News - 11.10.2017

Retour sur la loi des finances 2016 : des mesures innovantes qui ont amélioré les recettes de l'Etat

Retour sur la loi des finances 2016

Voulant rendre hommage à Feu Slim Chaker, deux de ses conseillers au sein du Ministère des Finances, Safouane Ben Aïssa et Mustapha Mezghani, reviennent sur la loi des finances 2016, les principes sur la base desquels elle a été préparée, ses principales dispositions et leurs impacts.

Le principe général sous lequel s’est inscrit le mandat de Feu Slim Chaker au Ministère des Finances est « Science, Confiance et Transparence ». Dans le cadre de la préparation de la loi des finances 2016, ce principe général a été décliné comme suit:

  • Réduire voire anéantir l’avantage comparatif de la contrebande en limitant facilitant les procédures administratives et en réduisant les taxes et droits de douane sur les produits importés afin de rapprocher le prix des produits importés par la voie légale et ceux de la contrebande.
  • Baisser la pression fiscale sur les entreprises et neutraliser l’arbitrage formel / informel afin d’inciter à opter vers le formel. La baisse de la pression fiscale à travers la baisse des droits et taxes permet, en réduisant les avantages comparatifs de la contrebande, à inciter les gens à adhérer au secteur formel. A contrario, augmenter les droits et taxes risque non seulement d’inciter les acteurs du secteur informel à ne pas adhérer au secteur formel, mais risque aussi d’inciter les acteurs du secteur formel à aller vers l’informel et risque d’être une importante source d’inflation.
  • Améliorer la transparence et le service offert aux contribuables (aux entreprises et aux professionnels particulièrement).
  • Ne pas pénaliser la trésorerie de l’entreprise en simplifiant et en accélérant les procédures de restitution de la TVA.
  • Promouvoir le statut d’Opérateur Economique Agréé (OEA) afin d’abréger les délais de dédouanement de leurs marchandises importées et exportées après avoir mené une vérification et un audit concluant de leur prédisposition à obtenir ce statut privilégié (25 nouveaux OEA en 2016).
  • Fixer l’objectif « Zéro Papier » pour l’administration fiscale à horizon 2020 et ce pour faciliter la vie des entreprises en privilégiant les échanges entre le contribuable et les services administratifs par le recours à la technologie et aux services en ligne.

Souvent proposée par le gouvernement et devant permettre une mise en œuvre des objectifs et du plan d’action annuel du programme gouvernemental, cette loi des finances a été élaborée en concertation avec le Chef du Gouvernement et suite à une large consultation menée aussi bien avec le secteur public, le secteur privé et les principaux acteurs du milieu économique.

Les principales dispositions de la loi des finances 2016, la seule qui a été élaborée présentée et votée pendant le mandat de Slim Chaker au ministère des finances sont :

Réforme tarifaire

Après étude des produits les plus concernés par la contrebande (climatiseurs, électroménager, pneus, boissons alcoolisées, etc) et les raisons qui incitent au recours à la contrebande, il a été décidé procéder à une réforme tarifaire consistant à réduire le nombre de taux de droits de douane sur les produits importés pour les ramener à deux taux uniquement en dehors des produits agricoles. La limitation à deux taux permet d’éviter les arbitrages et les interprétations, ces deux taux étant de 20% pour les produits finis ou produits pouvant être commercialisés en l’état et de 0% pour les intrants et matières premières. Les produits agricoles, quant à eux, n’ont pas vus leurs taux de droits de douane changer car ces produits font partie des négociations engagées dans le cadre de l’Accord de Libre Échange Complet et Approfondi, ALECA, et qu’il faut se garder des marges de négociation avec l’Union Européenne.

La réforme tarifaire a aussi concerné la suppression de certaines aberrations tel que le droit de douane de 17% sur les céréales alors que l’importation de céréales est un monopole d’état. Ce droit de douane appliqué à ce monopole faisait que l’Office des Céréales, devait s’endetter auprès des banques pour plusieurs dizaines de millions de dinars, à chaque importation, pour payer à l’Etat des droits de douane qui n’allaient avoir aucun impact sur les caisses de l’Etat. Nous étions donc dans une situation aberrante où l’Etat s’endette pour payer des droits de douane à l’Etat.

Une autre situation aberrante concernait le taux de droit de consommation de la bière qui différait selon que le contenant était en boîte ou en bouteille avec deux taux différents contrevenant au principe de droit énonçant que « l’accessoire suit le principal », à moins que l’on ne considère que le produit est l’accessoire et que l’emballage est le principal. Il a donc été proposé,  lors de la loi des finances 2016, d’unifier le taux de droit de consommation de la bière et de n’avoir qu’un seul taux quel que soit la nature de l’emballage, canette ou bouteille.

Une autre disposition courageuse a été de baisser le droit de douane sur les alcools forts loin de la démagogie et des débats mal positionnés de l’incitation à consommer les boissons alcoolisées. La raison d’une telle décision est que le secteur informel s’accaparait un quasi-monopole de fait sur les boissons alcoolisées sans fiscalité aucune pour l’Etat en raison d’un droit de consommation atteignant, dans certains cas, plus de 600%.

Cette réforme tarifaire a été faite sur des bases scientifiques de manière à ce que le choix des différents taux ne s’est pas fait d’une manière arbitraire mais d’une manière optimisée afin de neutraliser l’arbitrage formel / informel.

Lutte contre la contrebande

Le programme de la modernisation de la douane tunisienne était adopté lors du conseil ministériel du 7 septembre 2015. La LF 2016 a connu une affectation budgétaire sans précédent pour le renforcement des moyens de la douane afin d’accomplir leurs missions : surveillance du trafic frontalier de marchandises, lutte contre la contrebande à l’intérieur du domaine douanier et contrôle des les opérations commerciales. Slim Chaker avait toujours l’idée de regrouper la fonction du contrôle des marchandises avec la fonction du contrôle des personnes dans un seul et unique corps, à l’égard de plusieurs pays avancés. Aux Etats-Unis, à titre d’exemple, cela s’appelle Customs & Border Protection. Bien que le programme de modernisation s’étale sur 5 ans, les années 2015 et 2016 ont connu une transformation significative dans les moyens alloués et les résultats enregistrés. La douane s’est dotée de moyens de surveillance tout à fait inédits (à l’égard des drones), un renforcement du parc roulant (tout terrain, routiers) allant jusqu’à doubler le parc existant. Elle s’est équipée de plusieurs scanners fixes et mobiles. Les conditions de travail des douaniers étaient un souci majeur pour Slim Chaker, qui a visité l’ensemble des postes frontaliers s’intéressant aux conditions élémentaires de dignité des douaniers et de la notoriété de l’Etat. D’autres dispositions et conventions ont vu le jour mais représentaient un aspect confidentiel, ne peuvent être révélées. Les résultats en matière de lutte contre la contrebande, l’informel, la criminalité et le terrorisme, ne se sont pas fait attendre puisque les performances étaient immédiates.

Digitalisation

Afin d’améliorer la transparence et d’éviter les éternels discussions quand aux chiffres d’affaires réalisés ainsi que les gains, il a été proposé d’introduire des caisses enregistreuses fiscales dans les cafés, les restaurant et autres activités de consommation sur place avec pour objectif de généraliser cette action ultérieurement.

De plus, et afin de faciliter les échanges de données et de factures entres les différentes parties prenantes et mettre la Tunisie au diapason des pays les plus développés en la matière, la reconnaissance fiscale de la facture électronique a été introduite dans la loi des finances 2016. Il a même été prévu à ce que les factures établies par les entreprises relevant de la Direction des Grandes Entreprises et adressées à l’Etat, aux collectivités publiques et locales ainsi qu’aux entreprises publiques soient obligatoirement des factures électroniques et ce afin de faciliter leur traitement et d’automatiser certaines tâches fastidieuses et répétitives.

Impact des différentes mesures

Comme prévu, les différentes mesures introduites ont eu des impacts positifs, dans certains cas plus vite qu’escompté en raison du fait que la diminution de droits de douane et droits de consommation afin d’inciter les gens à recourir au marché formel au lieu du marché informel, peuvent nécessiter du temps, le temps que les opérateurs s’aperçoivent de l’opportunité de rentrer dans le formel et se décident à le faire.

En effet, la mesure relative à la réforme tarifaire par l’abaissement des droits de douane en les limitant à deux taux a eu un impact budgétaire nul la première année. En effet, en 2015, le montant des droits de douane collectés était de huit cent vingt cinq millions de dinars (825 MDT) contre six cent quarante millions de dinars (640 MDT) en 2016 auxquels il faut ajouter environ cent quatre vingt millions de dinars correspondant au montant des droits de douane perçus au titre de 2015 sur les céréales, soit un différentiel de l’ordre de cinq millions de dinars (5MDT). Cependant, en comparant les droits de douane collectés au cours des huit premiers mois de 2016 à ceux collectés au cours des huit premiers mois de 2017, chiffres les plus récents disponibles, nous observons une croissance de 14% (417,8 MDT au 31/08/2016 contre 472,8 MDT au 31/08/2017).

La baisse du droit de consommation a elle eu un impact positif dès la première année. En effet, malgré la baisse du taux, l’atténuation de l’écart entre les prix de la contrebande et ceux du marché formel ont incité nombre de consommateurs et professionnels à s’approvisionner auprès du marché formel voire à inciter des opérateurs du marché informel à aller vers le formel. Ainsi, les recettes au titre du droit de consommation étaient de un milliard sept cent soixante treize millions de dinars (1773 MDT) en 2015 contre deux milliards cent soixante quatorze millions de dinars (2174 MDT) en 2016, soit une progression de 22,6% la première année.

La facture électronique a été mise en œuvre et entrée en exploitation suite à la publication du décret d’application en Août 2016 et même si l’arrêté de tarification n’a été signé qu’en mars 2017. Elle a permis aux entreprises de faciliter l’acheminement des factures vers leurs clients, de réduire les délais de paiement de leurs clients, de supprimer l’archivage papier des factures. Des propositions ont même été faites pour pouvoir suivre les produits stratégiques (farine, pates, tabac, médicament, huile compensée, etc.) grâce à la facture électronique.

Concernant les caisses enregistreuses, les refus imposés au début par les professionnels ont pu être réglés par un accord concernant la révision du taux de TVA sur les activités de cafés et restaurant en instaurant un taux unique de 6% au lieu des trois taux qui avaient cours 6, 12 et 18%. Un pilote avait été mis en place le 1er juin 2016 et a fait ses preuves. Jusqu’à mars 2017, la centrale de collecte des tickets recevait jusqu’à quinze mille tickets mois (15.000 tickets/mois) malgré un nombre réduit de caisses opérationnelles. Malheureusement ce programme a été d’une manière impromptue du temps de la successeuse de Slim Chaker alors que la loi demeure en vigueur et que l’opération pilote est réussie. Ceci est d’autant plus étrange que différents pays au monde recourent à la caisse enregistreuse fiscale dont l’Italie où l’usage d’une telle caisse est généralisé à tous les commerces : cafés, restaurant, habillement, tabac, journaux, pharmacies, grandes surfaces, quincaillerie, épiciers, pâtisserie, etc.

Un ensemble de mesures innovantes et courageuses qui ont été prises et ont permis d’atteindre les objectifs escomptés à savoir diminuer de l’importance de l’économie parallèle et de la contrebande et sans affecter les recettes de l’Etat voire en en améliorant les recettes

Safouane Ben Aïssa
Professeur d’économie à l’Université Tunis El Manar & directeur Advisory chez KPMG Tunisie

Mustapha Mezghani
Expert en transformation digitale et politiques publiques