Opinions - 28.03.2017

Nejib Chebbi: Des élections municipales, pour quoi faire?

Nejib Chebbi: Des élections municipales, pourquoi faire ?

La classe politique s’affaire autour des prochaines élections municipales. Tout indique qu’elles se tiendront à la fin de cette année ou, au plus tard, au cours du premier trimestre de l’année prochaine. Les consultations vont bon train et tout le monde s’accorde pour les faire précéder par la création de tribunaux administratifs dans les régions.

Mais quid du statut des communes? Allons-nous élire des conseils municipaux avec les compétences réduites et les ressources limitées que leur attribue la loi actuelle ? Va-t-on au contraire adopter  une nouvelle loi qui concrétise les principes inscrits dans la constitution sur le pouvoir local et la décentralisation ? La question ne semble pas préoccuper outre mesure les différents protagonistes  de la scène politique. Et bien que le gouvernement ait concoctéun projet de loi sur les collectivités locales, il ne montre aucun empressement à le soumettre au parlement ni surtout à le proposer au débat public dans le cadre de cette démocratie participative dont on entend tant parler!  La dernière mouture de ce projet a fini par fuiter. Une première lecture appelle cependant quelques remarques de fond.
La décentralisation suppose une clarté de décision sur trois questions essentielles: les compétences des collectivités locales, leurs ressources financières et leur autonomie par rapport à l’autorité centrale. Or le projet de loi entoure de flou chacune de ces questions.

En matière de compétence, le projet gouvernemental répartit les attributions des collectivités locales en compétences propres, compétences partagées avec l’Etat et compétences déléguées par l’Etat. Les premières sont fort limitées, les deux autres sont exercées dans le cadre de contrats avec l’Etat, donc sous son contrôle. Tant et si bien que le plus grand flou entoure l’ensemble de ces attributions. On ne sait qui, de l’autorité centrale ou du pouvoir local, est responsable de quoi. Alors que dans les pays qui ont hardiment pris la voie de la décentralisation, les compétences sont rigoureusement réparties entre différents niveaux du pouvoir local. Les communes ont généralement en charge les écoles maternelles et primaires, les dispensaires,les voieries et les transports scolaires. Les régions sont de leur côté responsables des collèges et lycées, des hôpitaux, des gares de voyageurs, des trains, parfoisdu financement de certaines lignes de TGV, des ports, voire des aérodromes.
Le même flou entoure les ressources financières. Les ressources propres sont forts limitées. Les ressources déléguées restent à préciser dans le cadre des lois de finances et de budget. Elles correspondront dans tous les cas aux charges transférées aux collectivités locales.  Dans les pays avancés, les choses sont plus claires: les taxes et impôts locaux sont définis (impôts fonciers et impôts sur la TVA des entreprises,notamment), les impôts partagés sontformés de parts sur certains impôts et les ressources déléguéessont clairement réparties en dotations non affectées et en subventions. Si bien que les ressources propres des collectivités locales représentent entre 55 et 60% de leurs budgets locaux. En Tunisie, les budgets locaux sont aujourd’huitrès modestes, ils représentent seulement 3,6 % du budget de l’Etat, contre 10 % au Maroc, 20 % en Turquie et  34% en moyenne dans les Etats del’UE.

La même hésitation se ressent au niveau de l’autonomie accordée aux collectivités locales dans leur rapport avec l’Etat. De nombreux actes de contrôle sont encore reconnus au ministre, au gouverneur ou au délégué qui gardent dans certains cas un droit de révocation et de dissolution. Certains  de ces actes s’exercent en amont,en violation du principe de« contrôle a posteriori ».D’autres sont soumis au contrôle judiciaire, mais pas tous. Certains sont soumis à l’avis conforme du Haut Conseil des Collectivités Locales, alors que d’autres ne s’en embarrassent point. Dans les pays avancés, le contrôle est toujours judiciaire et quand des mesures d’urgences s’imposent, les délais impartis sont extrêmement courts, d’un à deux mois au plus.

Que conclure de ce qui précède? Deux questions essentielles.

La volonté politique doit être claire et ferme. Une majorité de tunisiens demeure cependant rétive à l’idée de décentralisation. Elle craint pour l’unité du pays des tendances centrifuges dans les régions. Pourtant, le progrès des nations semble inversement proportionnel à leur degré de centralisation. Les pays les plus décentralisés sont ceux qui affichent le plus grand degré de cohésion interne et le plus haut niveau de développement économique et social. On ne peut, de surcroît, ignorer que la centralisation excessive a été à l’origine de l’implosion de l’ancien régime et que la question régionale demeure inscrite à la tête des attentes populaires. L’oublier, c’est ne pas prendre en compte les impératifs d’équilibre et d’équité qui doivent fonder notre cohésion nationale.
La seconde conclusion est qu’on ne peut organiser des élections communales sans engager au préalable un débat clair et participatif sur le pouvoir local et sans nous doter du cadre juridique le plus adéquat pour mener à bien cette grande réforme de l’Etat. La mise en oeuvreprogressive des dispositions de la loi peut prendre tout le temps nécessaire, mais l’objectif doit, dès le départ, être clairement fixé et les étapes aménagées.

Qui prendra l’initiative de ce débat ? Le gouvernement ? Le parlement ? les partis divisés jusqu’à l’émiettement ? Ou la société civile désabusée et abattue?
Quoiqu’il en soit, les élections municipales ne peuvent être tenues avant d’engager cette réforme. Dans le cas contraire la décentralisation serait renvoyée aux calendes grecques. Et l’on ne peut, au prétexted’afficher un optimisme de circonstance, s’associer à l’insouciance générale.

Nejib Chebbi