Opinions - 13.03.2017

Mohamed Kasdallah: Pour la création d'un Haut Comité d'Evaluation de la Condition Militaire

Pour la création d'un Haut Comité d'Evaluation de la Condition Militaire

«Dans la naissance des sociétés, ce sont les chefs des républiques qui font l’institution et c’est ensuite l’institution qui forme les chefs des républiques.»
Montesquieu.

D’abord, qu’il me soit permis de signaler que par souci de clarté pédagogique, la présente réflexion est nullement philosophique autour d’un concept vague et quasiment inconnu chez nous. La démarche vise à fournir des éléments d’appoints à l’objet de cette contribution qu’est «la condition militaire» dont les contours sont effectivement difficiles à cerner. Il importe d’attribuer, citation aidant, aux mots leurs vrais sens pour dénouer, un tant soit peu, l’ écheveau d’un ordre politico- militaire, d’une extrême complexité.
Cette proposition est formulée à l’intention de son Excellence Monsieur le Président de la République, Commandant en chef des Forces Armées qui, possédant le monopole des grandes décisions et orientations en matière de défense, ne manquerait pas de réagir favorablement.

La notion de "condition militaire" apparaît en France vers la fin des années 50, initialement d'essence quasi philosophique, elle devient rapidement pratique et identitaire au début des années 70. Le code de la défense la définit comme: "l'ensembledes dispositions qui adaptent l'exercice des droits reconnus aux citoyens aux nécessités propres à l'état militaire"
La condition militaire constitue une universalité d'obligations, de garanties et de compensations qui donnent à la collectivité des officiers, sous - officiers et hommes du rang ses caractères propres. Elle est fondée sur la réalisation d'un équilibre entre deux tendances opposées:

  • Le particularisme traditionnel qui procède des spécificités des missions, de la discipline nécessairement rigoureuse et des conditions de vie propres aux unités militaires.
  • La nécessité de ne pas couper le personnel militaire du reste de la nation et d'éviter à une catégorie de citoyens un isolement dangereux pour eux-mêmes et pour les autres.

Par ailleurs, la condition militaire inclut le moral et les conditions de vies, non seulement, des militaires mais aussi de leurs ayants droits, c'est à dire leurs familles  car les exigences du service et en particulier la mobilité géographique ont une forte incidence sur la vie familiale. Ainsi les questions du travail du conjoint, du niveau de vie du ménage, du logement, de l'accession à la propriété, du célibat géographique, du divorce, de la scolarité des enfants et de la vie quotidienne de la famille du fait des absences (permanences ou horaires atypiques) font partie intégrante des problématiques de la condition militaire.

Les récents bouleversements de la société tunisienne et notamment la prolifération des associations professionnelles et les syndicats dans les différents services sécuritaires impactent inévitablement le personnel militaire qui, tôt ou tard, aura le sentiment que l'équilibre entre les contraintes et les compensations [de la vie dans l'armée] a été rompu et que la condition militaire a évolué à son détriment au cours des dernières années.

Pour éviter le risque d'engendrer au fil du temps une profonde insatisfaction et de laisser une part trop grande aux impressions générales, il serait opportun de procéder à une évaluation régulière, objective et comparative de la condition militaire et de son évolution et d'instituer un organisme d'observation, Indépendant du MDN, inspiré, avec les adaptations nécessaires et évidentes, du système  français de concertation entre militaires ou britannique: l'Armed Forces PayReview Body (AFPRD).

Création d’un Haut Comité d'Evaluation de la Condition Militaire (HCECM)

Il s'agit d'une structure indépendante originale dans le paysage administratif tunisien, tant par sa vocation, sa composition, ses moyens d'action et sa méthode de travail.

Mission

Le Haut Comité d'Evaluation de la Condition Militaire a pour mission d'éclairer le Président de la République et le Parlement sur la situation et l'évolution de la condition militaire.

Un comité dont les membres sont nommés par le Président de la République

Le HCECM est composé de membres, dont le nombre reste à déterminer, nommés par le Président de la République. L’idée, lors de la désignation de ces personnalités, est d'instaurer une mixité entre le secteur privé et le secteur public, entre civils et militaires, afin de développer des analyses objectives et ouvertes.

Des membres bénévoles et une structure de support très réduite

Les membres du HCECM sont bénévoles. Ils se réunissent en tant que de besoin, en s'appuyant sur un secrétariat général, structure permanente très légère. Celle-ci est dirigée par un secrétaire général, nommé par le MDN.

Le HCECM relève fonctionnellement de la Présidence de la République et s'appuie sur les moyens du ministère de la défense qui fournit les crédits, l'infrastructure et le soutien nécessaire à son fonctionnement.

Un accès direct au chef des armées

Le HCECM rend compte directement au Président de la République, chef des armées, ainsi qu'au Parlement, de ses observations, analyses et propositions. Cet accès direct est une particularité qu'il convient de souligner.

Méthode de travail

Le Haut Comité cherche à évaluer la condition militaire de la manière la plus objective. Pour ce faire, il déroule une méthode aussi scientifique et pragmatique que possible qui permette d'établir des constats incontestables. Tous les ans, il se déplace dans plusieurs unités des forces armées qu'il choisit, afin d'écouter les militaires et leurs conjoints. Ces rencontres ont lieu hors de toute présence hiérarchique.
Le HCECM établit un rapport annuel dans lequel il formule des avis et peut émettre des recommandations. Ce rapport est, en premier lieu, destiné au Président de la République, qui en tire ses propres conclusions sur les suites à y donner. Il est également remis à l'Assemblée des Représentants du Peuple afin que les élus puissent prendre connaissance des avis et propositions du HCECM. Ce rapport est en outre remis au Ministre de la défense nationale et au cabinet du Chef du Gouvernement.

Cette mesure conduit naturellement au concept de la condition militaire et au moral des armées. L'institutionnalisation d'un HCECM aura un impact majeur et positif et s'avèrera doublement bénéfique. Le Commandant en Chef des Armées étant constamment éclairé du moral de ses militaires et leurs ayants- droits .Ceux -là, n'auront ni le sentiment d'être coupés de leur chef suprême ni le sentiment d'une insuffisante considération par rapport à celle accordée aux autres catégories.

Faut- il rappeler, enfin, que le moral de la troupe traduit sa volonté de se battre et par extension rehausse le moral de la Nation.

Pour conclure, remettre le militaire au centre des projets

Tous les hauts responsables, Le Chef de l'État à leur tête,déclarent, à maintes reprises, vouloir replacer le militaire au centre de leurs projets. La présente proposition conforte cette volonté. Alors, monsieur le Président faites en sorte que l'espoir soit permis et passez à l'action car "une décision n'est bonne que lorsqu'elle est prise ".

Mohamed Kasdallah
Colonel(r)