Opinions - 03.03.2017

Le service national facteur d’unité et de développement régional

Le service national facteur d’unité et de développement régional

On ne peut aborder le sujet du Service National sans le définir et sans relater de manière exhaustive son historique et celui de la Conscription Militaire, nerf névralgique de ce service.

1-le service militaire

1-1-Définitions

On appelle service militaire obligatoire la réquisition par l’Etat d’une partie de sa population au service de ses Forces Armées. Une autre définition identifie ce service : il s’agit d’un ensemble d’obligations militaires légales imposées aux citoyens pour contribuer à la défense éventuelle de leur pays et jouer le rôle de vivier aux Forces Armées de ce pays.

1-2-Evolution historique

Il faut remonter à l’antiquité pour retrouver les origines de la conscription. Elle touchait le dixième des citoyens surtout les mercenaires professionnels recrutés par les cités helléniques. Cette pratique fut utilisée aussi en Grèce, à Rome ainsi que par Hannibal et Cyrus. Ce n’est que Marius qui commença à accepter dans son armée les gens du peuple tandis que c’est sous Auguste que la notion d’armée permanente vît le jour. Cet aspect de la conscription ne touchait en fait que les gens qui vendaient leurs services pour alimenter les armées.

Il faudrait attendre la fin du XVIIIe siècle pour voir apparaitre en France, avec l’arrivée de la révolution, le Service Militaire Obligatoire ou la Conscription. Ce service fût né le 05 septembre 1798, sous le Directoire, grâce à un de ses membres dépositaire portant le nom de Jean Baptiste JOURDAIN. L’article premier de cette loi indiquait que : « Tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ». Avec la loi Jourdain il n’était plus question de faire appel uniquement aux professionnels parmi les vagabonds et les officiers parmi les nobles.. Ainsi cette loi mît fin au recrutement de milices très impopulaires par leurs abus et par leur caractère inégalitaire touchant les paysans et manœuvres, seuls astreints à servir. Pa cette nouvelle loi votée naquit la Conscription qui oblige les jeunes de 20 à 25 ans à s’inscrire dans les registres communaux pour faire face aux éventuels dangers pouvant survenir à cette époque. La durée du service allait jusqu’à 5 ans. Chaque année les appelés sont répartis en un certain nombre de classes selon les besoins militaires. Cette méthode ne dura pas longtemps et fut abrogée par Louis XVIII au grand soulagement de la population. Elle fut remplacée au XIXème siècle par une conscription plus allégée, autorisant les dispenses de tous ordres, le recours au tirage au sort ainsi qu’au remplacement.

Au XXe siècle, la conscription a connu différents aménagements dans le cadre du service militaire obligatoire; ce n’est qu’en 1934 que les prémices d’une armée de métier firent jour en France. Alors que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis d’Amérique considéraient que la conscription militaire devrait garder son aspect provisoire.

1-3- Son historique en Tunisie

Pour la Tunisie, la conscription a vu le jour en 1860, une année après l’arrivée de Sadok Bey à la tête du beylicat de Tunisie. Héritée de la France et ramenée à trois ans au lieu de huit à partir de 1900, le service militaire obligatoire par tirage au sort fut instauré pour les jeunes de 19 à 21 ans. Leur nombre était déterminé chaque année par décret beylical. Toutefois les échappatoires et les exemptions de ce service étaient multiples à l’instar de la loi française. Etaient prises en considération les études, l’exemption de certaines catégories de la population, le versement d’un prix de remplacement fixé à cette époque par décret à 1000 francs avant la première guerre mondiale. Cette méthode de recrutement ne touchait que 10% des effectifs potentiels. Au fur et à mesure de son application, la loi du service militaire obligatoire souleva des contestations, des mutineries et des désertions durant la période en question. La première guerre mondiale qui a marqué l’esprit des tunisiens à cause du nombre de victimes tombées au nom de la France n’a fait qu’augmenter et développer l’appréhension chez les familles potentiellement concernées qui excellaient à trouver des subterfuges afin d’éviter la conscription à leurs progénitures.

1-4-Le constat

Par ses aspects discriminatoires et inégalitaires, le Service Militaire, précédemment décrit, n’a jamais été populaire et ne draine presque plus d’adeptes dans toutes les régions du monde malgré les différentes formules utilisées pour rendre ce devoir plus toléré. Devant le dilemme de la mobilisation ne répondant pas à la satisfaction des besoins réels de chacun, la plupart des pays ont décidé de choisir et adopter principalement dès la fin du XXe siècle l’une des deux formules suivantes:

  • L’Armée de Métier qui requiert de grands moyens personnels, logistiques et financiers en ce qui concerne les pays se considérant aisés ou puissants pour se le permettre .
  • L’Armée Mixte composée de militaires de métier et de conscrits, aménagée selon les particularités de chaque pays, et s’accrochant aussi au concept du Devoir National en vue de la participation de chacun à la Défense du pays en question. A cet effet nous avions vu apparaitre dans les années 1970 le concept du Service National combinant la préparation au combat et le Service Civil ou alternatif.

La carte, ci- dessous, nous donne une idée sur les systèmes et attitudes adoptés:

Légende (référence wikipedia)

  • Vert: pas de forces armées (21 pays)
  • Bleu: pas d'obligation (104 pays dont 5 pays arabes :volontaire / armée professionnelle)
  • Violet: écrit dans la loi, mais pas appliqué
  • Orange: encore obligatoire mais une suppression dans un avenir proche (< 3 ans) est déjà décidée
  • Rouge: obligatoire
  • Gris: pas d'informations

2-le service national en Tunisie

2-1-Choix

A l’instar de certains pays occidentaux tels que la Norvège, la Suisse, la Finlande et l’Autriche, et tenant compte de ses capacités, de ses possibilités et de ses moyens, la Tunisie avait opté pour une armée évolutive basée sur la conscription, seuls ses cadres formant la chaine de commandement étaient actifs. Par la suite ont été intégrés aux contingents et dans toutes les catégories de grades les appelés de réserve, le soldat étant conscrit d’origine et ne fut recruté et accepter en tant qu’actif qu’à partir des années 1990 pour pallier au manque de soldats conscrits augmentant d’année en année. De ce fait depuis ces années là la formule d’armée mixte s’est imposée d’elle-même dans les faits.

D’autre part, une partie des contingents de l’Armée Nationale a été mise à contribution dans différents projets d’infrastructures et de développement nécessitant des effectifs conséquents surtout en zones reculées et difficiles par leur rude climat.

Par ailleurs, l’affectation individuelle de 15 à25 jours fut instaurée en 1978 suivie d’une ponction de la majeure partie de leur salaire durant les onze mois restants au profit de la caisse du service national. Au début des années 2000, seulement une partie du salaire équivalant à un peu plus de 30% fut requis par une loi rectificative suite à un sondage d’opinion effectué par le centre des affaires psychologiques de l’Armée Nationale auprès des jeunes appelés pour la régularisation de leur situation militaire, lequel sondage avait démontré la difficulté que vivent les recrues sous ce régime sur le plan social, vu le rôle de soutien que jouent la plupart d’entre elles pour leur familles respectives.

2-2-Les causes de défection et manquement

Le Service National portant en son concept le sens du Devoir Patriotique de chacun vis-à-vis de son pays n’a pas non plus suscité l’engouement désiré chez les jeunes malgré tous les aménagements et les modifications apportés à ses lois pour répondre aux exigences du XXe siècle. Pourquoi ? Quelles sont les causes réelles du manquement à l’appel du devoir?

a) La cible: Bien que le service militaire ait été touché dans sa philosophie par des lois le convertissant au devoir citoyen de chacun envers la nation, bien que le tirage au sort ait été définitivement abrogé depuis l’indépendance, la conscription se basait dans les faits sur les populations moyennes et pauvres ainsi que sur quelques corporations de métiers pour les officiers de réserve afin d’assurer les besoins de l’Armée Nationale. Par ce procédé de mobilisation, les quartiers populaires et les citées reculées se trouvent visées par le système discriminatoire et inégalitaire de fait. Avec l’évolution du niveau éducatif scolaire du jeune tunisien, le soldat du contingent se pose continuellement la question: « Pourquoi moi et pas l’autre? ».
b) Recul de l’emploi: Malgré une loi obligeant l’employeur à réintégrer son employé au sein de son organisme ou société à l’issue de son service national, rares sont les employeurs qui la respectent à par les institutions de l’Etat. A cela s’ajoute la diminution de plus en plus accentuée des postes d’emploi surtout dans le public. C’est l’une des principales hantises du jeune à la recherche de cette denrée devenue de plus en plus rare telle que nous la concevons dans notre société et c’est une hantise pour celui qui l’obtient.
c) Le laxisme: la diplomatie tunisienne réussit durant plus de 50 ans a créerle sentiment de sécurité chez l’ensemble des citoyens dont certains sont allés jusqu’à penser que la défense de la Tunisie est garantie par les pays amis qui la protègeraient si nécessaire, elle n’a donc pas besoin d’une armée entretenue. Au jour « J » ces mêmes pays voleraient à son secours. Bien sûr que cette idée véhiculée par une certaine élite ne pouvait convaincre les gens du métier et les responsables ayant la fibre patriotique, heureusement qu’il en existe beaucoup. Enfin la notion mal interprétée de la globalisation a permis trop de rêves à la jeunesse du monde dont la nôtre.
d) La législation: la législation tunisienne en matière de dispense provisoire ou définitive du Service National est très complaisante quant à l’accomplissement de ce devoir des jeunes arrivés à l’âge de la régularisation de leur situation militaire.

  • Pour l’octroi du sursis, la législation a prévu sept (07) cas légaux de dispense provisoire.
  • Pour l’octroi de la dispense définitive, cette même législation a prévu six (06) cas légaux.

e) L’affectation individuelle : Par son texte modifié au profit social des jeunes, l’affectation individuelle a ouvert la mauvaise gestion jusqu’au non respect normalement prescrit par arrêté du MDN.
f) Capacités d’infrastructures: les infrastructures de l’Armée Nationale, dans son organisation actuelle ne peuvent résorber toutes les jeunes recrues en devoir d’accomplir leur Service National. Quelle que soit la volonté des uns et des autres, les résidus de chaque classe s’amoncellent d’année en année sans espoir de solution réelle permettant une libération rapide des jeunes non retenus qui doivent attendre avec frustration leur tour à venir. Le malaise ainsi installé ne peut qu’accentuer le manquement et la défection au Service National.

3-le service national au profit du développement régional

3-1-L’intérêt

Les différents think tanks organisés en table ronde à ce sujet ont abouti dans leurs réflexions à la nécessité de résoudre l’équation de « l’Intérêt et Profit pour Tous».
En déroulant le film de l’évolution du service militaire en général et en particulier en Tunisie, des éléments de base jaillissent en vue de tenter de limiter au maximum le manquement et la défection au Service National.

3-1-1- Egalité, facteur d’estime

Conformément à la constitution de la Deuxième République et aussi en harmonie avec son contenu ainsi que dans le souci de susciter l’intérêt de toutes et de tous, tous les citoyens sans distinction d’âge, ni de sexe, ni de religion ni de classe sociale, ni d’handicap physique, ni en fonction de la position familiale doivent participer au devoir de Défense Nationale par tous les moyens qui sont mis à leur disposition. Ceci consolidera leurs liens, raffermira leurs relations, valorisera et fera découvrir l’importance du rôle de chacun dans le système et atténuera l’esprit de corporatisme… Pour ainsi dire, ceci réduira le sentiment d’injustice et d’inégalité entre les couches sociales du pays et rehaussera l’estime de soi déjà écorné ou entamé depuis fort longtemps pour un grand nombre de la jeunesse qui a perdu tout espoir, et devient indifférente à la mort en risquant sa vie par l’émigration clandestine ou l’adhésion à des groupes terroristes. Rien n’est fortuit.

3-1-2- La formation, facteur d’emploi

Malgré leurs diplômes, les jeunes récemment sortis sur le marché d’emploi ne trouvent pas d’acquéreur, confrontés toujours au manque d’expérience sur le terrain ou de l’incompatibilité de leurs diplômes avec les besoins requis par l’employeur. Par ses compétences et le nombre important de ses organes et différents ateliers, l’Armée Nationale peut en partie participer à l’effort de formation et permettre la valorisation du profil de la jeune recrue. L’autre partie de l’effort devrait être assumée par la contribution de toutes les institutions, organes et sociétés publiques ou privés avec l’intégration du service civil dans le système.

3-2- Le service civil

Dans les pays, pour la plupart démocratiques, ayant recours à la conscription obligatoire et faisant face à la montée de la fronde chez les objecteurs de conscience ainsi qu’aux problèmes de mobilisation de plus en plus peu convaincants, le Service civil a été intégré au service National pour permettre la régularisation de la situation militaire de la majorité des jeunes en âge de remplir leur devoir militaire.

3-2-1- Définition

Le service civil est défini comme un service alternatif ou de remplacement apportant une grande partie de la solution en résorbant le surplus des jeunes redevables du Service National dans l’intérêt de la jeune recrue et de l’Etat et ses institutions qui en tirent profit.

3-2-2- Domaines d’emploi

Les pays ayant eu recours à ce service dont la France, la Belgique avant de l’abroger ou en ont encore recours tels l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse l’adaptent selon leurs domaines d’intérêts et leurs besoins du moment. Les secteurs qui sont en général visés sont: l e Social, la Santé, l’Environnement, l’Agriculture, le Développement et la Coopération à l’Etranger.

3-2-3- Avantages

Tout d’abord le service civil permet de résorber comme il a été mentionné précédemment le surplus en âge d’accomplir le service national. Ensuite il permet aux jeunes de s’intégrer dans le tissu productif du pays et acquérir l’expérience nécessaire pour l’emploi tout en ayant la possibilité aisée de reconversion. Enfin le service en question permet au pays d’avoir des moyens humains supplémentaires pour remplir sans faillir à ses engagements dans la coopération internationale.

3-3- Le Soutien au Développement Régional

Comment parvenir à satisfaire ce grand projet qui réconcilie la Tunisie avec elle même et avec sa jeunesse assoiffée de justice, d’égalité et de bien être?
Trois domaines devraient être revus et réaménagés pour répondre à ce projet pouvant devenir tentaculaire et résoudre les problèmes auxquels fait face de plus en plus notre pays. Il s’agit de la législation civile et militaire, des structures de l’Armée Nationale et de la définition et délimitation des zones et pôles économiques avec les programmes y afférents.

3-3-1- La législation

Elle devrait être réaménagée en prenant en considération le service civil comme faisant partie du Service National et l’intégrer ainsi dans le système de circonscription et mobilisation. Cette législation devrait tenir compte de l’implication de toutes les institutions, ministères, services publics et privés ainsi que de la société civile dans le processus et s’assurer de l’engagement de chacun à respecter son contrat. Le Ministère de la Défense Nationale serait le ministère de tutelle pour le suivi de la recrue jusqu’à l’accomplissement de son devoir national.

3-3-2- La restructuration de l’Armée Nationale

La structure actuelle de l’Armée Nationale ne pourrait pas répondre avec satisfaction à l’accomplissement de ce grand projet qui requiert trois corps d’Armée distincts mais complémentaires :

A) Un Corps Opérationnel: Ce corps bien équipé, serait constitué en majorité de professionnels et d’une élite de conscrits de différentes catégories sélectionnée et orientée pour ses performances, il aurait pour mission de mener des opérations d’interventions rapides nécessitant souvent de grands moyens..

B) Un Corps d’Unités Territoriales: Ce corps, constitué de militaires actifs et de réserve de tous grade résorberait une grande partie des besoins de l’Armée en conscrits aptes médicalement au service armé. Ce corps, installé dans différentes régions déterminées du territoire, aurait la charge de la défense et de la sécurité du territoire national.

C) Un Corps de Soutien au Développement: Ce Corps constitué de conscrits spécialisés dans différents domaines et de tous les niveaux professionnels, serait appelé à renforcer toutes les régions du pays et répondre à leurs besoins pour l’accompagnement de leurs projets d’équipements et d’infrastructures, de projets agricoles et agro-alimentaires, de projets industriels et de services. Le Service Civil en serait le plus important vivier. L’importance accordée à ce corps pourrait résoudre le problème de la formation et de l’acquisition de l’expérience ainsi que permettre la reconversion plus facile de la jeune recrue afin de répondre aux besoins réels du marché de l’emploi.

Ces trois corps auront aussi la non moins importante tâche d’alimenter le vivier du Corps  de l’Armée de Réserve en cas d’une éventuelle mobilisation.

3-3-3-Les conditions de réussite

  • Découper les régions territoriales en prenant en considération l’imbrication des zones militaires relevant des unités territoriales avec les zones économiques relevant du domaine de l’Etat.
  • Réaménager l’infrastructure existante avec l’ amélioration des conditions de vie dans les casernes en entamant des travaux de réfection et la créations d’espaces de loisirs pour les activités culturelles et sportives ainsi que la généralisation de points de vente pouvant satisfaire et compléter le bien-être des effectifs sans aucune distinction. Penser à la création de nouvelles casernes plus modernes et adéquates aux effectifs des deux sexes.
  • Asseoir un réseau informatique et de communication performants reliant tous les acteurs du Service Militaire, tel proposé, en vue de faciliter le recrutement, la répartition et l’intégration des conscrits de chaque classe afin de protéger les droits de l’individu et de l’institution ou organe concernés.
  • Assurer une solde conséquente à la mesure des besoins d’un jeune du 21e siècle au lieu de chercher à lui offrir l’argent du contribuable sans contrepartie, créant chez lui le sentiment de fardeau pour la Nation.

Conclusion

Le système de conscription proposé serait le moins mauvais choix au vu des moyens limités dont dispose notre pays afin d’assurer sa Défense et faire prévaloir sa souveraineté. Notre force résiderait dans notre union pour la protection de notre tissu social et la consolidation de nos liens indépendamment de notre couleur, notre appartenance à telle ou telle région, notre position sociale, notre sexe, notre tendance ou religion. Cette force résiderait dans l’intérêt que pourrait porter chacun d’entre nous à notre patrie en lui offrant notre contribution personnelle. Aussi, devant le retour éventuel du protectionnisme et la montée des mouvements extrémistes, nous devons compter d’abord sur nous-mêmes et sur nos capacités et ressources propres.

Enfin tous les pays sans exception, même ceux qui ont choisi le système d’armée de métier tels les Etats-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne, laissent toujours une porte ouverte en cas de besoin pressant à la mobilisation et conscription.

L/Colonel Jamel ZAÏBI