News - 19.07.2017

Etats unis: le courageux chasseur de stéréotypes anti-arabes tire sa révérence

Etats unis: le courageux chasseur de stéréotypes anti-arabes tire sa révérence

Il n’y a probablement pas un Arabe, il n’y a probablement pas un musulman aux Etats Unis qui ne connaisse Jack Shaheen.

Jack est parti dimanche 9 juillet à Hilton Head Island (Caroline du Sud) à l’âge de 81 ans. Avec lui s’est tue cette voix calme, si caractéristique, et qui s’est fait entendre à travers le monde entier.
Ce chrétien d’origine libanaise a passé les 22 dernières années de sa vie à essayer de mettre fin aux stéréotypes si laids répandus sur les Arabes à une époque où il était assez impopulaire de le faire. A force de volonté et de travail, ce fils d’épicier est devenu un expert, un professeur de journalisme à l’Université de Southern California à Edwardsville et un auteur de livres  pour dénoncer la haine, l’intolérance et la partialité. Il fut consultant pour CBS et cinéaste car «c’est en devenant membre de la machine hollywoodienne que l’on combat les stéréotypes». Son dernier ouvrage date de 2008 et a pour titre: «Coupables: le verdict de Hollywood sur les Arabes après le 11 septembre». En 2012, l’Université de New York a utilisé ses archives pour une exposition ayant pour titre «A comme Arabe»

Jack a toujours su qu’aux Etats Unis existent deux centres de pouvoir: Washington et Hollywood et c’est là qu’il a exercé son sage et honnête lobbying contre ceux qui avilissent les Arabes en disant que «les Arabes sont des milliardaires, des poseurs de bombes, des danseurs du ventre et des marchands de tapis retors et durs en affaires.» Il a montré que la pop culture américaine arrive à la conclusion que les Arabes «sont fabuleusement riches, ils sont incultes et barbares, obsédés par le sexe avec un penchant pour l’esclavage des Blancs et se complaisent dans les actes de terrorisme… Ces notions sont aussi fausses que les assertions disant que les noirs sont paresseux, les Hispaniques sales, les juifs avares et les Italiens des criminels.» (David Lauderdale, Island Packet, 12 juillet 2017)
C’est en 1974 que le Dr Shaheen a lancé sa campagne contre la xénophobie dans les films de Hollywood et à la télévision. Il a montré que sur un millier de films avec des personnages d’Arabes ou de Musulmans produits entre 1896 et 2000, seuls 12 les ont dépeints positivement (The New York Times, 12 juillet 2017). Il a particulièrement ciblés les dessins animés que regardaient ses enfants. Il a notamment critiqué les paroles d’une chanson du film musical de Disney «Aladin» (1992). La version vidéo de ce film a été mise sur le marché avec une chanson  d’où l’expression  la patrie arabe «barbare» a disparu.

Par la répétition même les ânes apprennent

Les Américains ont commencé à diaboliser les Arabes et les Musulmans après la guerre de 1967 lancée par Israël contre ses voisins.  Leur perception des Arabes a empiré après l’embargo pétrolier de 1973 décrété par les pays producteurs d’hydrocarbures du Moyen-Orient et même après la fin de la guerre froide. Ce qui amené Jack à déclarer: «Nous avons remplacé la menace rouge par la menace verte; c’est-à-dire par  l’Islam.»

Suite à l’attaque du World Trade Center et du Pentagone en 2001, le Dr Shaheen relevait, en 2015, lors d’une interview sur PBS (la télévision publique américaine) : «Cela a réellement empiré parce que maintenant les Arabes américains aussi bien que les musulmans américains sont considérés comme des scélérats, des bandits et des méchants.» Dans cette interview, il devait ajouter: «J’ai consacré ma vie à essayer d’humaniser les Arabes et les Musulmans et de donner de la visibilité aux Arabes américains et aux  musulmans américains afin qu’on ne les montre ni mieux, ni pire que quiconque.»
Sa passion pour les films a commencé alors qu’il n’avait que 12 ans. Il a un peu menti sur son âge pour devenir ouvreur-placier dans une salle de cinéma. Il a ensuite fait des études de théâtre et obtenu un doctorat en communication de masse de l’Université du Missouri.

Pour lui, les préjugés sont un trait acquis, fabriqués et disséminés par les films et la télévision. Il citait souvent ce proverbe arabe: «Par la répétition, même les ânes apprennent.» En 1999, on lui demandé son avis sur le film «Trois rois» qui traite de la guerre du Golfe avec des stars comme George Clooney, Mark Wahlberg et Ice Cube. Il a aussi conseillé George Clooney et d’autres acteurs pour «Syriana», un film de 2005 traitant de la politique du pétrole et du Moyen-Orient.

The Washington Post note: «L’industrie des médias a fait un portrait très peu flatteur des Arabes musulmans et du Moyen-Orient. Ce qui a eu un impact réel et parfois dangereux sur les politiques publiques et le traitement d’êtres humains en chair et en os.» Il suffit de citer ici l’ordonnance du Président  Donald Trump contre les ressortissants de six pays à majorité musulmane.

Il fondait tous ses espoirs dans la nouvelle génération de cinéastes arabes indépendants pour éroder les stéréotypes et les fausses idées.
Sa fille, Michele Tasoff, productrice de télévision, disait à propos de la forte influence des médias: «Il m’a souvent dit que  les enfants n’ont pas le moindre préjugé jusqu’à ce qu’un adulte le leur dise. Il est très important de voir les gens tels qu’ils sont: des gens normaux. Qu’ils soient docteurs ou professeurs. Mais si vous voyez seulement dans quelqu’un un terroriste ou «un Autre», cela va évidemment former l’image que vous vous faites des gens.»

Mohamed Larbi Bouguerra