News - 11.05.2017

En hommage au Pr Nagia Ariguib, le témoignage du Professeur Emérite Malika Trabelsi-Ayadi

Témoignage du Professeur Emérite Malika Trabelsi-Ayadi

Témoignage d’amitié, de reconnaissance et de sympathie. La liste peut être longue, en effet, plus d’un demi siècle partagé avec mon professeur, ma collègue, mon amie, ma sœur. Ma première rencontre avec Madame Ariguib a été, en 1966, dans le laboratoire de chimie minérale de la première Faculté des Sciences de Tunis à la rue Souk Ahras.

C’est avec une grande émotion que je rends hommage aujourd’hui à notre chère et regrettée Madame Ariguib.Une Grande Dame nous a quittés...; femme d’honneur, femme d'action, de courage et de culture. Elle nous manque, elle manque à notre monde de recherche scientifique maintenant dédié à une nouvelle orientation: l’innovation.

Depuis 1976, malgré les propositions professionnelles alléchantes qui m’étaient proposées à mon retour en Tunisie, j’ai choisi de rejoindre l’Ecole Normale Supérieure de Tunis où elle était déjà Professeur de l’enseignement supérieur en raison de son appartenance à cet établissement. Aujourd’hui, je ne le regrette point.

Sa présence à mes côtés, m’a permis de m’adapter au contexte Tunisien avec toutes les difficultés matérielles et sociales que peut rencontrer un jeune enseignant chercheur fraichement débarqué dans le monde de l’enseignement et de la recherche, avec peu d’expérience des pays en voie de développement, dans un pays où tout est nouveau et tout en évolution. Avec cette véritable battante, je me suis intégrée dans la petite, mais ambitieuse équipe de recherche qu’elle a démarré avec un agitateur, une burette et une forte volonté inébranlable.

Dès 1958, Mme Ariguib par ses participations aux réunions de réflexion sur la Recherche Scientifique à l'Université Tunisienne, a contribué au démarrage de la recherche universitaire en Tunisie (1958, 1ère réunion de réflexion, 1968, 2ème réunion de réflexion).

Dès 1960, elle a eu le courage de collaborer à la mise en place de structures de recherche et d’organiser un laboratoire de recherche en chimie des végétaux et en biochimie à la Faculté des Sciences de Tunis (Rue Souk Arras), et en 1973 elle a créé le laboratoire de recherche en Physico chimie-minérale (LPCM) à l’ENS Tunis.

Sa contribution à la création et au démarrage d’institutions d’enseignements et de recherche lui a pris une grande partie de sa carrière.

Sur le plan national elle contribua à fonder l’un des plus grand centre de recherche scientifique en Tunisie l’INRST de Borj Cédria: contribution à l’élaboration des textes , suivi de la conception et de la construction des bâtiments, organisation de l'institution en onze centres prévus et la mise en place de sept centres: d’«Energies Renouvelables», de «Chimie Appliquée», des «Sciences et Techniques de l’Eau», de «Biologie Végétale», de «Biotechnologie», des «Sciences de la Terre», des «Sciences de la Mer».

Dans le cadre de l’enseignement, elle a suivi la conception et la construction des bâtiments de l’ENS de Bizerte actuellement faculté des sciences.

Sur le plan personnel, courageusement, et sans être déstabilisée par «les turbulences», elle a agrandi et enrichi son environnement de recherche autour de thèmes réalisables dans les conditions matériels de l’Ecole Normale Supérieure de Tunis de l’époque et avec les trois « mousquetaires et d’Artagnan » comme elle nous appelait (certains se reconnaitront dans ces mousquetaires). Nationaliste à l’extrême, elle était très attachée à la recherche étroitement liée aux retombées économiques sur l’industrie tunisienne. Le chemin choisi n’était pas aisé, mais nous l’avons pris avec elle. Grace à elle, à sa ténacité, à son courage son endurance et à sa clairvoyance, elle a su nous convaincre ainsi que les autorités Tunisiennes et en passant par les bailleurs de fonds. Ses efforts se sont concrétisés par la réalisation d’accords de coopération avec les industriels d’exploitation des phosphates et d’acide phosphorique Tunisiens, d’abord réticents et très vite se ralliant à sa cause ainsi qu’avec les bailleurs de fonds internationaux pour les projets scientifiques.

Elle nous disait, que la Tunisie est un pays aux moyens limités, si on veut avoir des chances d’obtenir un financement local, il faut choisir les axes de recherche émanant des problèmes rencontrés par les industriels tunisiens. Ce choix judicieux a permis d’obtenir la confiance des industriels dans le domaine de l’exploitation et de transformation des phosphates et convaincre les autorités de tutelle pour nous accorder des moyens de financement appréciables qui nous ont permis de démarrer une recherche sérieuse.

Son intérêt s’est d’abord focalisé sur les phosphates du bassin de Gafsa et les saumures de Chott Djérid puis s’est élargit à d’autres phosphates tunisiens et à d’autres Sebkhats. Bien sûre que dans la recherche elle ne s’est pas limitée à cela, l’équipe s’est agrandit et les thèmes se sont diversifiés. Les argiles sont venues s’additionner aux autres ressources naturelles étudiées et des applications plus fines ont été recherchées.

Après les phosphates doubles à usage d'engrais mixtes à effet retard est venue les rejoindre la recherche sur les phosphates comme base de luminophores ou de conducteurs électriques.

Concernant les saumures, après l’extraction de sels à haute valeur ajoutée à partir des saumures tunisiennes, elle a orienté son équipe vers la modélisation du diagramme complexe représentatif des saumures tunisiennes en vue de faciliter les opérations industrielles d’extraction de sels à valeur économique incontestable.

La valorisation des gisements argileux tunisiens a permis des économies de devises considérables pour la Tunisie (argiles bentonitiques et kaolinitiques et leurs applications, additif agricole, terres décolorantes, boues de forage, stockage des déchets radioactifs, additif dans les cosmétiques, céramiques, …etc.) L’un des derniers thèmes auxquelles, elle s’est focalisée, est celui des nanomatériaux. Elle a été chargée par les autorités compétentes de faire un rapport du CCNRST (2008-2010) sur « Initiatives pour le développement des Nanosciences et Nano technologies en Tunisie».

Beaucoup d’ambition parce qu’elle voulait atteindre des résultats de recherche digne d’un niveau des pays développés.

La quantité consistante des résultats obtenus lui a permis d’élargir l’horizon de la recherche de son laboratoire, la participation à de nombreux projets internationaux, un financement national important, le recrutement de nouveaux chercheurs et la formation doctorale diplômante de nombreux étudiants.

Elle a été membre d’associations prestigieuses et de nombreuses académies: l'Académie des Sciences du Monde en Développement (TWAS), l'Académie Africaine des Sciences (AAS), l'Académie Arabe des Sciences, l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée (IUPAC), elle a été invitée à participer aux réunions de l’Académie des Sciences Pontificales (Rome).

Depuis 1972, elle a initié un grand nombre de projets nationaux et internationaux avec le CNRS en France, la CEE, la BAD, le PNR tunisien, INCO-DC avec des institutions ou des universités européennes et africaines. Elle a également organisé de nombreuses rencontres scientifiques nationales et internationales.

Durant sa carrière d’enseignant chercheur, sa production a couvert plus de 250 publications (articles scientifiques, proceedings nationaux et internationaux et de communications).

De nombreuses collaborations à l’échelle internationale avec des organismes internationaux (Académie Bulgare des Sciences - Groupe Français des Argiles- Académie des Sciences du Tiers Monde (TWAS)- Académie Africaine des Sciences (AAS)- Académie Scientifique et technologique du Caire- UNESCO-Académie Islamique des Sciences, Académie Arabe des Sciences, PNUD, ONUDI, IUPAC, ALECSOS.) et des universités d’Afrique (Algérie, Maroc,  Kenya), d’Europe (France, Allemagne, Espagne, Italie), du Moyen orient (Egypte, Jordanie, Arabie Saoudite), de l’Amérique du nord (USA, Canada).

Ceci n’est cependant que la partie visible de l’iceberg, en effet en plus de sa qualité de chercheur Madame Ariguib, n’a pas négligé sa vie familiale ainsi que sa participation aux activités de la société civile. Elle a contribué à fonder l’association des anciennes élèves du lycée de jeunes filles de la rue de Pacha.

Sa longue carrière professionnelle jalonnée de success stories  s’est poursuivie jusqu’à sa mort, avec une réputation internationale croissante. Il reste à souhaiter que son exemple sera adopté par les jeunes chercheurs.

Paix à son âme.

Malika Trabelsi Ayadi
Professeur Emérite,Faculté des sciences de Bizerte