News - 15.09.2017

Les étudiants tunisiens en France: Démographie et repères

Les étudiants tunisiens en France: Démographie et repères

La France demeure, et de loin, la première destination des étudiants tunisiens partant effectuer leurs études supérieures à l’étranger. Le bulletin «Campus France» estimait leur nombre à 11.573 en 2014-2015, retrouvant ainsi son niveau de 2009. Ils étaient 137 seulement en 1934. Leur effectif passa à plus d’un millier après l’Indépendance du pays en 1956 pour atteindre 6.087 en 1973-74, 7.857 en 1981-82, 11.177 en 2009. En comparaison, l’Allemagne a accueilli en 2013 près de 2.260 étudiants tunisiens et la Roumanie 1.248, le Canada et les USA se situant respectivement au 4e et 7e rang des pays d’accueil des étudiants tunisiens poursuivant leurs études à l’étranger. Selon l’Unesco, le nombre d’étudiants tunisiens en Arabie Saoudite serait passé de 20 en 2009 à 244 en 2013, de 58 à 155 au Qatar et de 114 à 155 aux EAU. Cette inflexion n’est pas sans rapport avec les évènements politiques survenus en Tunisie depuis 2011.

Principaux pays d’accueil des étudiants tunisiens

Pays d’accueil Rang 2009 2013 Evolution 2009/2013
France 1 11.177 8.925 -20,1%
Allemagne 2 2.660 2.260 -15,0%
Roumanie 3 1.058 1.248 +18%
Canada 4 750 777 +3,6%
Italie 5 834 583 -30,1%
Ukraine 6 616 507 -17,7%
USA 7 301 439 45,8%
Suisse 8 337 378 +12,2%
Total général   18.983 16.889 -11,0%

Source : Unesco

La Tunisie se classe au 4e rang par rapport au nombre total d’étudiants étrangers en France en 2013-2014 (4%) derrière le Maroc, la Chine et l’Algérie. Mais si on tient compte de la démographie des pays considérés, la Tunisie se classe largement au premier rang. Toutefois, les statistiques du ministère des Affaires étrangères de Tunisie font état d’un effectif de 26.082 étudiants tunisiens en France en 2010, un chiffre discutable a priori, mais qui pourrait s’expliquer par la comptabilisation des binationaux par les services consulaires tunisiens.

Les 5 premiers pays d’origine des étudiants étrangers en France en 2014-2015

Pays d’origine Effectifs Part Evolution 2014/2013 Evolution 2014/2010
Maroc 35.199 11,8% +3,8% +9,9%
Chine 29.709 9,9% -1,5% +2,0%
Algérie 21.279 7,1% -3,0% -6,7%
Tunisie 11.573 3,9% -2,5% -15,2%
Italie 10.353 3,5% +11,1% +39,7%

Source : Campus de France. Janvier 2016

Les données statistiques disponibles concernant 2014 montrent que les niveaux master (51%) et doctorat (22%) dominent. Les étudiants tunisiens poursuivant leurs études supérieures dans les grandes écoles françaises représentent quant à eux 12% du total. La démarche des étudiants tunisiens expatriés semble obéir à une logique visant l’excellence en matière universitaire et de recherche scientifique. Ce constat est indirectement conforté par la prédominance des sciences fondamentales et appliquées, celles-ci accaparant 45,6% du total des étudiants tunisiens en France contre 13,8% pour la médecine, la pharmacie et la médecine dentaire ; 21,4% pour les lettres, langues et sciences humaines et sociales ; 13,8% pour l’économie et 5,7% pour le droit et les sciences politiques.

Evolution de l’effectif des étudiants tunisiens dans les universités françaises par niveau

Niveau 2010 2011 2012 2013 2014 Evolution 2010-2014
Licence L 3.526 3.328 2.744 2.702 2.333 -33,8%
Master M 4.966 4.430 4.322 4.369 4.391 -11,6%
Doctorat D 2.364 2.275 2.216 2.029 1.958 -17,2%
Total 10.856 10.033 9.282 9.100 8.682 -20,0%

Source : Campus France. Mai 2016. Dossier n°31

Le nombre d’étudiants boursiers tunisiens à l’étranger aurait été de 2.430 en 2014-2015 contre 1.709 en 2010-2011selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (Mesrs). Plus de la moitié des bourses accordées aux étudiants tunisiens à l’étranger en 2010-2011 a bénéficié aux résidents en médecine, aux boursiers de la coopération et aux boursiers en alternance. 100 bourses seulement ont été accordées aux étudiants de 3e cycle. Même si on prend en considération le nombre d’étudiants tunisiens bénéficiant d’une bourse française de coopération (175 en 2011), le pourcentage de boursiers tunisiens en France en 2011 reste faible, autour de 10% vraisemblablement. Cela résume les difficultés matérielles que rencontrent les étudiants tunisiens à l’étranger. Et si certains parmi eux ont la chance d’accéder à un logement à la Maison de Tunisie à la Cité Universitaire de Paris, ils doivent débourser 404 euros/personne dans une chambre double.

On ne connaît pas avec exactitude le pourcentage précis des étudiants tunisiens rentrés au pays à la fin de leurs études en France par rapport au total de la population estudiantine tunisienne ayant séjourné dans ce pays au cours des quarante dernières années. Les estimations diffèrent ainsi que les époques et les cohortes. Ce qu’on sait avec certitude est que cette part est devenue de plus en plus faible et que la contagion s’est propagée à tous les pays d’accueil en touchant tous les types de formation et plus précisément les niveaux supérieurs. En effet, la réticence à rentrer au pays concerne ceux effectuant des études avancées après avoir été plus au moins circonscrite aux diplômés des grandes écoles d’ingénieurs. 90% des Tunisiens diplômés de ces écoles rentraient au pays dans les années soixante-dix, moins de 15% actuellement. La même tendance est observée en Allemagne où la majorité des ingénieurs tunisiens qui y sont formés a préféré rester dans ce pays ou à l’étranger.

Exode de cerveaux ou élites mondialisées, le phénomène ne cesse d’interroger les sociologues partout dans le monde. Ce que d’aucuns continuent à qualifier de dérive en Tunisie est devenu une réalité démographique et socioéconomique qu’il faut analyser avec pertinence. Cette saignée est en tout catastrophique pour la Tunisie, tant sur le plan de l’enseignement et de la recherche que sur le plan économique. Elle ne pourrait être maîtrisée qu’au prix d’une prise de conscience collective posant sans détour le problème épineux de l’existence de perspectives professionnelles et matérielles satisfaisantes et d’une économie nationale souffrant de désintégration industrielle et d’un  management familial qui laisse peu de place à la méritocratie. Dans ces conditions, taxer de renégats ceux qui choisissent de faire leur carrière à l’étranger ne fera pas avancer les choses. Il faut aller au-delà de ce réflexe passionnel et primaire pour poser la question de la régression mentale, culturelle, socioéconomique et politique qui sévit en Tunisie.

Habib Touhami