News - 27.04.2017

Crise du Dinar : teneurs de marché et comptes professionnels en devises !

Crise du Dinar : teneurs de marché et comptes professionnels en devise!

Le nouvel accès de fièvre sur le marché de change et le décrochage du dinar suscitent bien des interrogations et réactivent consécutivement nombre de peurs. Plutôt que d’un nouvel et hermétique propos technique accessible qu’aux seuls initiés, nous nous proposons d’éclairer ces événements fâcheux par la mise en perspective de simples considérations. Tenter d’expliquer des phénomènes monétaires est toujours difficile, car ils mêlent inextricablement plusieurs dimensions: temporelle ou cyclique (moment singulier), psychosociologique (anticipation), et économique (tensions).

La lecture traditionnelle observedes déséquilibres ou des dysfonctionnements de ce qu’il est convenu d’appeler «le marché des changes». Elle décrit, et par là, constate des «effets» (fluctuations haussières ou baissières) sans jamais véritablement s’attarder sur le «jeu invisible» des acteurs qui sont précisément par leurs actions conjuguées «la cause» de cesretournements et revirements.

Dire que la demande a excédé l’offre de devise ou son symétriquement opposé, se traduisant par une insuffisance ou un excès de liquidité est au mieux une tautologie, au pire un paralogisme (faux mais de bonne foi). Alors tâchons d’identifier ces acteurs et les jeux d’anticipation qu’ils mettent en œuvre. Par souci de simplification, on retiendra les banques et les opérateurs d’échanges domestiques et extérieurs. Indiquons d’emblée que les notions de «patriotisme économique», ou «d’éthique des affaires» sont nulles et non avenue, et ne peuvent en aucun cas être sollicitées. Les agents n’ont que faire de considérations morales (sauf à tomber dans l’illégalité) dans leur quête de solutions à leurs préoccupations et à leurs objectifs. En lieu et place, il convient de replacer la notion «d’anticipation» au cœur de la réflexion lorsque l’on tente de comprendre les processus qui mènent en l’occurrence à la chute brutale de la monnaie nationale. D’aucuns ont un peu vite fait porté la responsabilité du décrochage du dinar à des propos pour le moins maladroits et malvenus de la Ministre des finances, coupable d’avoir émis «une prédiction auto-réalisatrice». D’autres, tout aussi vite, d’accuser le gouverneur de la BCT de pas être capable de «tenir» le marché, et d’éviter par son action de soutien à la devise nationale, son dévissage redoutable de conséquences immédiates comme futures.

Des raccourcis un peu rapides, des boucs émissaires tout trouvés, dont une certaine presse fait ses choux gras. Le temps court de l’information et de la presse s’affranchit allègrement etavec une évidente désinvolture du temps long des processus socioéconomiques. Les médias ratent ainsi une explication bien plus profonde, éclairante et pertinente. Car la dégradation des principaux agrégats économiques et financiers du pays est tout sauf récente. Déjà nous écrivions début 2013 que la BCT était «virtuellement» en cessation de paiements, non pas tant comme une prémonition mais bien plus sérieusement comme une tendance à l’œuvre. De facto, la fuite en avant,par l’entremise de l’obtention de nouveaux prêts, n’a fait que retarder le moment de la «sanction»: celui de laisser filer le Dinar! Mais alors qu’elles sont ces forces suffisamment puissantes pour avoir non seulement contrarié les interventions renouvelées de la BCT mais au final avoir consumé et paralysé son action.

Le maintien de la parité du dinar vis-à-vis de devises fortes suppose que les marchés au comptant ou à terme (se couvrir contre un risque de change) soient adéquatement alimentés en ces devises pour satisfaire les besoins d’importations, d’allocations de voyage, et des diverses opérations financières à l’étranger (cautionnement de marché, prise de participation). Mais encore et plus substantiellement de sorties de capitaux en devises fortes telles les remboursements de prêts (intérêts et principal), et le rapatriement de dividendes. Pour peu qu’un aléa fortuit survienne ou que la conjonction de ces diverses demandes se fasse plus forte, tout le bel édifice de gestion de la BCT s’effondre.

La BCT ne peut plus soutenir sa monnaie car elle devrait alors puiser inconsidérément dans ses réserves, ce qui lui est interdit car alors elle ne pourrait plus ressortir sur les marchés financiers: 90 jours d’importations étant considérés par les bailleurs de fonds comme une valeur plancher-butoir pour l’obtention de nouveaux prêts! Mais alors comment en est-on arrivé là? Et quels rôles ont pu jouer les fameuses anticipations ? L’interprétation technique, avons-nous dit, ne suffit pas.

Observons tout d’abord,-et avec d’autres-, que les «teneurs de marché» (8 grandes banques agissant sur les marché des changes) obnubilés par leur propre liquidité et tétanisés par leur aversion au risque se sont depuis plusieurs mois pour les unes, plusieurs semaines pour d’autres tenus à l’écart du jeu du marché, en raréfiant la disponibilité de devises demandées. De l’avis d’observateurs avisés seules deux banques auraient pour ainsi dire «joué le jeu» et pourvu les quantités en leur possession.

Il est donc possible d’en déduire en toute logique (mais seulement comme hypothèse) que l’essentiel des banques publiques ont agi à contrecourant ne libérant que des quantités faibles de devises, renchérissant par là même le coût de celles-ci, et entrainant dans le sillage de leur action l’inexorable spiraledescendante de la devise nationale. De là à dire que les banques ont spéculé contre le dinar, compte tenu des anticipations quelles faisaient de forte demande de devises (besoins évoqués plus haut et dont elles avaient connaissance), il y a un pas que l’on peut raisonnablement franchir!
Il n’y a là, aucun jugement de valeur, puisque l’intermédiation bancaire agit en toute légalité.

Le faible matelas de devises dont dispose la BCT l’oblige à agir sur le fil du rasoir et avec des quantités de plus en plus modiques au fil du temps. Les admonestations du gouverneur pour tenter de réduire les comptes professionnels en devises et d’en récupérer une partie qui s’y loge (100% des revenus en devises, au lieu des 50% autorisés antérieurement) n’y ont rien fait!
Le marché des changesse trouve donc en bute à cette raréfaction quasi artificielle mais autorisée. La sanction tombe comme un couperet: le dinar se déprécie à vive allure en attendant une correction !

Mais alors se pose une autre question: Combien de temps avant un possible effondrement!

Ni l’opinion publique, ni le gouvernement ne semblent avoir pleinement pris conscience, habitués que nous sommes depuis près de six ans à cette immuable chaine de Ponzi (emprunter pour payer et rembourser) au risque majeur de rupture. Au rythme accéléré où vont les importations (notamment sous les effets d’appel d’air des franchises et autres concessions) et face à des recettes en devises toutes en perte de vitesse (phosphates, tourisme, transferts de l’étranger), il y a fort à parier que l’incident de paiement guette véritablement et qu’il ne soit plus qu’une simple vue de l’esprit.

Alors oui le FMI considère que la monnaie nationale est encore surévaluée de 10% mais elle ne dit pas sur quelle durée pourrait intervenir cette dépréciation. Un autre bouc émissaire facilement trouvé ! A l’évidence les banques ont pris peur et ont provoqué ce mouvement de panique autoentretenu par la suite. Mais ce signe avant-coureur devrait alerter le gouvernement et l’amener à changer de cap.Il lui est possible en la circonstance d’activer des clauses de sauvegarde acceptées par l’OMC, de faire geler sélectivement par les banques les accréditations d’importation, de réduire à l’optimum les comptes professionnels en devise (sorte manne de précaution excessive).

Ce ne sont pas les moyens ni les techniques qui manquent, mais bien l’absence de volonté politique!

Hédi Sraieb
Docteur d’Etat en économie du développement