News - 16.04.2017

Carburants de contrebande : méfions-nous !

Carburants de contrebande : méfions-nous !

Certains de nos concitoyens se ruent, sans la moindre garantie de qualité,  sur des carburants vendus au bord des routes… faisant ainsi perdre non seulement de l’argent au Trésor Public et menaçant entre autres les emplois dans les stations-services. Pour ne rien dire de l’encouragement ainsi consenti à la contrebande et à diverses mafias qui sapent les fondements de l’Etat tunisien et de l’Etat de droit !

Rien ne garantit en outre que ces carburants ont le bon indice d’octane (pour l’essence) comme rien ne garantit non plus qu’ils ne portent pas atteinte aux moteurs à quatre temps de la voiture du client qui croit avoir fait « une bonne affaire »… mais « tout ce qui brille n’est pas or », dit la sagesse populaire.  Rien ne garantit que cette essence est exempte d’un additif interdit depuis belle lurette en Tunisie : le plomb (plus exactement le plomb-tétraéthyle).
Pour le gazole (diesel ou gasoil) vendu à la sauvage, rien ne garantit qu’il a le bon indice de cétane et qu’il a la bonne teneur en soufre, c’est-à-dire une faible concentration pour éviter l’émission de composés de soufre polluants et dangereux pour l’environnement et les êtres vivants, à cause, entre autres, de leur acidité. Gros émetteur d'oxydes d'azote, d’ozone et de particules fines particulièrement nocives pour le système respiratoire, ce carburant diesel contribue en outre à l’apparition de brouillards de pollution. 

Carburants de  «qualité africaine»

Ce samedi 15 avril 2017, un groupe d’une trentaine de militants a envahi, dans le port d’Amsterdam, le terrain du plus grand courtier en carburant, le hollandais Vitol. Ce qui a contraint ce dernier à cesser toute activité dans le terminal carburant du port. Les manifestants avaient pour mot d’ordre : « Arrêtez l’exportation d’essence toxique en Afrique de l’Ouest et mettons fin à l’ère des carburants fossiles ».

Ce blocus trouve sa justification dans le rapport publié en septembre dernier par l’ONG suisse Public Eye. Ce document arrive à la conclusion que des courtiers tels Vitol sont responsables du déversement de toxines sur l’Afrique via les ports néerlandais d’Amsterdam et de Rotterdam. Ces intermédiaires additionnent des polluants comme le soufre et le benzène à l’essence et au diesel et ce, dans des proportions qui dépassent largement les standards légaux dans les pays européens. Ces dépassements peuvent être de….  trois cents fois supérieurs aux  normes européennes ! Il en résulte que l’utilisation  de ces produits frelatés peut provoquer de sérieux problèmes de santé non seulement pour les personnes à risques, les femmes enceintes et les enfants mais pour la population générale. Ces carburants sont étiquetés : « qualité africaine ». Etant donné les conflits et la porosité de certaines frontières dans notre continent, peut-on être sûr en Tunisie que ces produits pétroliers ne sont pas vendus par les contrebandiers dans notre pays ? Gagner quelques dinars en faisant son plein sur le bord de la route peut-il compenser les graves atteintes à la santé et à l’environnement que génère leur utilisation ?

Un sale scandale

A ce propos, la ministre des Affaires Etrangères de Hollande, Lilianne Ploumen, parle d’ « un sale scandale » d’autant que ces compagnies pétrolières sont parfaitement conscientes du fait que ces carburants sont toxiques et invendables en Europe. Nombreux sont les partis, les députés et les personnalités hollandaises qui ont exprimé leur désir de voir cesser ces exportations toxiques vers l’Afrique à partir des ports de leur pays.  Ils  appellent les autorités portuaires d’Amsterdam et de Rotterdam à mettre fin à ces pratiques immorales. Des conseillers municipaux de la capitale hollandaise ont condamné, de leur côté, ce commerce infâme.

Les ONG et notamment « Climate Justice Amsterdam » affirment que ces condamnations émanant de politiciens n’ont pas eu la moindre incidence sur ce honteux trafic qui se fait au su et au vu de tous.

Il faut noter que la Convention de Bâle de 1989 sur le contrôle transfrontière des déchets dangereux et leur élimination qui vise à ne pas faire des pays du sud le dépotoir des produits dangereux met clairement sur sa liste ces carburants comme « déchets dangereux ». De plus, la Convention de Bamako, entrée en vigueur le 20 mars 1996, adoptée sous l'égide de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), interdit l'importation en Afrique de déchets dangereux et radioactifs tels que ces carburants dopés au benzène cancérigène et au soufre, un  polluant majeur après  combustion. 

Pour l’heure, Vitol et ses semblables continuent à faire des affaires et à gagner de l’argent aux dépens des consommateurs africains. Que peut l’éthique face à la puissance de l’argent ? Face à la voracité de certains requins ? Face à la désinvolture des politiciens ?

Il est clair que les gouvernements, les ONG et les consommateurs africains doivent se lever contre ce mépris et ce double standard : un produit cancérigène en Hollande ou en Suisse devient miraculeusement inoffensif dès qu’il touche notre continent ! Ils ont,  pour commencer,  une arme efficace  entre les mains: le boycott de ce type de marchandises qui en veut à leur santé et à leur bien-être. 

Pour les Tunisiens, confrontés à ces carburants frelatés, méfiance est ici la mère de toutes les sécurités.

Mohamed Larbi Bouguerra