Opinions - 21.02.2017

Elections des structures académiques universitaires : un processus à améliorer

Elections des structures académiques universitaires : un processus à améliorer

Un des plus importants acquis des universitaires depuis 2011 est l’élection des directeurs, doyens et présidents d’université. Cette décision « d’après révolution » ne peut être, sur le principe, que favorablement accueillie.La direction des institutions universitaires doit se faire de manière collégiale car l’adhésion des enseignants-chercheurs au projet d’établissement ou d’université est essentielle pour sa réussite. Il ne s’agit pas ici de remettre en question le principe, mais d’améliorer le processus. En effet, ce dernier a montré des défaillances dès sa première application en 2011. Les mêmes anomalies ont été enregistrées aux élections de 2014. Il est temps de dresser un bilan de cette expérience et de corriger le tir, surtout qu’on est à la veille d’autres élections (juin-juillet 2017).

Nous allons exposer, tout d’abord, le processus d’élection pour les lecteurs non-avertis (voir le Décret n° 2011-683 du 9 juin 2011, modifiant et complétant le décret n° 2008-2716 du 4 août 2008, portant organisation des universités et des établissements d'enseignement supérieur et de recherche et les règles de leur fonctionnement). Les responsables, à tous les niveaux des structures (département, faculté/école/institut, université) qui dirigent les institutions universitaires sont élus. La cellule de base dans les structures universitaires est le département dont le directeur est élu directement par ses collègues appartenant au même département. Viennent au niveau au dessus les établissements universitaires, c’est-à-dire les facultés, écoles ou instituts qui sont dirigés par un doyen (faculté) ou un directeur. Les doyens et les directeurs sont assistés par un ou deux (selon la taille de l’institution) directeurs des études et des stages. Ces derniers sont nommés par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique sur proposition du directeur ou doyen et après approbation du président de l’université. Les établissements comprennent un conseil scientifique à caractère consultatif formé,en plus du directeur, des vice-directeurs, des directeurs de départements, des représentants des étudiants et desreprésentants des organismes économiques, sociaux et culturels, de 8 membres répartis à égalité entre les corps A (Maîtres de Conférences et Professeurs) et corps B(assistants et maîtres-assistants). Si le nombre d’enseignants du corps A dépasse cinquante, le conseil scientifique peut comprendre dix représentants. Les membres du conseil sont élus parmi les enseignants de l’établissement par leurs collègues du même corps. Dans les jours qui suivent son élection, le conseil scientifique tient sa première réunion afin d’élire le directeur ou le doyen parmi ses membres. Pour se porter candidat à la direction d’un département ou au conseil scientifique, l’enseignant doit être titulaire. Bien que pour la direction des départements, les candidatures des maîtres-assistants peuvent être acceptées en cas d’absence de candidature ou de présentation d’une seule candidature parmi les grades de professeur ou de maître de conférences, les enseignants appartenant au corps B ne peuvent présenter leurs candidatures à la direction d’un établissementque s’il n’y a aucun candidat appartenant au corps A  qui se présente. Cette restrictioncomme on le verra plus bas a causé des problèmes graves dans certains cas.

Les établissements (facultés, écoles et instituts) sont regroupés en Université. Cette présentation des universités ne correspond en aucun cas à la définition qu’on devrait avoir de l’Université, mais malheureusement reflète la réalité Tunisienne. Mais, la définition de la mission de l’Université est un autre débat qui mérite de s’y pencher(voir le chapitre intitulé « Les universités tunisiennes entre critères académiques internationaux et réalités locales vécues » parNizar Ben Salah dans le livre "University and Society within the Context of arabrevolutions and New Humanism" édité par M. El Khouni, M. Guissoumi et M.S. Omri, et publié par Luxemburg Foundation&Sotepa Graphics, 2016).Les universités sont dirigées par un président élu, par les membres du conseil de l’université, parmi les représentants des enseignants du corps A. Ce conseil est formé par le président de l’université, les directeurs et les doyens des institutions appartenant à l’université, dix représentants élus des enseignants (cinq de chaque corps), les représentants élus des étudiants et un ou deux vice-présidents. Ces derniers sont nommés par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique sur proposition du président de l’université.L’élection du président a lieu à la première réunion du conseil de l’université.

Dans l’absolu, ce système électoral semble démocratique et semble permettre une participation des enseignants-chercheurs à la direction des institutions. Cependant, la réalité de l’Université Tunisienne a prouvé que ce système est loin d’assurer une gestion démocratique et participative des institutions. De plus, ce système ne garantit pas l’élection des candidats les plus aptes à diriger.
En effet, la majorité des établissements (écoles et instituts) ne comprennent qu’un nombre réduit d’enseignants-chercheurs permanents et ne comprennent qu’un ou deux enseignants du corps A, avec parfois un déséquilibre flagrant entre les spécialités. Les élections sont faussées par ces données « démographiques ». Nombreuses sont les institutions où le directeur a été « élu » par défaut, vu qu’il ou elle est le seul candidat appartenant au corps A. Ceci est le résultat direct du critère excluant automatiquement la candidature des corps B lorsqu’un corps A se présente. Dans plusieurs cas (en 2011 et 2014), l’élection d’un directeur non désiré a mené à la paralysie de l’institution. Donc, vu le nombre assez faible d’institutions ayant un nombre de corps A assez élevé pour permettre une vraie « concurrence », le système de candidature devrait permettre aux corps B de se présenter même s’il y a un candidat du corps A.

Le système électoral ne requiert des candidats à la direction aucune vision, stratégie ou plan de développement de l’institution, ni de démontrer des aptitudes à diriger. De plus, une élection indirecte du directeur ou du doyen favorise le système de lobby. Pour remédier à cette déficience, on devrait exiger des candidats de déposer obligatoirement leurs CV et leurs programmes pour le mandat à la tête de l’institution qui seront systématiquement publiés et affichés aux enseignants. Même si cette exigence ne garantit pas que le choix se fasse nécessairement sur les programmes, elle permettra au moins de décourager les candidatures superflues et poussera les candidats sérieux à formuler leurs projets et stratégies.

Une autre restriction à lever est celle limitant la candidature aux seuls membres de l’institution. La candidature doit être ouverte à tous les universitaires appartenant aux universités publiques tunisiennes. La démographie dans les institutions universitaires l’impose. De plus, comme le démontre les expériences d’autres pays, le recrutement d’un directeur ou d’un doyen externe à l’institution peut être bénéfique pour stimuler le renouvellement de l’établissement. Le programme et la vision du candidat doivent être les facteurs décisifs. A remarquer que beaucoup de nos écoles recrute leurs propres étudiants en tant qu’enseignants. Cette « consanguinité » perpétue et amplifie les faiblesses. Du sang neuf, ne serait-ce qu’au niveau de la direction, est propice à instaurer une dynamique de renouveau.
L’élection indirecte du directeur/doyen, bien que conçue légitimement pour assurer un poids plus important aux corps A (leur nombre étant généralement beaucoup plus faible que celui des corps B, une élection au suffrage universel marginalisera leurs voix), a mené à la formation de clans, qui divise inéluctablement les établissements, et d’un système de lobby, qui garde le directeur/doyen otage des coalitions électorales pendant tout son mandat, parfois à l’encontre de l’intérêt de l’établissement. Il faut concevoir un système qui assure une représentativité conséquente des voix des enseignants du corps A et en même temps évite la formation de clans et des systèmes de lobby.

Passons maintenant à l’élection des présidents d’université qui a lieu de deux à trois semaines après l’élection des directeurs, des doyens et des représentants des enseignants. Bien que le critère géographique conditionne l’appartenance des établissements à une université donnée, il reste que plusieurs universités comprennent des établissements dispersés, parfois sur un rayon dépassant les 100 km.Cet éparpillement géographique et le délai assez courtentre les élections ne permet pas aux candidats de mener des campagnes électorales et de se faire connaitre. Pratiquement, les seuls organisations pouvant le faire sont le syndicat et les partis politiques. Il est préférable, donc, de décaler l’élection des présidents d’université par rapport à l’élection des membres du conseil de l’université. Ce décalage permettra aux candidats potentiels de faire parti du conseil avant l’élection et ainsi se faire connaitre par les autres membres. Le décalage est aussi désirable afin d’éviter de changer les directions de toutes les structures en même temps. Comme pour les directeurs et doyens, il est essentiel d’exiger des candidats à la présidence des universités de présenter publiquement leurs CV et programmes pour le mandat à la tête de l’université.

Une autre défaillance du système actuel est l’absence de mécanisme de révocation des élus. Certes les directeurs de département, directeurs, doyens et présidents d’université doivent pouvoir travailler en toute sérénité, sans avoir une menace continue de révocation. Mais, personne ne doit avoir de pouvoir absolu, ne serait-ce que pour un mandat.  Un dispositif de révocation démocratique et protégeant les élus des mouvements minoritaires de déstabilisation est, donc, à prévoir dans la loi.

En somme, les propositions présentées ici représentent des ajustements mineurs pouvant être adoptées rapidement afin de corriger le processus d’élection des dirigeants des structures universitaires. Bien sûr, l’élection des directeurs, doyens et présidents d’université sur leurs programmes et stratégies n’a de sens que lorsque l’autonomie des structures académiques universitaires sera acquise.

Mohamed Sadok Guellouz
Directeur de l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Bizerte, Université de Carthage