Opinions - 12.07.2017

Chadli Tabib: Réponse cordiale au Général Mohamed Nafti

Réponse cordiale au General  Mohamed Nafti abibib

Mon Général, suite à une lecture attentive de votre « compte rendu » du livre rédigé par le professeur d’histoire Cherif Faysal « Histoire de l’Armée tunisienne de l’indépendance : la genèse 1956-1960 » je tiens à vous féliciter tant pour l’effort de rédaction que pour la perspicacité de vos attentes. Néanmoins me viennent à l’esprit quelques questions subsidiaires qui pourraient mieux positionner vos suggestions et commentaires pour le moins gratuits.

Certes, et  indéniablement  vous êtes un Général avec un bagage intellectuel militaire lourd, vous êtes parait-il le plus à même de poser des questions de réflexion sur le devenir stratégique d’une armée moderne mais il n’en reste pas moins vrai que la question de la continuité de la tradition militaire reste creuse de son sens si on ne remet pas l’histoire initiale (dans le sens certain du mot genèse ; Voir plus loin les définitions) dans sa réalité historique tant par le repositionnement des vrais acteurs qu’ils soient politiques ou militaires, qui en sont les initiateurs, que par le contexte géopolitique ( jeux d’influences) de l’époque 1956-1960. Largement traité dans l’œuvre du Docteur et historien M. CHERIF.
Si nous considérons les différents angles de la signification du mot genèse, ce dont il s’agit dans ce livre de par son intitulé clairement mentionné ;

« La genèse 1956-1960 »

Définitions du mot Genèse :

  1. Constitution et développement d'une réalité physique ;
  2. Origine et évolution initiale ;
  3. Enchaînement des faits et causes aboutissant à une réalité sociale, à un événement (historique).

Vos commentaires de conclusion se trouvent  dans une zone hors sujet, pour ne pas dire anachroniques, à juste titre et en cohérence avec les définitions du mot  Genèse, car vous dites d’une part :

« Le premier et le second  chapitre évoquent dans la clarté  les préliminaires de la constitution de l’armée nationale.  Le chapitre III aborde les fondements juridiques, l’organisation et nous présente la liste des  officiers chargés de l’encadrement du premier noyau de l’armée. Le chapitre IV retrace les difficultés rencontrées dans sa constitution  dans les domaines des ressources humaines et dans l’équipement. Le chapitre V s’attarde longuement sur la première promotion des officiers avant de finir avec la crise franco-tunisienne dans le domaine de la coopération militaire »
Et vous rajoutez malheureusement d’autre part:

« Un volume impressionnant d’événements qui, à mon avis, ne sont  utiles que pour meubler la genèse au lieu de la forger »

Eh bien je tiens à vous féliciter mon Général pour votre haute capacité de synthèse car là est la réponse aux différentes définitions de la Genèse (citée ci-dessus).
 Il est à noter toutefois une forme de schizophrénie linguistique dans la conclusion de votre synthèse ce qui laisse transparaitre un mal être (affectif) qui se résume par les mots « meubler « et « forger » qui au sens technique linguistique sont hors sujet car ils sortent du domaine rationnel dans la démarche de la recherche académique historique. Il est à noter que  le sens des mots "meubler" et "forge" sont manipulatoires (reportons-nous au sens étymologique des deux mots qui laissent penser à "manipuler", "déplacer", "fabriquer"). Or, pour les Sciences historiques qui demandent une haute formation académique, le travail de recherche pénible à bien des égards comme l’a souligné l’auteur dans son avant propos (dont la lecture aurait pu vous épargner de nombreuses remarques) s’appuyer sur des faits et des données concrètes vérifiables à travers une documentation archivistique fiable et croisée que l’on peut prouver (ce qui est le cas pour ce livre). Or, comme vous devez certainement le savoir les archives tunisiennes sur notre Armée nationale ne sont pas accessibles (relire encore une fois l’avant-propos qui en dit long et expose la démarche de l’auteur pour contourner cette difficulté de taille). Donc les  sources et les documents fondateurs de cette recherche qui n’est guère une littérature proviennent en grande partie des archives Françaises ; ce qui montre toute la difficulté d’écrire l’histoire de cette période pourtant riche en événements.Je salue au passage l’effort et la persévérance de l’auteur du livre pour contourner les difficultés et aller aux sources même des acteurs historiques de cette période.
Pour mémoire, notre armée est constituée de 3 générations  d’officiers  qui se font une course de reconnaissance de compétences militaires, ce qui n’est pas étonnant pour un jeune pays qui regorge de fortes personnalités compétentes et hyper formées. Nous avns la chance malgré notre taille géographique modeste d’avoir des hommes compétents, courageux, créatifs et volontaires  pour protéger notre belle Carthage pour laquelle nous sommes tous prêts à donner notre existence.

Mon père, feu Habib Tabib nous disait quand nous étions enfants:

« J’ai commandé nos soldats dans l’armée Française et même après l’Indépendance en temps de paix et sur les fronts eh bien mon fils le Tunisien est un homme imbattable sur le front, il ne recule devant rien ni personne car non impressionnable  devant la mort et il est capable de construire des armes et des stratagèmes  en partant de rien, nous sommes un peuple invincible car intelligent, fier et courageux»

Les 3 générations d’officiers

A) La génération 1 officiers supérieur et subalternes, sous-officiers et soldats issus de la tradition militaire Française et à l’origine de la constitution (le mot renouveau présuppose un reste du passé hors celui-ci a été dissolu après tant d’années de protectorat)  de notre armée en y rajoutant des nouveaux appelés et sous-officiers formés dans notre école de sous-officier du Bardo. Ils sont les initiateurs et encadreurs de la génération 2

B) La génération 2 Officiers issus de la vague formée à l’école Saint Cyr encadrée par les officiers issu de l’armée Française et qui ont contribué à la construction de l’armée tunisienne post 1960 sans laquelle la génération 3 ne pouvait exister.

C) La génération 3 de fin des années 60 et début 70 jusqu’à nos jour à laquelle vous appartenez, formée initialement dans nos académies initiées par les anciens de la génération 1 et managées, développées  par la génération 2.

Tout ceci étant pour vous permettre maintenant de continuer le travail initié par vos prédécesseurs qui sont issus du terrain pendant des années de guerres et de misère. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un soldat n’est soldat que s’il est confronté au feu c’est pourquoi il y a des manœuvres et des exercices.  
De nos jours nous assistons à la naissance d’une génération 4 liée aux développements des méthodes de management et des  technologies numériques. Ces nouvelles technologies numériques  sont potentiellement génératrices de risques  sécuritaires et des conflits asymétriques où les techniques anciennes de front ne peuvent plus à elles seules  y répondre même si elles restent nécessaires, donc des besoins d’adaptation des méthodes, logistiques et organisations opérationnelles sont nécessaires nous obligeant à des renouveaux perpétuels, chose que vous avez excellemment développées dans vos différents écrits .

Maintenant sur les questions de la douzaine de points que vous évoquez certes, ils sont très intéressants mais ils relèvent plus du ressort des internes d’une armée pour former des officiers et sous-officiers que pour la matière Historique.

Question pour en terminer là : Enseigne-t-on de nos jours l’histoire de notre armée dans nos académies ?

Si la réponse est non, j’invite expressément le corps pédagogique à diffuser des passages édifiants du livre de l’historien Faysal CHERIF, qui fait donc œuvre de pionnier étant spécialisé, et évitera certainement à de nombreux « amateurs » d’histoire de colporter des informations erronées (volontaires ou involontaires) sur l’Histoire de la constitution de notre belle et valeureuse armée grâce à toutes les générations d’hommes qui y ont contribués depuis l’indépendance.

Bien à vous mon Général et bonne continuation dans vos recherches stratégiques de développements utiles à notre glorieuse armée.
Avec tous le respect que je dois à votre rang d’officier Général.

Chédli Tabib

La réponse du Général Mohamed Nafti :

le livre de M. Faysal CHERIF s'intitule " Histoire de l'armée Tunisienne .....". je serai ravi d'entendre des commentaires de l'auteur sur mon article qui n'est nullement un compte rendu (à qui dois je rendre compte?) ni un CR critique ni résumé ni synthèse ni fiche de lecture ou  tout autre forme pédagogique d'expression orale ou écrite . mon article est un REGARD  ( lire le titre). un regard ni doux, ni rude ni complaisant.  Ceci pour apposer ma première réponse aux arguments de critique qui se basent sur les définitions d'un dictionnaire de langue française. je ne m'attarde pas sur des raisonnements basés uniquement sur des définitions générales. Mon REGARD est conditionné par deux paramètres. l'analyse historique et la nature du sujet traité.  je détiens la nature de l'analyse historique d'une grande Ecole Tunisienne   et de renommée mondiale. Pour cette raison mon Regard  ne comprenait que deux minuscules paragraphes . j'ai commencé chacun d'eux par une citation (traduite) de notre éminent savant père fondateur de cette Ecole qui n'est pas un Grand Général comme votre père certes, mais qui nous a laissés de grands travaux sur l'art militaire. Je le considère comme le pionnier des penseurs militaires modernes. Il devance Nicholo Machiavelli d'un petit siècle.  Quant à la nature du sujet traité par M. CHERIF  qui est l'histoire de l'Armée je l'ai REGARDé avec les yeux d'un militaire qui a appris à analyser l'histoire militaire dans les Ecoles américaines et Italiennes. analyser selon les douze points  énumérés dans le REGARD.
M. CHERIF est docteur en histoire et spécialisé dans l'histoire militaire. Pour cette raison j'ai regardé son oeuvre de cette manière. s'il était amateur, ou militaire je n'aurai pas hésité à l'entourer de louanges et d'applaudissements.
BEST REGARD M. TABIB