jérusalem et du Golan, sont déclarées nulles et non avenues... et sans effet juridique. La conjonction de ces facteurs illustre la politique de puissance et le statut d’exception dont se prévaut Israël.

Deux facteurs supplémentaires confortent la prétention israélienne à affirmer un statut d’exception. D’abord, l’opposition des pays occidentaux au sein de l’AIEA aux efforts des pays de la région de proclamer le Moyen Orient zone exempte de l’arme nucléaire ; cette opposition, qui préserve évidemment le statut d’Israël, détenteur de l’arme atomique, est en contradiction avec la politique mondiale qui veille à la non prolifération dans la région même et dans le reste du monde. D’autre part, les pressions exercées par les Etats Unis pour empêcher l’Etat palestinien  d’adhérer aux Conventions de Genève et au statut de Rome qui exposent Israël à des sanctions pour ses pratiques dans les territoires occupés. Cette insistance, ouvertement formulée en 2011 et 2012 lors de la candidature de la Palestine aux NU, trahit l’ampleur des faux problèmes induits par les contradictions de la politique des Etats Unis.      

II. La  doctrine  de  paix  

Les Nations Unies ont défini les principes du règlement de paix dans des résolutions substantielles du Conseil de Sécurité. Les pays arabes, incluant la direction palestinienne, affirment un plan de paix qui repose sur le droit international et sur les résolutions des NU. En vertu de ce plan, le principe de l’existence d’Israël, la sécurité de ses frontières et son insertion dans le système régional sont admis et reconnus.

L’Union Européenne s’en tient à la doctrine définie par les NU. Le 16 mai 2001, Chris Patten définit les bases du règlement de paix devant le Parlement Européen à Strasbourg : «Les principes essentiels de notre position, dit-il, sont que la paix doit être fondée sur le droit international, sur les résolutions pertinentes des Nations Unies (y compris les résolutions du Conseil de Sécurité 242 et 338) et sur la formule « la terre en échange de la paix ». Il poursuit : «La position de l’UE sur les colonies de peuplement est claire : toutes les activités de colonisation à Gaza, en Cisjordanie y compris Jérusalem-Est et sur les hauteurs du Golan sont illégales en droit international ». 

Pour sa part, Israël n’a jamais fait état d’un plan de paix. En revanche, Israël multiplie les colonies dans les territoires occupés, expulse les palestiniens par la force et qualifie la résistance de terrorisme. Le noyau colonial israélien réclame l’annexion de la Cisjordanie en tant que terre promise par le dieu d’Israël : ainsi naît le fondamentalisme religieux dans la région.

Depuis la proclamation par les NU en 2001 du principe de deux Etats « vivant côte à côte dans des frontières reconnues et sûres », deux faits nouveaux se font jour : d’abord, les gouvernements israéliens invoquent un droit de légitime défense contre le terrorisme palestinien : une manipulation monstrueuse qui cherche à inverser agresseur et victime, à détourner les droits et les devoirs respectifs et, en définitive, à nier la légitimité de la résistance palestinienne. Parallèlement, la confiscation des terres connaît une accélération effrénée : 430.000 colons en Cisjordanie, plus de 200.000 à Jérusalem-Est. Le 15 mars 2017, la CESAO déclare Israël ‘’coupable du crime d’apartheid’’. Le 9 septembre dernier, le Président du CICR constate ‘’l’annexion de facto de la Cisjordanie’’.

III. La crise américaine 

A l’appui du défi israélien, la politique des Etats Unis constitue à son tour un facteur aggravant qui ajoute au déséquilibre des forces sur le terrain les effets de la crise proprement américaine. Les Etats Unis vivent une crise politique tenace qui les met, relativement au conflit israélo-palestinien, en contradiction avec leurs propres valeurs et avec leur culture juridique.

Lorsque les armées des Etats Unis interviennent militairement pour libérer des pays européens de l’occupation d’autres européens, l’acte même répond de la conviction que l’occupation est contraire au droit des peuples. Les Etats Unis reconnaissent et soutiennent les forces de la résistance nationale dans les pays européens occupés. Ils agissent ainsi en authentiques libérateurs.

Lorsque les Etats Unis apportent leur concours à l’appui des factions Afghanes pour libérer l’Afghanistan de l’invasion soviétique, ils admettent la légitimité de la résistance nationale contre l’armée d’occupation. Ils soutiennent la résistance militaire des Mujahidines qui sont prêts à sacrifier leur vie pour la cause de la libération. Aucune faction de la résistance n’est qualifiée de terroriste.

Le 24 mai 2011, le Congrès des Etats-Unis recevait, à titre d’invité spécial, le premier ministre d’Israël Benyamin Netanyahou. Dans sa déclaration solennelle, Netanyahou qualifiait les territoires palestiniens occupés de ‘‘terre d’Israël’’. Il ajoute : ‘‘Les 650.000 israéliens qui vivent au-delà des lignes de 1967 résident dans les quartiers et les banlieues de Jérusalem et du grand Tel Aviv.’’ Il conclut : ‘‘ Ces zones et d’autres endroits d’importance stratégique seront intégrés dans les frontières définitives d’Israël’’. Quand le Congrès des Etats-Unis accueille ces déclarations par des ovations enthousiastes, nous ne saurions oublier le rendez-vous de Munich, en septembre 1938, où le Chancelier Allemand ne disait pas plus en parlant du territoire des Sudètes et du couloir de Dantzig. Les ovations des sénateurs à Washington le 24 mai 2011 saluant la politique d’annexion déclarée annoncent un sombre avenir pour la paix. 

De 1967 à 2017, les Etats Unis se sont distingués en opposant 42 fois le veto contre des projets de résolution, privant ainsi les Palestiniens de jouir des droits que le Conseil de Sécurité lui-même avait reconnus comme légitimes et comme fondement du règlement de paix. En s’opposant seuls, tant de fois, à la mise en œuvre des Résolutions du Conseil, les Etats Unis s’enferment dans une position indéfendable dans leur propre culture juridique. Cette politique d’obstruction revient à sacrifier passivement les territoires palestiniens.

Ce paradoxe n’est pas un fait nouveau dans l’histoire. En décembre 1935, comme suite à l’agression italienne contre l’Ethiopie, le Pacte Hoare-Laval entre la Grande Bretagne et la France concédait à l’Italie la moitié du territoire éthiopien. A nouveau en septembre 1938, la Grande Bretagne et la France, croyant éviter la guerre, sacrifiaient les territoires d’autres nations européennes à l’ambition nazie. Les Accords de Munich n’ont pas empêché la guerre, ni que la guerre submerge l’Europe elle-même et au-delà. Le déni du droit peut abuser un temps, même un temps long, mais il ne fait que retarder l’inéluctable triomphe du droit.

Les Etats Unis justifient les vetos en chaîne en affirmant que le règlement réel tient à la négociation entre les deux parties, loin de toute interférence. Or, perpétuer la négociation en un tête-à-tête inégal, dans un rapport de domination flagrant, trahit une complicité de fond qui fait prévaloir la force sur le droit. La dérive des Etats Unis est à l’origine d’un faisceau de faux problèmes qui les opposent aux Etats de la région et à leurs propres alliés européens. Trois conséquences découlent de cette crise. D’abord, les vetos sont autant d’arguments contre le choix de la négociation. C’est une tactique flagrante de non négociation : pourquoi négocier, dès lors que la confiscation des territoires palestiniens se poursuit efficacement, à l’ombre de la protection américaine qui prévient la sanction des violations ? Itshak Rabin, le premier dirigeant israélien ayant inauguré une réelle négociation, était éliminé par le noyau colonial. D’autre part, le facteur temps n’est pas indifférent : la prorogation du régime d’occupation altère le statu quo, affecte les droits réels du peuple palestinien. Le patrimoine palestinien est dénaturé et transféré de facto au profit de la puissance occupante. Enfin, Israël récuse l’ONU parce que le règlement de paix des NU est fondé sur le droit. Paralyser le Conseil de Sécurité équivaut à évincer les NU. 

Aujourd’hui, après 50 ans d’occupation, ni l’Avis de la Cour Internationale de Justice qui, le 9 juillet 2004, déclare illégal le mur de séparation, ni les résolutions du Conseil de Sécurité qui condamnent ‘‘les politiques et les pratiques d’Israël’’ dans les territoires occupés (Résol 465 du 1er mars 1980) ne sont respectés. Quand Israël rejette le règlement fondé sur la légalité internationale et perpétue en conséquence l’occupation, le but évident est de contraindre le peuple palestinien à concéder, par l’intimidation et la terreur, tels droits politiques et territoriaux qu’Israël choisit de spolier. Les 42 vetos ne font que servir la stratégie de spoliation. 

IV. La  centralité  de la question palestinienne

Là où la légalité internationale est suspendue, sévit la violence. Les peuples de la région en subissent certes les conséquences directes mais au delà, l’Europe et les Etats Unis sont à leur tour atteints. Cinq facteurs principaux déterminent la centralité de la question palestinienne.

1. Le principe de la résistance nationale

Quand les puissances mondiales se dérobent à l’obligation de faire respecter la légalité internationale, quand les structures régionales sont impuissantes, la résistance du peuple victime de l’agression reste la garantie ultime de l’intégrité des principes. Quand le peuple victime est résigné, lâche et finalement complice, la loi de la jungle nous menace. La résistance maintient l’agresseur sous pression et rappelle, à la face du monde, la limite du tolérable, le sens du juste et de l’injuste. Si la résistance exige des sacrifices immenses, du moins, à ce prix, contribue-t-elle à préserver la dignité de la victime et la défense des principes universels. Au Maghreb, c’est la résistance nationale qui a mené le combat pour le respect de nos droits et de notre intégrité et pour la reconquête de l’indépendance. Il est vrai qu’une élite clairvoyante et persévérante, au sein des Métropoles européennes, avait soutenu notre combat ; son action était décisive contre la prépondérance coloniale. La résistance palestinienne reste, à la base, la garantie de toutes les garanties, avec l’espoir que les élites israéliennes éclairées lui fassent écho et que la solidarité mondiale la légitime. La solidarité ne saurait se limiter à la survie du peuple palestinien, elle doit valider sa cause et hisser sa capacité de négociation.  

2. Le principe d’égalité

Le principe de non égalité des peuples et la politique de discrimination manifestent une régression de civilisation. Au-delà du peuple palestinien, ils interpellent la conscience mondiale. A la Conférence des NU sur le Racisme et la Xénophobie, le Forum Civil qui avait précédé la Conférence en août 2001 avait dénoncé la discrimination imposée au peuple palestinien sur son territoire. La dénonciation quasi unanime fut néanmoins étouffée, au sein de la Conférence même, par les délégations gouvernementales, d’abord des Etats Unis avant qu’ils ne désertent la scène, puis des Etats Européens.

Pourtant, sur l’autre rive de la Méditerranée, la politique discriminatoire de la Serbie venait d’être dénoncée dans un langage juridique rigoureux, saisie dans un processus diplomatique cohérent et, finalement, redressée au moyen d’une opération militaire cruciale. Nos partenaires Européens, en tandem avec les Etats Unis, avaient conduit une stratégie d’endiguement et de destruction de l’hégémonie serbe contre les peuples du voisinage. Ce précédent était rassurant sur deux plans : quant à l’intelligibilité du conflit et quant à la responsabilité éthique et politique de l’Europe. Aujourd’hui, on voit très clair sur quelles bases les rapports intra-européens doivent être fondés et sur quelles bases ils ne peuvent pas être fondés. On ne saurait en dire autant des rapports inter méditerranéens. L’écart ne tient pas à l’intervention militaire stricto sensu, mais à la prise de responsabilité éthique, politique et méthodologique. Si la paix au Nord de la Méditerranée était à ce prix, un tel prix est-il jugé inabordable un peu plus au Sud ? Le principe d’égalité des peuples n’est-il pas en jeu ?

3. Le rejet absolu du colonialisme

La persistance du colonialisme pose un problème en soi. Tout en poussant l’expansion de ses colonies, Israël revendique l’annexion de ces territoires. L’appropriation d’un territoire par le fait de la colonisation est-il moralement recevable ? Le colonialisme avait, dans le passé, opposé les Métropoles Européennes aux autres peuples du monde. Nous avons réussi au cours du XXe siècle à surmonter ce fossé politique et philosophique. L’initiative du Partenariat est le couronnement de cette victoire. Or, le retour du colonialisme en Méditerranée remet en cause le progrès politique et le progrès de civilisation qui ont marqué notre génération et donné l’espoir que l’humanité a tourné définitivement une page sombre de son histoire.

Pour nous au Maghreb, la dénonciation de la politique israélienne ne sera jamais suffisante si elle ne s’attaque au fait de la colonisation. Le colonialisme est rejeté par les peuples du monde. Nous en appelons à l’Europe non que nous la suspections de nourrir quelque nostalgie à cet égard, mais nous croyons que l’Europe doit réaliser pour elle-même, pour l’honneur et la dignité de l’Europe, qu’elle se doit de condamner avec nous le colonialisme, comme nous condamnons dans l’absolu l’esclavage, l’antisémitisme et l’apartheid.

4. Responsabiliser l’Assemblée Générale des NU

Le blocage du Conseil de Sécurité par une voix est surmontable grâce à la Résolution ‘’Union pour le maintien de la Paix’’ préconisée par le Conseil lui-même. La majorité des 2/3 au sein de l’ONU est en mesure de faire la brèche. 

La Conférence Générale de l’UNESCO a permis, le 31 octobre 2011, grâce aux voix des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, d’admettre l’Etat de Palestine comme membre de plein droit de l’Organisation. Dans cette majorité supérieure aux 2/3, les pays membres de l’UE ne comptaient que 11 voix. Le progrès acquis à l’UNESCO a permis de préserver une large part du patrimoine palestinien convoité par la puissance occupante. Le statut d’Etat, acquis aux NU l’année suivante le 29 novembre 2012 grâce à une majorité de 138 voix, dont 14 pays membres de l’UE, a permis l’adhésion de la Palestine à des Conventions et Traités qui dressent un contre-pouvoir juridique face à la toute puissance de l’occupation. De toute évidence, les NU restent l’axe central du règlement de paix. Avec le concours déterminé de l’Europe, les NU pourront mener à terme le règlement de paix.

Une majorité assurée, incluant la plus large part des pays d’Europe, pourrait concourir à la libération par le droit. L’Europe détient une clef à effet double : reconnaître l’Etat palestinien et consolider la majorité des 2/3 au sein de l’Assemblée Générale des NU. A ce jour, la Politique Européenne de Voisinage occulte cette voie de la paix en Méditerranée.   

5. Un ordre international cohérent

La paix et la coopération ne sont concevables que dans un ordre cohérent et structuré. Les Processus de Madrid et de Barcelone devaient résorber l’exception israélienne et insérer l’ensemble des acteurs de la région dans un système de reconnaissance mutuelle et de stabilité, comparable au système européen établi à la faveur de la détente. La démarche est brisée par la persistance de la politique de puissance en Palestine. La contagion vertueuse que nous concevions au tournant des années 1990 afin de résorber l’écart israélien et d’assainir la scène Méditerranéenne est inversée : nous assistons à l’expansion indéfinie de la colonisation, au libre cours de la politique de puissance, à la paralysie calculée du Conseil de Sécurité.
Les vieilles nations européennes ont connu, à l’échelle des siècles, la guerre, la résistance, la libération. Dans leurs rapports avec les pays Sud Méditerranéens, les ex-Métropoles coloniales ont réussi une transition historique respectable en passant d’un système de domination à un système de relations multilatérales fondées sur l’association et le partenariat. Ces enseignements ne sauraient être ignorés dans l’édification effective de l’ordre régional. Le Partenariat est fondé sur un socle de valeurs irrécusables. La Déclaration de Barcelone reprend les principes de la Charte des Nations Unies et ajoute : « Les Participants s’engagent à :

  • respecter l’égalité de droit des peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes ;
  • respecter l’intégrité territoriale et l’unité de chacun des autres partenaires ... »

Cet esprit est-il loyalement partagé par tous les partenaires ? L’appel à la religion, relayé par les fondamentalismes juif puis islamique, est une dangereuse fuite en avant. Sans doute, à l’appui du droit, faudra-t-il admettre l’idée d’une certaine conscience collective et d’une communauté de destin. C’est ainsi que pourra se construire la conciliation entre la Palestine et Israël, et s’édifier l’espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée qui illustre la vision de la Méditerranée de demain et le sens de la civilisation de notre temps.

Ahmed Ounaïes
26 octobre 2017